Unity, Elly BANGS

Un corps, plusieurs personnalités. Certains associent cela à de la folie (surtout dans ces thrillers plus ou moins réussis avec des tueurs particulièrement atteints). Mais cela peut également représenter l’avenir : unifier des esprits en un seul corps. Mêler les pensées, les sentiments d’êtres humains en un seul réceptacle. Quel progrès ce serait ! Quel danger aussi.

Un monde en équilibre précaire

Elly Bangs ne nous ménage pas. L’avenir qu’elle imagine est noir. Un peu comme l’actualité. Et même si ce monde est une sorte de monde parallèle, puisqu’il a connu, lui, en 2003, des explosions nucléaires annonciatrices d’une véritable guerre quelques dizaines d’années plus tard, on peut y croire. En 2159, les êtres humains ne parviennent toujours pas à éviter les querelles, les conflits, les guerres. Et l’amélioration de la technologie rend tous ces affrontements de plus en plus dangereux. Il suffit de regarder l’état de la planète sur laquelle évoluent les personnages de Unity. Deux camps s’opposent : Norpak vs Epak. Et la guerre mondiale (une de plus) est imminente. Mais attention, en matière d’armes, on ne parle plus de petites bombes, même nucléaires. On en est à la nanotechnologie : de minuscules saloperies qui avancent et dévorent tout, transformant les zones survolées en déserts gris et sans vie. De quoi éradiquer toute trace d’existence (et pas seulement humaine) sur la Terre. Angoissant et hélas crédible, au moins pour ce qui est de la déliquescence des relations internationales quand on pense au contexte actuel. Les individus sont soumis au bon vouloir de potentats plus ou moins cruels et exigeants. Souvent à la limite de la paranoïa : conserver le pouvoir nécessite davantage de soupçons que de confiance.

Quand la catastrophe climatique est arrivée, ils ont été incapables de l’accepter. Ils n’arrivaient même pas tous à admettre que la Terre était ronde et que les médicaments guérissaient les maladies !

Danaë

Il sera donc difficile pour le personnage central de ce roman, Danaë, de s’enfuir de la base sous-marine dans laquelle elle s’était réfugiée. Enfin, base, je pourrais presque dire complexe, mais sans le luxe parfois associé à ce mot. Ou cité sous-marine, où tout est serré et étroit, mais où on vit, à des profondeurs qui nécessitent l’ingestion de médicaments pour supporter la pression et ses effets sur l’organisme. Mais pour Danaë, tout cela finit par ressembler à une prison. Elle s’y cachait pour ne pas être retrouvée par une secte d’intégristes religieux prêts à tout pour s’en débarrasser (d’ailleurs, un fois de plus, la religion est vue par le côté intransigeant et violent : entre cette secte et la Sainte Confédération Occidentale, qui n’est pas un modèle de tolérance, il ne fait pas bon se dire athée). Mais les années ont passé et la jeune femme doit retrouver une part d’elle-même à une date bien précise. Donc elle doit sortir de Bloom. Et c’est là que tout explose et que les évènements s’enchainent, brutaux, cruels, inexorables.

Danaë va se retrouver associée presque malgré elle à celui qui devait être son passeur et lui trouver un moyen de retourner à la surface. Un tueur qui en a assez de supprimer des vies. Un homme brisé par une vie sans pitié : enfant enlevé très tôt à toute famille, à tout amour, pour se retrouver embrigadé dans une armée aux règles extrêmement strictes. La discipline comme seul mode de vie. L’honneur comme seul horizon. On ne vit pas vieux, en principe, dans ces conditions. Et pourtant, voilà Alexeï, en pleine recherche d’un sens à son existence. Et, à défaut, à une mort qui lui permettrait d’effacer ce vide intense.

On a donc affaire à deux personnages (et d’autres qui gravitent autour d’eux) en miettes, brisés, reconstruits, démolis. Sans parler de la multiplicité qu’abrite Danaë. Ils sont à l’image de leur monde. Et franchement, on a bien peu d’espoir pour eux.

Un immense jeu à somme négative. Voilà tout ce qui reste de cette terre. De la violence en tout genre. On prend à quelqu’un le peu qui lui reste et on s’y accroche jusqu’à ce que quelqu’un d’autre vienne vous le prendre.

