L’instinct du troll, Jean-Claude DUNYACH

Le troll n’a pas nécessairement bonne réputation. Il est grand, assez laid selon des critères humains, et on ne peut dire qu’il brille par son intelligence. Il suffit de se rappeler le fameux jeu troll de la revue Casus Belli ! C’est donc une sacrée gageure d’en faire le personnage principal d’un récit. Ou plutôt de quatre récits, puisque Jean-Claude Dunyach, dans ce recueil, nous narre quatre aventures de son troll.

Du troll en général

Si l’on s’appuie sur la bible du bestiaire de la fantasy, j’ai nommé, Le Seigneur des anneaux, de sa majesté J.R.R. Tolkien, le troll est effectivement une grande bestiole assez hideuse. Voici la citation qu’en a retenu Wikipédia (j’avoue que j’ai éprouvé une certaine paresse à l’idée de feuilleter l’œuvre pour trouver une occurrence et je n’ai pas de version électronique du monument, alors… Wikipédia) : « Mais à travers eux s’avança à larges enjambées, avec des rugissements de bêtes, une grande compagnie de trolls des montagnes de Gorgoroth. Plus grands et plus larges que les Hommes, ils n’étaient vêtus que d’un réseau très ajusté d’écailles cornées, ou peut-être était-ce leur hideux cuir, mais ils portaient d’énormes boucliers ronds et noirs, et ils brandissaient de lourds marteaux dans leurs mains noueuses. Insouciants, ils s’élançaient dans les mares, au travers desquelles ils pataugeaient, beuglant dans leur avance. […] car ces immondes créatures mordaient à la gorge ceux qu’ils jetaient bas. » Et Jean-Claude Dunyach n’a pas vraiment dévié du canon littéraire. Son personnage central correspond, physiquement, à la description : grand, massif, solide. Pour ce qui est des capacités de raisonnement, là, on s’écarte un peu. Car si il répète régulièrement qu’il est censé être stupide et qu’il réfléchit peu, ses actions dénotent un bon sens certain et je le trouve plutôt astucieux dans pas mal de cas.

De l’humour en particulier

Et c’est tant mieux, car l’auteur français n’a pas pour but d’apporter une pierre supplémentaire à l’univers de l’anneau sacré. Il lorgne bien davantage du côté d’un autre monstre britannique de la littérature de l’imaginaire : Terry Pratchett. Car notre troll ne baigne pas dans une fantasy de bon aloi. Non, il vit dans une mine gérée selon les principes de la bureaucratie kafkaïenne. Il doit remplir des paperasses à n’en plus finir, tenir ses objectifs, fournir de beaux bilans. Bref, le cauchemar qui hante beaucoup d’entre nous. Et comme il est particulièrement obtus dans ce domaine, son N+1, pour le punir, lui inflige la punition ultime : un stagiaire. Et pour corser le tout, il s’agit du neveu de son supérieur hiérarchique. Ainsi commence « Respectons les procédures », premier récit de ce recueil. Les trois autres textes, « La taille a son importance », « L’instinct du troll » et « Ou se taise à jamais » suivent l’histoire. Et on a finalement presque un roman avec quatre chapitres assez unis dans le ton et la narration.

Vous n’avez pas suivi les procédures ! – J’ai rapporté le Sceptre, m’obstinè-je. – Vous auriez mieux fait de ramener vos notes de frais.

Mais revenons au début : Terry Pratchett. Si l’on part dans la lecture de L’instinct du troll avec dans la tête ce modèle absolu, la déception viendra inévitablement. Difficile de se mesurer au maitre. Et, était-ce le but ? L’humour de Jean-Claude Dunyach prête davantage au sourire qu’aux francs éclats de rire. Mais cela fait néanmoins sourire. Et, mordiou, ce n’est pas si mal. En tout cas, c’est ce que j’attendais. Et c’est ce que j’ai obtenu. Certaines blagues et certains clins d’œil m’ont semblé un poil trop lourdingues. Mais je ne suis pas un grand fan des troisièmes mi-temps et des blagues graveleuses. Heureusement, ce n’est pas l’essentiel du texte, loin de là. L’auteur joue, bien entendu, sur le décalage entre nos attentes devant la situation décrite et ce qu’il nous propose. C’est souvent prévisible, mais souvent aussi amusant. Voire attendrissant.

Personne ne prend au sérieux un guerrier maléfique qui zozote.

