Burning Sky, Stéphane PRZYBYLSKI

Les États-Unis n’ont pas existé : la guerre de Sécession a perduré, ne permettant pas à ce pays si puissant aujourd’hui de venir au jour. Le Mexique en a profité et est devenu LA puissance d’Amérique. Avec une orientation tout autre. Plus respectueuse de la nature, loin du productivisme à tout prix que nous connaissons actuellement. Mais qui est à l’origine de ce changement ? Quel élément a déclenché cette uchronie ?

Et si…

Que j’aime cette phrase ! Combien de possibilités elle ouvre. Surtout quand l’auteurice nous plonge en pleine uchronie historique (selon la terminologie d’Apophis). Johan Heliot, ancien professeur d’histoire, en a fait une de ses spécialités. Récemment, il a publié La fureur des siècles qui se situe à l’époque de François Ier et de Léonard de Vinci et Les enfants de la Terreur, roman centré sur cette période de la fin du XVIIIe siècle. Et, pour nous rapprocher du sujet de Burning Sky, je peux rappeler Le Suprême sacrifice, de Jack Campbell, qui revisite la bataille de Gettysburg. Dont il est question aussi dans le romande Stéphane Przybylski. Mais avant d’y arriver, je dois citer l’excellent essai de Thierry Camous, Uchronies. Le laboratoire clandestin de l’histoire, qui joue de façon très scientifique avec dix hypothèses, revisitant ainsi l’histoire du monde. Passionnant !

Mais qu’en est-il de Burning Sky ? Stéphane Przybylski situe son roman entre 1862 et 1870 (à quelques chapitres près), aux États-Unis d’Amérique, qui n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. La Guerre de Sécession est là, meurtrière. Ainsi que l’avancée des colons sur les terres autrefois indiennes. La « civilisation » est en marche. Mais face à ce mouvement, plusieurs hommes et femmes vont se rencontrer et faire pencher la balance d’un autre côté que celui que nous connaissons. Guidés par le hasard ? Par des puissances divines proches des Indiens ? Rien n’est sûr, mais les rencontres ont lieu. Et elles seront fatales à la création des États-Unis d’Amérique dominants, arbitres du monde. Ceci n’est pas un divulgâchage de l’histoire, car on le sait dès le premier chapitre où une famille d’immigrants américains tente de pénétrer dans l’empire qui domine le continent. Et là, ce sont les Mexicains qui tiennent les rênes du pouvoir. Ce sont eux qui regardent de haut ces Américains prêts à tout pour fuir leur pays aux conditions de vie misérables. Retournement de situation, classique en SF, imaginé par Stéphane Przybylski, un Français vivant depuis plusieurs années aux États-Unis.

Un roman feuilleton

Stéphane Przybylski est connu dans le milieu de la SF pour sa Tétralogie des origines, parue originellement au Bélial’, puis publiée en poche chez Pocket (et adaptée sous forme de BD). Une série qui prend une base historique solide et lui adjoint une grosse pincée de SF et donne un ensemble convaincant et très ancré dans le réel malgré certains points typiques des littératures de l’imaginaire (Ovnis et petits gris, par exemple). Dans Burning Sky, l’auteur réutilise en partie cette recette : un contexte historique parfaitement documenté, aussi bien pour ce qui est des évènements que du contexte social ; auquel on ajoute une partie surnaturelle. Ici, les croyances indiennes, avec l’autre monde et les animaux totems qui guident les élus. Et, dans l’ensemble, la mayonnaise (pour continuer la métaphore culinaire), prend plutôt bien. D’autant que Stéphane Przybylski ajoute une forte dose de science, là aussi très bien documentée. Un de ses personnages principaux veut créer le premier dirigeable : la vue de montgolfières ingouvernables l’a agacé à tel point qu’il ne cesse de chercher une solution. La rencontre de plusieurs autres hommes au parcours atypique et avec un lourd bagage scientifique ou avec les idées qu’il faut où il faut lui permet de mettre en œuvre son projet. Reste le but. C’est simple : permettre aux Indiens de conserver leurs terres, leur liberté, leur fierté. Un message actuellement très audible.

Cette haute portion d’imaginaire amène Burning Sky vers une littérature populaire (attention, ce terme n’est pas péjoratif pour moi, il caractérise simplement des œuvres dont le principal moteur est le plaisir de la lecture, au détriment d’autres éléments, telle la recherche stylistique). Et ce côté est renforcé par les personnages qu’a choisis Stéphane Przybylski. Les héros sont des hommes aux caractères forts (ou qui vont s’affirmer en cours de route pour le plus jeune, qui vit ici son roman d’apprentissage). Ils viennent d’horizons différents : la Russie des tsars, la France de Napoléon III, un peuple indien particulièrement indépendant ; et quelques autres, dont le rôle sera moindre, mais aux parcours tout aussi originaux ou, pour le moins, aventureux. On se croirait dans ces films de la seconde moitié du XXe siècle, où la testostérone et la virilité sont la norme et où les femmes ne sont que de seconds couteaux, voire des objets. Et j’en arrive à un gros reproche que je pourrais faire à Burning Sky. Sans me la jouer féministe de base, je trouve que les femmes qui traversent ce roman sont pour le moins malmenées. Je sais qu’on est au XIXe siècle, aux États-Unis, mais fallait-il transformer la jeune et douce jeune fille du début du roman, aimée du héros, en un être ravagé par la haine, caricature de monstres féminins sans cœur et sans substance. De même, l’autre jeune femme qui fera vibrer le cœur de Ferenc, le personnage principal, n’est qu’une silhouette aux courbes charmantes qui ne servira qu’à aiguiser les sentiments du jeune homme. Sans aller plus loin. Pas très valorisant tout cela. Et un peu ringard à mon goût.

