La Maison aux pattes de poulet, GennaRose NETHERCOTT

Il était une fois… Eh oui, nous partons pour un conte. Mais pas un récit poussiéreux, digne d’être conservé entre des pages jaunies dans une bibliothèque ensevelie sous des monceaux de vieillerie. Non, une histoire moderne, ancrée aussi bien dans notre présent que dans notre passé, qui plante ses racines aussi bien dans le continent eurasien que dans le continent américain. Êtes-vous prêt à voir le rideau s’ouvrir ? Accessoires est sur le pont, Manœuvre est prêt. Il était une fois…

Une famille désunie

Isaac Yaga , vagabond magnifique, traîne ses guêtres d’un bout à l’autre du pays. Il lui faut voyager, laisser de la distance, sans cesse, entre lui et les personnes qu’il a rencontrées, qu’il a imitées, qu’il a escroquées. Car Isaac vit aux dépends de ceux qui l’écoutent. Il dérobe, non sans laisser un petit quelque chose en échange. Car la vie a horreur du vide et il vaut mieux le remplir soi-même si l’on ne veut pas qu’elle le fasse de son côté. Il est le Roi caméléon, capable de reproduire la moindre démarche, la moindre gestuelle, le moindre tic. Il sait, en vous observant, repérer votre façon de vous mouvoir, de vivre, d’être. Alors, il endosse votre peau comme celle de dizaines d’autres et s’invente, pour un temps, une vie. Comédien né, il entre littéralement dans la peau de son personnage.

Isaac ne manquait jamais de charmer son auditoire. Son élocution était aussi précise, aussi agile qu’un trapéziste ; sa langue dansait, rarement interrompue, sur la corde raide. Quand il parlait, on l’écoutait.

Bellatine Yaga, habile de ses mains, car ses mains la hantent. Obligée de les utiliser afin que ce ne soit pas elles qui l’utilisent. Bellatine aime travailler de ses doigts, créer. Elle est une artisane reconnue pour son talent. Mais elle préfère la compagnie de quelques-uns, dans des endroits éloignés, à la presse, à la foule. Loin du monde.

Ils sont frère et sœur mais ne se voient plus. Jusqu’à… jusqu’à… jusqu’au point de départ de cette aventure si fascinante et si incroyable, si terrible et si envoûtante. Jusqu’à l’arrivée, de façon horriblement triviale, de leur héritage. Dans un de ces containers si banaux qui traversent par dizaines de milliers les mers et les océans. En sort une maison. Déjà, c’est original. Mais quand on voit cette demeure se dresser sur ses deux pattes, le doute n’est plus permis, nous sommes bien dans le monde sombre et cruel de Baba Yaga.

L’ombre de la menace

Et, chacun pour une raison différente, Bellatine et Isaac partent sur la route avec leur maison ambulante. Ils vont tenter de gagner leur vie en faisant revivre le théâtre de marionnettes familial. Celui qui a bercé leur enfance. Celui qu’ils ont l’un et l’autre quitté, chacun pour une raison différente. Mais nécessité fait loi et les voilà mettant en commun leurs talents au profit de spectateurs enchantés. Seulement, l’histoire ne pourrait être complète sans une menace, un ennemi, mystérieux de préférence, sans pitié assurément. Cela tombe bien, un homme étrange à l’accent russe prononcé, apparaît dans leur sillage. Et il s’intéresse fortement à une certaine maison qui avance sur deux pattes. Ses intentions ? Mauvaises, sans hésiter. Il suffit de voir comment il traite ceux qu’il rencontre : une gorgée d’un liquide étrange et les voilà terrassés par leurs craintes les plus noires, leurs peurs les plus tenaces. Forcés, par ce liquide et par l’homme, de suivre leurs pulsions violentes, meurtrières et de combattre des ennemis imaginaires ou non. La haine triomphe. Et elle suit les pas des Yaga. Elle se nomme Ombrelongue.

