Le futur de la cité, Anthologie des Imaginales 2023

Le festival des Imaginales va avoir lieu du 25 au 28 mai à Épinal, sous une nouvelle direction artistique, celle de Gilles Francescano. Et l’anthologie qui lui correspond vient juste de sortir. L’occasion de découvrir des nouvelles francophones d’horizons très divers, qui mêlent plusieurs générations d’auteurices. Tout cela pour s’interroger sur notre avenir urbain.

De la continuité dans le changement

Nouvelle direction, nouvel éditeur. Les Imaginales ont connu une passation de pouvoir assez agitée, avec des mois sombres et des reproches dans les deux camps. Difficile, de mon côté, de prendre parti pour l’un ou l’autre, même si Stéphanie Nicot avait été particulièrement convaincante. Mais là n’est plus le sujet. Je ne suis jamais allé à ce festival. Je me contente de lire les anthologies qui paraissent à l’occasion. Et de noter que les éditions Mnémos ont laissé la place, cette année, aux éditions Au diable vauvert. Plongeons-nous à présent dans le contenu de ce livre : 14 textes (et non nouvelles, j’en parlerai ensuite) précédés d’une préface. Du beau monde, assurément. Des auteurices plus anciens aux plus récents. Un sommaire alléchant.

Un bilan plutôt positif, mais une vision du monde bien noire

Si j’ai aimé dans l’ensemble la lecture (rapide) de cette anthologie, je n’en ressors pas empli d’espoir pour l’avenir. La plupart des auteurs, même s’ils ont des points de vue très différents et des approches très variées, n’imaginent pas des cités épanouissantes pour l’être humain. Comme souvent dans le domaine de l’imaginaire, les auteurices cherchent à pointer ce qui fait mal : le passage du temps qui abîme (« Tokyo 2115 ») et détruit, parfois de façon définitive au détriment de l’humanité même qui a causé les dégâts (« Histoire de Rome de nos jours à la fondation », « Tempus edax, homo edacior ([In]dispensables) », « L’histoire des oiseaux ») ; la tentation des sociétés à se tourner, comme ultime réponse, vers la dictature, la tyrannie, la poigne d’un homme (rarement une femme) fort et sans pitié, au nom du bien commun, mais destructeur de toute individualité, de tout rêve, de tout espoir (« Entartage », « 2084 ») ; un duel entre hommes et machines, les I.A. prenant le pouvoir ou non, suivant les instructions des humains ou non (« Le dernier jour de Paris », « Histoire de Rome de nos jours à la fondation ») ; l’humain changeant de peau, car le corps que nous avons à notre naissance ne suffit pas ou ne correspond pas ce que nous avons dans la tête, et car la technique le permet dorénavant (« Garou 2.0 ») ; l’être humain continuant à cramer le monde et à user de ses semblables comme d’objets (« Mobipolis ») dans une cité délétère (« Kontrol’za kacestvom »). Seule Sara Doke, ou presque, apporte un léger rayon de soleil en évoquant, dans « Phra au soleil », une société qui pourrait respecter l’autre et se rapprocher de celle que je découvre ces mois-ci dans différentes lectures (Un pays de fantômes de Margaret Killjoy, Cité d’ivoire de Jean Krug, Le monde de Julia d’Ugo Bellagamba & Jean Baret, Un psaume pour les recyclés sauvages et Une prière pour les cimes timides de Becky Chambers et même Les terres closes de Robert Jackon Bennett). Un panorama incomplet, certes, mais riche d’images d’un monde futur.

Cette lecture du Futur de la cité a été très agréable, alternant entre le vraiment passionnant et l’anecdotique, comme souvent dans une anthologie. Certains textes m’ont surpris, d’autres m’ont juste distrait (ce qui est déjà très bien). J’ai aimé me projeter dans ces multiples avenirs ainsi proposés, imaginés. Un bon cru, comme on dit.

Ce que nous appelons l’encapsulé processeur est en fait un réseau connecté des cerveaux de nos sages les plus anciens et les plus savants qui ont renoncé à leur corps pour servir la communauté. (Sara Doke, « Phra au soleil »)

Comme d’habitude, j’ai parlé de chaque texte individuellement, en divulgâchant parfois. Vous pouvez donc lire ou piocher dans ce qui suit, mais à vos risques et périls !

