Guerre & Peur, Johan HELIOT

La Grande Guerre : une éternité de souffrance pour les poilus et leurs familles. Et elle n’a duré que quatre ans. Imaginez ce conflit s’éternisant jusqu’à atteindre sa dixième année. Allemands et Français englués dans leur haine les uns des autres et, surtout, dans une routine guerrière dont personne ne sait comment sortir. Mais dans ce chaos apparaissent des femmes et des hommes aux pouvoirs étranges, qu’ils mettent au service de leur patrie. Des super-héros au début du XXe siècle, parmi les poilus. Le début d’aventures rocambolesques et enthousiasmantes.

Un auteur boulimique

Johan Heliot est ce qu’on appelle un auteur prolifique. Il publie plusieurs livres par an, dans des domaines et pour des publics différents, de la littérature pour jeunesse (récemment la série Ours ou, voilà plus longtemps la tétralogie C.I.E.L.) à de la SF plus ambitieuse (la trilogie Grand siècle, par exemple). Souvent, il intègre des éléments historiques dans ses récits, formation d’historien oblige. Comme dans les deux romans que j’ai lus de lui l’année dernière, Les enfants de la Terreur et La fureur des siècles qui se situent respectivement à la suite de la Révolution française pour l’un et à l’époque de Léonard de Vinci pour l’autre. Ici, il revient au XXe siècle qu’il affectionne particulièrement et plus particulièrement à la première Guerre mondiale, qui lui avait inspiré le très réussi Frankenstein 1918 (L’Atalante).

Corollaire de la présence très forte de cet auteur, la qualité de ses textes est, à mon avis, à géométrie variable. Parfois, je trouve qu’il a manqué de temps ou d’inspiration pour boucler de façon convenable un sujet pourtant intéressant. Mais qu’on se rassure, avec Guerre & Peur, tel n’est aucunement le cas. J’ai beaucoup aimé ce récit digne d’un feuilleton du XXe siècle, par son rythme trépidant, mais d’une grande qualité narrative. Johan Heliot a lâché les brides à son imagination, mais tout en gardant la main sur la structure de son récit qui ne part pas, comme on pourrait le craindre, dans tous les sens.

Des super-héros/héroïnes

Après quelques pages très marquantes qui nous plongent dans l’ambiance terrible de cette folle guerre qui a vu des centaines de milliers d’hommes se terrer dans des tranchées en attendant d’aller se faire hacher menu pour gagner quelques centimètres qui seraient perdus le lendemain, Johan Heliot nous plonge rapidement dans le cœur de son récit : Jean Valmont (comment ne pas penser à Jean Valjean ?) est envoyé sur le front. En 1923. Où l’on comprend que le conflit s’éternise dans cette réalité. Mais quand il se retrouve au milieu de la mitraille, voyant tous ses camarades se faire massacrer, lui court, terrifié, persuadé que chaque seconde est la dernière. Or il ne meurt pas. Une étrange lueur bleue l’entoure et le protège. Il ne l’avait jamais vue. Son pouvoir vient de lui apparaître.

Peu de temps après, suite au rapport de son supérieur, il est recruté par un grand échalas portant le grade de capitaine. Il s’agit, en fait, du chef d’une section particulière, composée de personnes possédant des supers pouvoirs. Alors n’allez pas imaginer une armée de femmes et d’hommes balayant l’armée ennemi en quelques heures. Non, le groupe n’est composé que de trois personnes. C’est peu. Et donc, celui qui chapeaute cette troupe, l’amour de la patrie chevillé au corps, n’est autre que celui que, dans notre réalité, tout le monde connaît sous le surnom du Général. Eh oui ! De Gaulle n’était pas encore monté en grade, mais il avait déjà de l’ambition et la volonté inébranlable de sauver la France. Et il est le premier d’une longue liste de guest-stars. Un régal pour le lecteur qui croise aussi bien des personnes ayant réellement existé (Hitler, Pétain, Churchill et bien d’autres) que des personnages issus du cinéma allemand du temps de sa splendeur (dont le docteur Caligari, par exemple). Fritz Lang n’est jamais très loin et son ombre plane sur ce récit, le baignant d’une lumière contrastée et tranchante.

