Comte Zéro, William GIBSON

1984 : William Gibson frappe un grand coup avec Neuromancien (paru l’année suivante en France dans la collection Fictions des éditions La Découverte ; republié de nombreuses fois dont, en 2020, dans une nouvelle traduction de Laurent Queyssi aux éditions du Diable Vauvert). 1986 : il remet le couvert avec la suite de ce succès, Comte Zéro. On y retrouve l’univers de l’informatique et des zaibatsu, des hackers câblés et de la glace.

Une somme

Les éditions du Diable Vauvert continuent donc la publication des œuvres de William Gibson . Et cela me fait bien plaisir. Après avoir publié les derniers romans (j’ai déjà parlé ici de sa dernière série : Périphériques et Agency), elles reviennent aux fondamentaux. Et histoire de leur redonner un coup de jeune, les éditeurs ont demandé à Laurent Queyssi une nouvelle traduction, afin de remplacer celle de Jean Bonnefoy. Je ne suis pas en mesure de comparer leurs mérites respectifs, ne lisant pas couramment l’anglais. Je vais donc me contenter de parler du roman, ce qui est déjà pas mal.

Des personnages décalés : le mercenaire

Trois personnages se partagent notre attention. On commence avec Turner, un mercenaire qui vient de succomber à un attentat à la bombe lors d’une mission à New Delhi. Enfin, il n’est pas tout à fait mort, puisque, grâce aux technologies de pointe de cet univers, un chirurgien a été capable de remplacer les bouts qui manquaient, dont les yeux, par exemple, et de le reconstruire. Plusieurs mois tout de même ont été nécessaire. Puis une évaluation psychologique. Et le voilà près à repartir. Et ça tombe bien, d’anciens employeurs ont à nouveau besoin de ses services. Leur but : exfiltrer un génie d’une grande compagnie de bio-électronique. Sans se faire prendre et, surtout, sans que le génie ne meure lors du transfert. Car on ne plaisante pas avec la sécurité dans les zaibatsus. Les personnes clefs sont piégées en quelque sorte. Bombes physiques ou chimiques cachées dans le corps et que les « propriétaires » peuvent déclencher à distance en cas de trahison. Il s’agit de ne prendre aucun risque.

Turner est le côté violent mais rationnel de l’œuvre. Il agit froidement, toujours après réflexion, même si ses sentiments sont mis à rude épreuve. Tout comme ses certitudes sur le monde qui l’entoure, après son accident. Il est aussi un personnage type de Gibson, que l’on retrouve par exemple dans la duologie de Périphériques, avec ces hommes d’armes qui manient une technologie de pointe et gèrent les situations de crise sans état d’âme.

Une galeriste

Autre personnage, Marly, qui tenait une galerie à Paris avant qu’un scandale (un faux qu’elle aurait tenté de vendre comme un original) ne l’amène à la faillite. Un mystérieux commanditaire la fait venir pour un entretien d’embauche. Elle rencontre alors son futur employeur : Josef Virek, un homme extrêmement fortuné mais dont la santé est plus que défaillante. Il vit, si l’on peut appeler cela vivre, dans une cuve et ne peut apparaître aux autres humains que sous forme numérique. Il veut que Marly retrouve pour lui l’artiste qui crée des œuvres d’art aux pouvoirs étranges : des boites qui contiennent des objets du quotidien mis en scène de telle manière qu’on ne peut qu’être ému, touché, en les observant.

Marly préfigure, de son côté, en quelque sorte, Hollis, le personnage principal de la trilogie Blue Ant (Identification des schémas, Code Source et Histoire Zéro). Cette ancienne chanteuse est elle aussi engagée par un homme très riche (propriétaire de revue, cette fois-ci). Comme Marly, elle aime les vêtements et apporte une attention particulière à la mode, aux accessoires. Enfin, comme la galeriste, elle est à la recherche d’objets d’art. Un art au pouvoir intense, qui peut changer les choses, émouvoir au plus profond les êtres.