« Dansons la capucine », Pierre Pelot

Ah, maitre Pelot ! On sent que cette commande devait l’embêter, pour ne pas dire plus. Il s’est donc plié à l’exercice, mais avec un humeur décalé, voire un léger mépris : « Ils me font marrer. » Le « ils » peut représenter ceux qui lui ont demandé d’écrire ce court texte qui tient plus du billet d’humeur que de la nouvelle. Il me semble bien refléter la pensée de cet homme dont j’ai adoré lire les textes voilà des années, dont je comprends en partie l’exil dans ses Vosges (s’il est bien là-bas, je ne suis pas dans le secret des dieux) et dont je peux comprendre la lassitude et sa volonté de rester dorénavant à l’écart de l’écriture. Un texte sympathique pour ce qu’il représente.

« Phra au soleil », Sara Doke

Je crois n’avoir lu de Sara Doke que la nouvelle publiée dans la précédente anthologie des Imaginales consacrée à L’Afrofuturisme. Et, bien sûr, j’ai lu certaines de ses traductions, dont Lazare attend de James Morrow. Dans cette nouvelle, on suit une jeune provinciale arrivée sur le Tore à l’invitation de l’encapsulé processeur. Un nom évocateur, qui me rappelle les bonnes heures de L’incal sous la direction de Jodorowsky et de Moebius. On découvrira plus tard à quoi correspond ce terme : « Ce que nous appelons l’encapsulé processeur est en fait un réseau connecté des cerveaux de nos sages les plus anciens et les plus savants qui ont renoncé à leur corps pour servir la communauté. » L’opposition entre son mode de vie et celui de son nouveau lieu d’habitation nous donne l’occasion de nombreuses découvertes. Un texte agréable à lire et intéressant par sa vision d’un possible futur habitat : mise en commun des ressources et travail basé sur le volontariat. Une sorte d’idéal en quelque sorte.

« Rencontre avec Johnny Wayne », John King

De John King, j’ai lu récemment le coloré Anarchy in the U.S.E., que j’ai apprécié malgré ses excès parfois difficiles à supporter. Un conseil, si vous n’avez pas lu le roman, laissez tomber cette nouvelle. Déjà, alors que je connaissais le contexte, j’ai eu du mal à suivre. Alors, sans cela, bon courage. On retrouve un personnage dans les élites européennes décomplexées et méprisant le peuple. Mais j’ai passé tellement de temps à essayer de comprendre que j’en ai perdu l’intérêt. On passe…

« Mobipolis », Pierre Bordage

La ville mobile : une ville modèle qui se déplace de planète en planète. Un peu comme une maison modèle dans laquelle vous vous promenez et vous imaginez vivre. Même principe, sauf que l’échelle est plus grande et que la cité est habitée. D’habitants en principe ravis de vivre dans cette ville modèle. Sauf que, comme le découvre le jeune narrateur, tout n’est que façade. Les habitants sont liés par contrat et doivent un certain nombre d’années de mensonges aux visiteurs pour avoir une chance de pouvoir récupérer leur bien. Amusante idée, en même temps que glaçante, car réaliste à un certain point.

« Histoire de Rome de nos jours à la fondation », Claire Duvivier

Claire Duvivier part de 1973 : Rome se retourne alors. Elle part dans l’autre sens, en quelques sorte : en expansion jusqu’alors, la voilà en route vers la disparition. Des centaines d’années passent, des évènements. L’autrice les nomme, les cite, les développe, selon. Trois groupes sont concernés : les humains, les animaux et les entités artificielles. On se doute que ce sont elles qui vont avoir le premier rôle à un certain moment. Mais personne n’est à l’abri d’un nouveau retournement ! Texte intéressant sur le plan intellectuel dans lequel j’ai cependant eu du mal à vraiment entrer.

« Kontrol’za kacestvom », Christophe Siébert

De Christophe Siébert, j’ai découvert avec des frissons de délice et d’horreur les livres consacrés à Mertvecgorod (Images de la fin du monde, Feminicid et Valentina). Dans ce court texte, il s’attache à des petites gens de cette ville pourrie de l’intérieur. Dans une boutique que l’on découvre dans Valentina. Il vaut mieux avoir lu ces ouvrages, à mon avis, pour profiter pleinement de cette nouvelle. Mais, même sans cela, on ressent bien la misère ambiante et, malgré tout, la volonté de continuer, de vivre. Envers et contre tout. Poignant sans être larmoyant. J’aime.