Ça tire, ça vole, ça n’arrête pas

Je ne vais pas trop en dévoiler car, une fois de plus, une partie du plaisir vient des surprises que Johan Heliot place sur notre route. Et elles sont nombreuses. Entre les personnages et les multiples références aussi bien à l’Histoire (avec majuscule) qu’au cinéma (ah, le sifflement de Peer Gynt qui indique la présence de Peter Lorre dans M le maudit et qui revient ici, terrifiant !), on est rarement en paix. L’auteur ne nous laisse respirer ni sur ce plan, ni sur celui des actions. Mais attention, c’est un plaisir : ce roman se lit rapidement car il est difficile de le lâcher. À partir du moment où Jean Valmont, qui gagne le sobriquet de Trompe-la-Mort, accompagne de Gaulle et part sur les routes pour tenter d’obtenir la paix entre les belligérants, on ne s’ennuie pas une minute. Les péripéties s’enchaînent, toutes plus folles les unes que les autres, car l’auteur ne se refuse rien. Il n’hésite pas à faire exploser un château ou certaines personnalités historiques. Je dois avouer que pour quelques-unes, je n’ai pas vraiment pleuré.

À noter, pour finir, l’illustration de couverture d’Eric Martin qui colle parfaitement au thème et surtout à l’esthétique de l’époque, schématique et expressionniste, colorée et inquiétante. Et aussi les dernières lignes qui, tout en clôturant l’aventure, laissent la porte ouverte à de nouvelles missions pour Trompe-la-Mort et ses comparses.

Autant j’ai été déçu par le dernier opus de John Scalzi, La société protectrice des kaijus, autant ce dernier roman de Johan Heliot est un bon cru. Il a su mêler son imagination débordante, sa culture historique, sa passion cinématographique à un talent réel de romancier pour nous apporter sur un plateau une histoire aux petits oignons ficelée avec efficacité, dont on sent qu’elle lui a fait plaisir. Et cela nous fait très plaisir en retour. Merci pour ces bons moments…

Présentation de l’éditeur : 1923, quelque part dans les Balkans, alors que la guerre entre dans sa dixième année, le grenadier Jean Valmont vit sa première et terrifiante expérience du feu… Son bataillon entier est haché menu par les balles allemandes. Jean réchappe par miracle du massacre. Miracle, vraiment ? Quelle est donc cette étrange lueur bleutée apparue en plein cœur du combat ? Et si Jean disposait de l’incroyable pouvoir d’échapper à son funeste destin ? Et si d’autres hommes, d’autres femmes ayant connu l’expérience de la peur ultime avaient révélé eux aussi un pouvoir ? Et s’ils étaient réunis sous les ordres du capitaine de Gaulle, alias le Grand-Duc, dans une escouade secrète chargée de mettre fin au conflit ? Et si, côté allemand, d’autres « évolués » aux pouvoirs extraordinaires cherchaient à perpétuer la guerre à tout prix, sous l’emprise d’un mystérieux Maître de la Terreur ? À la fois uchronie et récit de super-héros, hommage à l’œuvre de Fritz Lang période allemande (Metropolis, Dr Mabuse, Les Nibelungen, M le Maudit…) autant qu’aux comics de la première génération, Guerre & Peur entraîne le lecteur au cœur d’une incroyable machination dans l’Europe dévastée des années folles, qui n’auront jamais si bien porté leur nom !

Mnémos – 17 mai 2023 (roman inédit – Illustration : Eric Martin – 236 pages – 19 euros)

Merci aux éditions Mnémos (Estelle Hamelin) pour ce SP.

D’autres lectures : RSF Blog (Lhisbei)Fantasy à la carteCélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls)


15 réflexions sur “Guerre & Peur, Johan HELIOT

  1. J’aime beaucoup le concept de départ avec ces quelques super héros en temps de guerre ainsi que la présence de références historiques et cinématographiques, même si pour ces dernières, il y a des chances que je les rate presque toutes !

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