Un newbie

Comte Zéro, qui donne son nom au roman, est un wilson : un jeune innocent qui n’y connaît rien et commet bévue sur bévue. Mais il n’est pas le seul responsable. Car s’il risque de mourir dès son apparition dans le récit, c’est parce que son « dealer » lui a refourgué un matériel bien trop dangereux pour lui. Un programme qui l’a amené là où il n’était pas de force à tenir. Heureusement, au dernier moment, une voix féminine le sauve. Qui est-elle ? Et dans quoi Bobby (son vrai prénom) s’est-il fourré ?

Avec Bobby, William Gibson place son Candide qui va nous servir de guide dans les méandres de cette société hyper hiérarchisée, familière de nos jours, mais autrement plus originale en 1986. Il est le naïf qui, par son expérience, a un intérêt pour des puissances qui le dépassent. Cela lui permet de rester en vie et de s’introduire dans des milieux qu’il se contentait d’imaginer. Peut-être finira-t-il par mériter son surnom de Comte Zéro.

Un ensemble

La question que l’on se pose, en tant que lecteur, bien sûr, c’est : quel lien entre ces personnages aux parcours et aux univers si différents ? Que l’on se rassure, la réponse arrive. Vers la toute fin, même si quelques indices se profilent peu à peu à l’horizon. Et cela se fait tout naturellement, de façon très intelligente. William Gibson a su créer un univers original (pour l’époque : depuis, il a été copié et transformé de multiples manières – à ce propos, je viens d’écouter un podcast sur Matrix qui vaut le coup d’oreille) et à le consolider à chaque récit. Il a su apporter une touche d’exotisme bienvenue avec l’irruption du culte vaudou dans son explication de l’interface dans laquelle surfent les hackers. Selon certains personnages, les puissances qui interviennent dans cet espace seraient des loas, sortes d’esprits dans la religion vaudou. Cela remplace l’incompréhensible de la technologie qui semble prendre vie (comme les I.A.) par l’incompréhensible des divinités. Et cela passe parfaitement. D’autant qu’on est habitué à cet univers magique en SF. Rien que, l’année dernière, chez Phenderson Djèli Clark, dans la novella Les Tambours du dieu noir.

Vérification de la solidité de ce monde dans le troisième roman de cette trilogie, Mona Lisa s’éclate, qui devrait paraître début octobre, là aussi dans une nouvelle traduction. D’ailleurs, le titre lui-même changerait pour devenir Mona Lisa disjoncte (en anglais : Mona Lisa Overdrive). J’en reparlerai sans doute alors.

Belle redécouverte que cette nouvelle lecture de Comte Zéro. Et ce n’était pas du luxe, car je n’avais que de très lointains souvenirs de la fois où je l’ai découvert, voilà une trentaine d’années. J’ai apprécié la force de cet univers, qui reste très attirant et très actuel, malgré son âge. Les personnages, par leur côté décalé, nous interpellent et l’histoire est bien construite, toute en alternances et en découvertes progressives. Une lecture à recommander fortement !

Présentation de l’éditeur : Turner est le meilleur dans sa partie, les opérations d’exfiltration. Le dernier casse informatique de Bobby, jeune et intrépide hacker new-yorkais surnommé Comte Zéro, a mal tourné et le système qu’il croyait pirater est en train de le tuer. Après Neuromancien, William Gibson poursuit ici son exploration du cyberespace et des étendues urbaines.

Au Diable Vauvert – 14 octobre 2021 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Laurent Queyssi (nouvelle traduction) – Count Zero (1986) – 446 pages – Illustration : Josan Gonzalez – 22 euros)

Merci aux éditions du Diable Vauvert pour ce SP.

D’autres lectures : Les Chroniques du Chroniqueur, Constellations,


12 réflexions sur “Comte Zéro, William GIBSON

  1. Ce n’est pas forcément un titre qui m’intéresse, mais je ne savais pas que Gibson avait été réédité et retraduit, alors, merci pour cette mise en avant.

    Et bonus pour cette couverture qui me plaît tout de même pas mal !

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