Tous les arbres au-dessous, Antoine JAQUIER

Salvatore l’avait vue venir. Quoi ? Eh bien, la fin du monde. Pas celle promise par les grosses productions hollywoodiennes à base de gigantesque objet venu du fin fond de l’espace. Non, tout « simplement » l’effondrement de nos sociétés. Trop de tensions, trop de haines. Alors il s’y est préparé, s’est acheté une ferme isolée dans les Vosges et a attendu.

Un bon post-apo

Il n’a pas attendu longtemps. Tout s’est écroulé. Ce qui était normal et habituel a disparu au profit de la violence et du chaos. Du moins, c’est ce que Salvatore (et nous par la même occasion, car nous sommes collés à ses basques) croit, isolé qu’il est dans son trou de verdure. Avec ses poules. Et il survit sans problème majeur pendant plusieurs années, sans visite. Jusqu’à l’arrivée de Mira. Et là, tout change. L’extérieur fait irruption progressivement dans son quotidien et change sa perception des autres et du monde.

Tous les arbres au-dessous commence comme un roman post-apocalyptique classique (du moins, ce ce que j’en connais car, je me répète jusqu’à radoter, ce n’est pas mon genre de prédilection et ma connaissance de ce domaine est récente : je n’ai pas lu, par exemple, le célèbre La Route de Cormac McCarthy). On a la chute du monde connu et une personne qui tente de s’en sortir. Mais aucun rapport avec les deux ouvrages de Brian Evenson récemment parus en France, Immobilité et L’antre. Dans Tous les arbres au-dessous, le personnage principal sait où il met les pieds. Lui est prêt. En tout cas, il le croyait. Car, de façon assez plaisante, lors de sa narration de cette aventure, il nous fait bien comprendre certaines de ses erreurs. On a comme un crash-test de survivaliste en situation réelle. Il avait bien préparé pas mal de choses. La preuve, il a survécu plusieurs années. Mais d’autres points n’avaient pas été anticipés : absence d’autres animaux que les poules, manque de certains types de culture, etc. Antoine Jaquier semble s’être penché sérieusement sur la question et propose une mise en situation qui m’a parue réaliste. Tout cela est sans commune mesure avec d’autres romans post-apocalyptiques plus grandioses, avec fin du monde en technicolor : Afterland de Lauren Beukes ou Unity d’Elly Bangs. Ni même Les Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert. Ici, c’est plutôt un récit survivaliste, intimiste. Le sort du monde, on s’en fout. Le personnage principal essaie de survivre et tant pis pour les autres et le monde. J’ai beaucoup aimé le ton employé, entre sérieux et humour, qui permet d’affronter, comme Salvatore, avec un certain détachement, l’absurdité et l’horreur de ces moments. D’ailleurs, la lucidité est une des qualités de ce personnage, d’où son départ pour cette planque : « Avec la disparition de l’État, de l’argent, de l’eau courante, de l’accès à la nourriture et aux soins, l’entraide n’aura pas été le réflexe premier. »

Mais pas seulement

Ensuite, après l’arrivée de Mira, les évènements s’accélèrent. Et j’ai apprécié ce changement de rythme et de paradigme. Les relations qui s’installent, difficilement au début (d’autant que Mira ne parle pas, d’où son surnom de « muette »), puis selon des règles instaurées essentiellement par Salvatore. Car, comme il est le possédant, il se comporte, malgré sa générosité apparente, en chef. Il décide qui fait quoi. Les vieux clichés ont la vie dure. Et là aussi, c’est plutôt bien vu.

Par contre, après la moitié du roman (donc je vais essayer d’en dire le moins possible pour ne pas divulgâcher), il rencontre un nouveau personnage qui va lui permettre de découvrir l’ayahuasca. Et là, j’ai eu des réticences. Cela m’a aussitôt fait penser à l’écrivain Carlos Castaneda et ses récits proposant d’agrandir la conscience par l’ingestion de drogues. Pas nécessairement la même, je ne me rappelle plus, mais cela m’a évoqué de mauvais souvenirs. Et j’ai donc moins apprécié ce passage. Qui, pourtant, donne son titre à l’ouvrage. Mais je n’en dirai pas plus. Sauf que finalement, le traitement de cet épisode m’a moins gêné que je ne le pensais.

Avec la météo, nous sommes dorénavant une coquille de noix sur un océan incertain, plus de prévisions évidemment mais plus de logique non plus, plus de signe dans le ciel, d’almanach ou de baromètre, plus rien à quoi se raccrocher pour savoir de quoi sera fait demain.

Encore une bonne surprise que la lecture de Tous les arbres au-dessous. Même si j’ai moins apprécié la deuxième partie du roman, j’ai eu plaisir à suivre les tergiversations de Salvatore, un homme classique, égoïste et attachant, qui a eu raison avant les autres, mais pas au point de faire les efforts nécessaires à changer un avenir tragique. Observateur de la chute de son monde, il l’a fui, comme les rats quittent le navire avant qu’il ne coule, laissant ses comparses se perdre, sans remords. Un homme ordinaire, en fait.

Présentation de l’éditeur : Retranché dans une ferme isolée du massif vosgien, Salvatore a parfaitement anticipé la fin inéluctable de notre civilisation. Il s’est minutieusement préparé à la survie en autarcie. Mais après trois ans de solitude, son chemin croise celui d’autres survivants… Récit survivaliste digne des grandes heures de l’anticipation française, un Robinson Crusoé postapocalyptique qui nous invite à repenser la nature. « L’effondrement du monde, nous à sa surface, une liane pour monter vers le ciel et voir les arbres d’en dessous, à lire comme un bréviaire littéraire anti fin du monde. » Vincent Ravalec

Au diable vauvert – 12 janvier 2023 (roman inédit – 260 pages – 21 euros / numérique – 9,99 euros)

Merci aux éditions Au Diable Vauvert (et spécialement à Nathalie Paino) pour ce SP.

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