Partout et nulle part

La Maison aux pattes de poulet a ceci de magique qu’elle mêle avec talent et aisance plusieurs croyances, plusieurs folklores, plusieurs traditions. GennaRose Nethercott parvient à nous plonger aussi bien sur les traces des hobos, glorifiés par nombre d’écrivains et de chanteurs, que dans les replis les plus sombres des contes slaves, noirs et sanglants, dans les ornières tragiques d’une histoire cruelle, nécessairement. Le lien entre eux se fait si facilement qu’on ne se pose aucune question. Tout est fluide, coule de source. Oui, il est évident de voir en pleine campagne américaine déambuler une maison perchée sur deux pattes de poulet. Oui, il est normal d’observer un homme capable de mimer à la perfection les gestes des spectateurs, à tel point qu’on ne puisse même imaginer qu’il est quelqu’un d’autre que celui qu’il imite. Oui, il est logique de voir… Non, je m’arrête là et vous laisse découvrir les autres sortilèges mis en places par l’autrice pour notre plus grand bonheur.

La superstition est l’apanage des véritables gens de théâtre.

Magnifiquement servi par une superbe (encore) couverture d’Anouck Faure, le roman de GennaRose Nethercott a réussi à me séduire d’emblée. Les premières pages sont envoûtantes et la mise en place des personnages très réussie. Et la suite ? Eh bien, elle tient parfaitement ses promesses et offre une histoire qui ne lâche pas ses lecteurices, jusqu’au bout. Alors si vous n’êtes pas sujet au mal de mer, tentez le voyage à bord de cette Maison aux pattes de poulet.

Présentation de l’éditeur :

« Comme Neil Gaiman et Susanna Clarke, GennaRose Nethercott maîtrise parfaitement l’alchimie de cruauté et de merveilleux qui forge les meilleurs contes de fées pour adultes. Les lecteurs auront du mal à trouver plus belle lecture pour passer la soirée. » Shaun Hamill, auteur d’Une Cosmologie de monstres.

Séparés depuis l’enfance, Bellatine et Isaac Yaga pensaient ne jamais se revoir. Mais lorsque tous deux apprennent qu’ils vont hériter de leur grand-mère ukrainienne, frère et sœur acceptent de se rencontrer. Ils découvrent alors que leur legs n’est ni une propriété ni de l’argent, mais quelque chose de bien étrange : une maison intelligente juchée sur des pattes de poulet.

Arrivée de Kyiv, foyer ancestral de la famille Yaga, l’isba est traquée par une entité maléfique : Ombrelongue, qui ne reculera devant aucun acte de violence pour détruire l’héritage de Baba Yaga.

Albin Michel Imaginaire – 31 janvier 2024 (roman inédit traduit de l’anglais [États-Unis] par Anne-Sylvie Homassel – Thislefoot (2022) – Illustration : Anouck Faure (et qu’est-ce qu’elle est belle, cette illustration !) – 528 pages – Édition brochée : 24,90 € / Numérique : 12,90 €)

Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire (Gilles Dumay) pour ce SP.

D’autres lectures : Just a wordFeydRautha (L’épaule d’Orion)TachanFantasy à la carteFeygirlLes pipelettesYvan (EmOtionS)CélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls) StelphiqueWeirdaholicLes Fantasy d’AmandaCarolivreBoudicca (Le Bibliocosme)Benjamin (Le parfum des mots)TigerLilly (Le Dragon Galactique)


40 réflexions sur “La Maison aux pattes de poulet, GennaRose NETHERCOTT

    1. J’ai vu passer quelques lecteurices moins enthousiastes, mais c’est vrai qu’ils sont une minorité. Après, chacun est différent, on le sait bien, et les avis peuvent varier terriblement d’une personne à l’autre.
      En tout cas, moi, j’ai été conquis.

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  1. J’ai eu des petites réticences, sur les personnages, sur la construction parfois, mais quelle ambiance envoûtante à la fois très américaine et très « conte » à l’ancienne. Tu as raison, c’est très visuel et parfaitement réussi en cela.

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  2. C’est vrai que cette couverture a un charme tout a fait particulier et attirant. Pour le récit j’admets ne pas connaître particulièrement le folklore associé au monde sombre de Baba Yaga mais le voyage me plairait bien 🙂

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