Une course poursuite, mais pas que…

L’intrigue est assez simple et assez classique : une proie et des chasseurs. Des aides et des chausse-trappes. Mais Unity n’est pas un roman banal. Rien que son personnage central est d’une richesse folle. Source de questionnements variés sur l’identité : qu’est-ce qu’être soi ? Peut-on rester soi quand on partage tout ? Est-il souhaitable de rester soi seulement, se privant ainsi d’une phénoménale puissance ? Le corps n’est-il qu’un réceptacle ou a-t-il une influence sur l’esprit ? J’en passe un certain nombre, tout aussi intéressante. À travers un récit plein de rythme, Elly Bangs envoie du lourd et nous propose de nombreuses pistes de réflexion.

L’univers, aussi, qu’elle a imaginé, est suffisamment complexe pour être source d’interrogations et de curiosité tout au long de la lecture. D’ailleurs, les premières pages nécessitent, comme souvent, de respirer un bon coup et de plonger le bain, même sans tout comprendre : les renseignements sont distillés au compte-goutte, élément par élément. Cela maintient le suspens et l’attention du lecteur. Pour en revenir à ce monde, il a sacrément souffert de la présence humaine et de larges parties des territoires autrefois abondamment habités se sont transformées en désert inhospitalier : la Californie, par exemple,n’est plus qu’une bande de terres brûlées. Les derniers humains s’y accrochent comme au temps des westerns, dans de petites colonies plus ou moins pérennes. Et avec une notion de la loi très fluctuantes, selon les forces en présence. Mais on peut être certain que l’argent revient au centre de toutes les préoccupations.

Unity est un roman post-apocalyptique mâtiné de cyberpunk malin et addictif. Un « livre de route » (pour paraphraser indirectement Alain Rey qui cherchait un équivalent français à road movie) chaotique et enthousiasmant. Mais surtout une histoire pleine de détresse et d’espoir, de dégoût de soi et de volonté de rédemption. Un premier roman qui fait espérer d’autres récits aussi pleins d’invention et de force, de passion et d’imagination. Un texte à côté duquel il serait dommage de passer.

Présentation de l’éditeur : Danaë est unique. Danaë est multiple. Elle a trouvé le moyen de compiler en elle d’autres existences que la sienne, douze mille ans d’expériences humaines diverses. Comment ? C’est son inestimable secret. Piégée dans la cité sous-marine de Bloom City, à la veille d’une énième guerre mondiale, elle cherche un moyen d’échapper à ses propriétaires : le clan Méduse, une bande d’excités de la machette, tatoués et scarifiés. Elle n’a que trois jours devant elle pour rejoindre Redhill, sur la terre ferme. Trois jours pour se rendre à un rendez-vous dans le néo-désert dont dépend rien de moins que le futur de l’humanité. Alexeï, un mercenaire, pourrait l’aider, mais elle ignore s’il est digne de confiance. Aux marches du désespoir, fatiguée, menacée de toutes parts, Danaë ira jusqu’au bout de ses convictions, car son secret ne doit pas tomber dans de mauvaises mains. Jamais.

Albin Michel Imaginaire – 28 septembre 2022 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Gilles Goullet – 453 pages – Illustration : Aurélien Police – 21,90 euros)

Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire (Gilles Dumay) pour ce SP.

D’autres lectures : Gromovar (Quoi de neuf sur ma pile)ApophisVive la SFFF !Soleil vert (La sortie est au fond du Web)Stéphanie Chaptal (De l’autre côté des livres)Les lectures du MakiYvan (EmOtionS)OmbreBones (qui a abandonné avant la fin)CélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls)Maks (Un bouquin sinon rien)Anne-Laure (Chut… maman lit !)


13 réflexions sur “Unity, Elly BANGS

  1. Ta chronique est top parce qu’elle donne vraiment envie de se plonger dans le roman dont on parvient à bien saisir les grandes forces; et ce malgré l’univers carrément horrible du roman ^^
    Pas sûre que ce titre me convienne, en tout cas pas tout de suite. Je sais pas si je suis prête moralement pour ça 😐

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  2. Une de mes toutes prochaines lectures ! Ta chronique me donne encore plus hâte !
    (Sinon ton image de couv de l’article s’affiche comme étant la couverture du dernier querbalec sur mon lecteur WordPress, peut être un bug de mon côté, mais je te le signale quand même 😇)

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