Un troll sympa

Car il est plutôt réussi, ce troll, dont on ignorera le nom jusqu’au bout. Il a des préoccupations semblables aux nôtres : faire son boulot, mais ne pas se laisser déborder par le travail ; boire jusqu’à en avoir très mal au crâne (attention, l’abus d’alcool, tout ça, tout ça) ; supporter difficilement les innovations venues d’en haut, censées lui faciliter la vie et qui ont plutôt tendance à la lui compliquer ; accessoirement trouver une compagne à son goût et qui le trouverait agréable. Une vie normale, quoi ! Malgré quelques petite différences. Dont une furieuse tendance à vouloir régler tous les problèmes par la violence… Quoique, en y réfléchissant bien, c’est très humain aussi, ça, comme comportement. Bon, vous l’aurez compris, il est très attachant, ce troll.

On évoque nos souvenirs pour éviter de s’en créer de nouveaux.

Et l’alchimie de ce recueil, même si elle n’atteint pas des sommets, remplit parfaitement son office. Distraire. Sortir des préoccupations quotidiennes. Faire rêver et sourire. L’instinct du troll est un moment hors du temps, une bulle de bien-être aux couleurs irisées. Une chouette découverte.

Présentation de l’éditeur : Glissez-vous dans l’intimité d’un troll le temps de quatre aventures qui font trembler la terre jusqu’aux tréfonds des mines les plus obscures. Bien sûr, pour cela, vous allez devoir franchir les falaises du Désespoir, affronter les périls du col des Assassins et vous enfoncer dans les marais de la Mort sinueuse, mais ne vous inquiétez pas : après, c’est fléché. Et, avant, mieux vaut savoir que, s’il faut qu’un troll s’habille pour une occasion spéciale, il convient de le prévenir dix ans à l’avance. Surtout, n’oubliez jamais que l’eau ferrugineuse est un fléau qui ravale le troll au rang de l’homme. Alors, vous qui entrez ici, laissez toute espérance ainsi que vos affaires personnelles au vestiaire. Et n’oubliez pas de rapporter vos notes de frais. Ayerdhal.

L’Atalante, collection « Poche » – 23 mars 2023 (recueil de quatre nouvelles – Illustration : Benjamin Carré – 208 pages – 7,50 euros / numérique : 5,99 euros)

D’autres lectures :

Cette chronique fait partie du Challenge S4F3 2023.


16 réflexions sur “L’instinct du troll, Jean-Claude DUNYACH

  1. Ca a l’air bien sympathique dis ! C’était pas gagné, parce que d’instinct, un bouquin sur les trolls n’aurait clairement pas retenu mon attention.
    En plus, je n’ai toujours pas lu Pratchett, donc je ne serais pas tentée par la comparaison.
    A l’occasion, entre deux gros romans bien lourds et ardus, ça pourrait faire une bonne parenthèse.
    Merci pour cet instant rafraichissant 🙂

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    1. C’est exactement ça : une parenthèse bienvenue. D’ailleurs, je m’offre le deuxième volume en ce moment. C’est idéal pour reposer mon esprit encore un peu trop en ébullition.

      Et quoi ? Tu n’as pas lu Pratchett ! Veinarde. Encore tant à découvrir (si tu en as le temps et l’envie, bien sûr).

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      1. Hé non, je n’ai encore jamais eu l’occasion ! J’avais souhaité commencer par le 1er, la 8ème couleur (je crois que c’était ça le titre) mais j’ai lu ensuite ici et là que ce n’était pas le meilleur tome pour commencer et qu’on pouvait lire plusieurs sous-cycles un peu dans le désordre. Je ne m’y suis jamais vraiment penchée sérieusement. Ca vaudrait le coup d’en faire un challenge annuel tiens. je ne sais pas cb de tomes il y a, mais à raison d’un tome ou deux par mois, ça pourrait le faire. Tiens je vais y réfléchir.
        J’aimerais bien mettre enfin mon nez dans les annales, mais… il y a un truc qui s’appelle, ah ben tiens, justement : le temps, et lui il se moque un peu de moi je trouve. Il est taquin, se fait un peu fuyant, avance en courant, et quand j’essaye de le rattraper rien n’y fait, il se barre quand j’arrive.

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      2. Hi, hi, le temps… On tourne autour de cet ennemi / allié en permanence !

        Quant au Pratchett, je confirme que le premier n’est pas le meilleur et que, l’ayant lu, je m’étais demandé pourquoi on faisait un tel ramdam autour de cet auteur en Angleterre. Et puis j’ai persévéré, dans l’ordre quand même parce que je suis un maniaque et qu’il y a quand même une progression des personnages. Et bien m’en a pris. Car j’ai fini par devenir accroc !

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