« Tempus edax, homo edacior ([In]dispensables) », Isabelle Bauthian

J’aime le côté ironique et désabusé de ce texte noir dans le fond mais léger dans le ton : « Nous craignions un hiver nucléaire, une invasion de zombies ou une peste noire. Nous avons eu l’inflation, les pénuries et la lassitude. » Tout est dit. Le monde est foutu, nous sommes allés trop loin. La protagoniste principale est une traqueuse. Elle habite une des dernières villes et est chargée de chercher (et trouver) des experts en différents domaines utiles à la cité. Mais ces derniers ont choisi de s’éloigner des communautés pour des raisons multiples, dont certaines très valables. Échanges de points de vue, visions toutes plus pessimistes les unes que les autres de ce qui nous attend. Mais tout cela raconté avec talent. J’ai beaucoup apprécié.

« Garou 2.0 », Morgane Caussarieu

Je suis en train de lire par étapes Dans tes veines, de cette autrice. Je ne connaissais pas. Je ne suis pas déçu. Morgane Caussarieu explose des tabous à la dynamite. La bien-pensance, elle te la répand façon puzzle. Dans cette nouvelle, les humains ont trouvé le moyen de se greffer de plus en plus de parties du corps d’animaux. La personnage principale se sent des affinités avec les loups. On commence par la toison pubienne et peu à peu, d’autres morceaux de son anatomie sont remplacés par des morceaux lupins. Mais cette transformation physique ne peut-elle avoir des conséquences psychologiques ? Ce n’est pas pour rien que se mettent en place des groupes de parole (du type alcooliques anonymes) pour aider certains individus travaillés par leur identité. Malaisant (pour moi) comme on dit maintenant, mais sacrément bien fichu.

« Trois notes sur l’origine de la ville-monde », Serge Lehman

Ce texte n’est pas une nouvelle, mais plutôt une notice érudite et orientée, mais sacrément intéressante à propos des villes-mondes. Cela donne envie de lire les livres cités et de voir les films évoqués. Et de se renseignent sur la théorie de l’historienne Anne Lombard-Jourdan à propos de Paris de de son origine. Je ne saurais la résumer en quelques mots, mais elle s’étonne que Paris, à la différence des autres cités d’importance, ne possède aucun récit de fondation. J’ai apprécié.

« Entartage », Katia Lanero Zamora

Encore un texte que j’ai apprécié de lire, pour l’histoire, mais aussi pour son ton amer. Une dictature règne, terrible, stupide : on doit absolument respecter ce que l’Ultime décrète : « Un matin, un décret. Un hoquet, un décret. Un pet, un décret. » Risible, ironique, mordant, désespéré. Un jour, un homme qui pense sa vie derrière lui va prendre le risque d’amener le rire dans cette société encalminée. En faisant, comme Noël Godin, usage de pâtisserie pour décorer le faciès des fâcheux. Et cela fonctionne. Jusqu’à un certain point. Beau texte. De cette autrice, j’avais vu La Machine et sa suite, mais pas encore lus. Je les remonte dans ma P.A.L.

« 2084 », Laurent Whale

Un monde enterré pour être protégé des destructions imposées à la nature. Plusieurs niveaux. Chacun avec ses règles. Usantes. Qui ne laissent pas d’espoir. On vit, et ce n’est déjà pas si mal. Mais pas pour tout le monde. Ankha ne supporte plus ce manque de rêve, d’ouverture, de rêve. Heureusement, elle a rencontré, ce qui est formellement interdit, un jeune garçon d’un autre niveau. Il aurait une possibilité pour s’échapper loin de cette prison. Est-ce une bonne idée de le suivre ? Texte noir, encore un, classique mais réaliste et bien fichu, vraiment.