Une longue genèse

Mais cela n’enlève rien à la force de Burning Sky, roman au rythme efficace et que j’ai eu du mal à lâcher. Même si l’histoire ne m’a pas bluffé ni surpris dans son déroulement, j’en ai apprécié la lecture du début à la fin. Pour aller plus loin, je reproduis ici les mots d’Olivier Girard, le fondateur des éditions du Bélial’ (j’ai trouvé ces paroles sur le site du Bélial’). Répondant à un lecteur qui s’étonnait de la publication de ce roman dans une autre maison d’édition que la sienne, il parle un peu de la genèse de ce texte et j’ai trouvé cela particulièrement intéressant. Voici ce qu’il écrit : « Ce texte a une drôle d’histoire. Initialement, le sujet devait être un roman. Puis finalement une BD (un projet qui a été très loin). Avant de revenir à l’état de roman. L’équipe éditoriale du Bélial’ a engagé un gros travail sur ce titre, en s’investissant même un temps sur le format BD, qui n’était bien évidemment pas prévu pour nous. Diverses lectures et relectures, plans de travail, visio avec l’auteur (qui vit outre-Atlantique), annotations du manuscrit à diverses étapes. Tout cela s’est étiré sur une longue période. Jusqu’à ce que Stéphane trouve le temps long, et pose des exigences de planning de parution que nous ne pouvions tenir à un moment où le texte ne nous semblait pas encore totalement satisfaisant, le boulot d’édito pas encore assez poussé. Stéphane a alors décidé d’en rester là. De récupérer son manuscrit et de le proposer ailleurs. Chez Denoël, donc (et peut-être chez d’autres maisons, mais ça je l’ignore). Quand Pascal Godbillon, un ami de longue date, s’est montré intéressé, il m’a contacté pour me demander si cela me posait un problème. Je lui ai répondu que non. Il a donc publié Burning Sky. » Quand on n’est pas dans les coulisses de la création et de l’édition, ce genre de petites portes ouvertes est toujours agréable à découvrir.

Pour finir, la couverture

Je m’en serais voulu d’achever cette chronique sans parler de la couverture. Car j’ai trouvé que le pari de la couverture en noir et blanc était osé, mais fonctionne à plein. On reconnaît la patte d’Anouck Faure, dont j’avais apprécié certains travaux récents (La nuit du faune, Rendez-vous demain ou Apocalypse blanche) et dont le dernier roman attend sagement dans ma P.A.L. Cette illustration nous plonge dans le passé, mais apporte également le côté tragique de l’histoire. Et indique l’essentiel de ce récit, ce qui a déclenché le changement historique. Enfin, elle attire l’œil par son originalité et sa force. Ça me plait !

Lire Burning Sky a été un bon moment de plaisir. Je ne sais pas si ce roman restera longtemps dans ma mémoire, car son côté roman de gare assumé risque de lui valoir un oubli rapide au profit d’autres ouvrages plus marquants. Cependant, il m’a permis de m’envoler, loin, avec une galerie de personnages virils et conquérants, dans un monde où la nature sauvage règne en maitresse. Un monde où tout est possible, même de changer le cours du temps.

Présentation de l’éditeur : Et si les États-Unis n’avaient jamais existé ? 1863. Soutenu par Napoléon III, Maximilien d’Autriche se voit proposer la couronne d’empereur du Mexique. En Amérique du Nord, la guerre entre l’Union et les Confédérés est sur le point de prendre un tournant décisif. Ferenc von Richter, envoyé par le roi de Prusse pour le tenir informé de l’évolution du conflit, fait la connaissance du comte Ferdinand von Zeppelin, qui vient d’effectuer son premier vol en ballon à Saint-Paul, Minnesota. Ensemble, ils se prennent à rêver d’un monde où les plus légers que l’air mettraient fin à toutes les guerres. Mais Ferenc va croiser la route de Morleau, un Français ayant appartenu aux chasseurs d’Afrique, et celle de Mahpiya Ilé, un natif américain qui lui ouvrira les portes d’un autre monde… plus spirituel. Ces trois aventuriers pourraient faire de cette année 1863 celle où le cours de l’histoire a changé à tout jamais. Stéphane Przybylski mêle habilement les genres – western, roman historique, uchronie, roman-feuilleton – et propose avec Burning Sky un roman d’aventures uchroniques qui interroge les fondations sur lesquelles repose notre société : domination impérialiste des États-Unis, spoliation des natifs américains, politique colonialiste de la vieille Europe…

Denoël, collection « Lunes d’encre » – 8 février 2023 (roman inédit– 493 pages – Illustration : Anouck Faure – 22 euros / numérique – 15,99 euros)

Merci aux éditions Denoël (Morgane Bentz) pour ce SP.

D’autres lectures : Gromovar (Quoi de neuf sur ma pile ?) – Lhotseshar (Au Pays des Cave Trolls)

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11 réflexions sur “Burning Sky, Stéphane PRZYBYLSKI

  1. J’avoue que le côté roman de gare a un je ne sais quoi d’attirant pour moi car je me dis que ce doit être très agréable à lire, pas prise de tête et divertissant ^^
    Donc je note pour ma wishlist 😉
    Au passage merci pour le passage sur les coulisses de la publication. J’aime beaucoup ce genre de petite anecdote.

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  2. Merci pour ce billet très éclairant ! J’avais repéré ce titre (ah, cette couverture !) qui a beaucoup pour me plaire … mais je trouve le tarif de la version numérique prohibitif, d’autant plus qu’il y a une DRM. Donc j’attendrai patiemment la version poche (à moins qu’une de mes médias l’achète, on verra bien).

    Aimé par 1 personne

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