La fureur des siècles, Johan HELIOT

Léonard de Vinci, Florence. Des noms qui font rêver. Qui font naître des images par dizaines. Inventions fantastiques, bâtiments remarquables, peintures et sculptures admirables. Mais aussi fantasmes sur l’existence du maître, son côté « hors du temps ». Car il semble tellement supérieur à ses contemporains. Et aux générations suivantes. Dans La fureur des siècles, il est conforme à cette image, inventeur d’une machine aux propriétés phénoménales dont les effets touchent les siècles et les siècles.

Un auteur que j’apprécie

Johan Heliot fait partie de ces auteurs que je suis assez régulièrement. Je dis « assez », car il écrit et publie beaucoup. Aussi bien pour les adultes que pour les plus jeunes. Et donc, je n’arrive pas toujours à suivre. Mais j’apprécie énormément l’imagination et les bases factuelles solides de cet historien de formation. Récemment, dans Les enfants de la Terreur, il revisitait cette période historique suivant de près la Révolution française, convoquant pour l’occasion des personnages à l’aura impressionnante et trouble, le marquis de Sade et le chevalier d’Éon. Dans La fureur des siècles, nous revenons quelques années plus tôt, au XVIe siècle. L’Italie, qui n’existe pas encore en tant que pays, est le centre de pas mal de conflits. Venus de France, certains dirigeants tentent d’imposer leur vue par la force. Et l’un d’entre eux, François Ier, voit en Léonard de Vinci un atout précieux. Il lui demande de l’aide. Le savant lui fournit une machine que d’aucuns pourraient qualifier de diabolique. Grâce à elle, le chef d’état français pourra se prémunir contre l’encerclement géographique imposé par ses ennemis. En créant une sorte de barrière de protection tout sauf naturelle. Une fumée envahit les frontières, brume étrange aux propriétés magiques. Quand on la pénètre, on y rencontre d’étonnantes créatures. Mais on a peu de chance d’en sortir vivant.

La science magique

Léonard de Vinci est dans ce roman une figure entourée d’une aura exceptionnelle, mais aussi légèrement inquiétante. On ne devienne les propriétés de sa machine que progressivement, au cours du récit. Mais rapidement, on comprend le principe premier. Je vais donc tourner autour en essayant d’en dire le moins possible. De toute façon, tout cela reste à la limite entre la science véritable et la magie, tant certains aspects se rapprochent de l’alchimie et des inventions obscures de cette période. L’engin émet une brume qui forme frontière car à son contact, on évolue. Sans protection, on se rend tout droit vers la folie. D’où le surnom de furia qui traverse le texte : cela rappelle le furor des guerriers antiques, quand ils se laissaient aller à la colère. Ici, c’est plutôt la folie des temps qui se mêlent. Car, protégé, on passe à travers les époques. Sans pouvoir commander. Sans savoir où l’on va ni ce que l’on va rencontrer. D’où un danger immense pour les voyageurs intempestifs. Et quelques rencontres surprenantes et périlleuses pour les protagonistes peu habitués à la SF et à ses classiques. Sans parler du monde qu’ils découvrent, souvent très différent de celui d’origine.

Les personnages, justement

Puisque je les évoque, parlons un peu de ceux qui nous conduisent dans ce tourbillon spatio-temporel (même si tout cela n’a rien de futuriste, loin de là : au maximum, dans certains passages, on s’approche du steampunk). Reginus est au centre de l’attention : jeune clerc sans aucune expérience, il est enlevé par un trio de mercenaires patibulaires. Et, jusque tard dans le roman, on peut se demander pourquoi, plongés que nous sommes dans cette brume. Car il n’est pas bon à grand-chose. Face à ce jeune homme un peu fade, du moins au début, Johan Heliot nous a gâtés : ses trois combattants possèdent des profils très différents et complémentaires, du plus raffiné et cultivé à la grosse brute, pas si monolithique que cela. Et il ajoute un chef cruel quand il le faut, sans état d’âme, accompagné par une mystérieuse ombre, jeune femme dont on ne voit que rarement le visage. Serait-ce une sorte de magicienne ? Plus quelques guest-stars qui font une apparition plus ou moins rapide, plus ou moins flatteuse. On serait malvenu de se plaindre.

Pour moi, La Fureur des siècles est un bon cru, servi par une superbe illustration de Didier Graffet. Johan Heliot a trouvé l’équilibre entre les différentes composantes de son récit : une trame historique solide, beaucoup de mystère, des personnages aux volontés farouches et aux ambitions démesurées, une figure centrale enrobée de magie et d’interrogations, une puissance d’imagination toujours impressionnante (certains mondes parallèles sont bluffants de réalisme). L’alchimie ainsi créée forme un texte dont il est difficile de se séparer avant la dernière page. J’en demande encore.

Présentation de l’éditeur : «Crois en la sincérité de celui qui aura pris la plume à l’orée de sa vie pour te livrer bien plus que ses confessions : la révélation des origines de ton monde. » Début du XVIe siècle. Léonard de Vinci, au service de François Ier, conçoit une machine prodigieuse dont les fumées font surgir d’autres temps. Tous ceux qui respirent ses brumes sont transformés. Certains deviennent autres tout en restant les mêmes, d’autres disparaissent corps et biens. À Florence, une bande de mercenaires enlève le jeune clerc Reginus. En mission pour voler la machine, ils comptent sur la mémoire extraordinaire du garçon pour les guider à travers les âges. Mais comment rester sain d’esprit au milieu de la furia ? Que contiennent les potions de la mystérieuse nièce du chef des mercenaires ? Et dans ces contrées déréglées, qui peut prétendre être réellement qui il est ?

Critic – Collection « Fantasy » – 22 septembre 2022 (roman inédit– 349 pages – Illustration : Didier Graffet – 21 euros)

Merci aux éditions Critic (Éric Marcelin) pour ce SP.

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