« Tokyo 2115 », Claire Krust

La réalité vs les rêves. Qui n’a pas été déçu, lors d’un voyage, par ce qu’il ou elle avait devant les yeux ? On imaginait des splendeurs, après avoir vu de somptueuses photos, lu de merveilleuses lignes. Et puis la vérité, triviale et sans relief, s’est imposée. Décevante, nécessairement. Laura va enfin visiter le Japon. Sa grand-mère lui en a fait un portrait magique, elle qui avait fini par reconstituer un intérieur classique japonais typique chez elle. Une demeure tout droit sortie des films, des livres et des mangas dévorés. Mais le choc de Tokyo en 2115 est terrible : plus aucune magie, rien que du fonctionnel, du standardisé. Tout le patrimoine détruit car inutile. Quand on peut le reproduire en réalité virtuelle, pourquoi se gêner ? Une réflexion douce-amère et bien vue sur nos attentes et notre vision du monde qui nous entoure. Entre efficacité du quotidien et nécessité de s’évader. Une belle découverte.

« L’histoire des oiseaux », Justine Niogret

Une femme se cache dans un centre commercial. Après la chute de nos sociétés. Seule dans un lieu qu’elle ne comprend plus guère. Elle y vit ses derniers instants. Les oiseaux se transmettront la fin des humains devant ses os blanchis. Texte sympathique, mais dans lequel j’ai eu du mal à entrer.

« Le dernier jour de Paris », Raphaël Granier de Cassagnac

L’I.A. dirigeant Paris, ou la personnifiant, se retrouve aux prises avec des incidents isolés, mais significatifs. Elle est censée gérer les différents outils de la ville et faciliter la vie de chaque citoyen connecté à l’application. Et elle est utile quand les températures peuvent allègrement dépasser les quarante. Mais quelque chose cloche. Comme elle le signale à ses comparses, Berlin, Londres, et les autres. Et l’explosion dans la salle de ses serveurs principaux confirme qu’une attaque est en cours. Mais de qui et dans quel but ? Dernière nouvelle de l’anthologie, alerte et vive. J’ai beaucoup aimé l’idée d’avoir l’I.A. comme protagoniste principale. Et j’ai apprécié la capacité de l’auteur de nous apprendre par morceaux, par petites touches comme j’aime à dire, les différentes caractéristiques de la société qu’il a construite. L’histoire en elle-même est prenante et maintient le suspens jusqu’au bout (ou presque). Une bonne porte de sortie pour ce livre.

Présentation de l’éditeur : Le Futur de la Cité. Anthologie de la 22° édition des Imaginales. LE FUTUR DE LA CITÉ VU PAR Ayerdhal, Isabelle Bauthian, Pierre Bordage, Morgane Caussarieu, Sara Doke, Claire Duvivier, Raphaël Granier de Cassagnac, John King, Claire Krust, Katia Lanero Zamora, Serge Lehman, Justine Niogret, Pierre Pelot, Christophe Siebert, Laurent Whale. « Autant d’auteurs et d’autrices qui nous décrivent en avance le Futur de la Cité. Autant de traces noires sur papier blanc qui resteront comme autant de témoignages de nos cités, de nos espoirs, des visions d’un futur que nous rêvons encore. Comme une seconde chance. » Gilles Francescano, Directeur artistique des Imaginales, préface.

Au diable vauvert – 18 mai 2023 (anthologie composée de 14 textes et une préface– 301 pages – 20 euros)

Merci aux éditions Au diable vauvert (Lucas Galian) pour ce SP.

D’autres lectures : CélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls)


10 réflexions sur “Le futur de la cité, Anthologie des Imaginales 2023

  1. J’ai du mal avec les anthologies, et les nouvelles en général; je crains toujours ce que tu pointes, même si c’est resté très satisfaisant dans l’ensemble : quelque chose d’inégal. Je suis toujours un peu attristée d’oublier des textes quelques jours-semaines après (ce qui rejoint notre discussion récente sur ce qu’on mémorise de ce qu’on lit, d’ailleurs !).
    Je n’ai jamais lu les anthologies des festivals; en tout cas celle-ci réunit du beau monde, sur un sujet fort intéressant.

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    1. Je comprends bien. C’est vrai que comme les tons et univers changent complètement d’un texte à l’autre, il est souvent difficile de vraiment s’impliquer dans une telle lecture. Mais parfois, on a une nouvelle qui sort du lot et marque.

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