L’Enfant de poussière [Le Cycle de Syffe. 1], Patrick K. DEWDNEY

Nombreux sont ceux qui ont déjà partagé les aventures du jeune Syffe. Nombreux sont ceux qui ont souffert avec lui. Ses premières aventures sont parues en 2018, Au Diable Vauvert. Deux tomes épais, aux couvertures attirantes, bien que raisonnablement lugubres (arbres morts, corbeau perché sur une branche, couleurs d’automne ou d’hiver), au contenu dense et addictif : L’Enfant de poussière et La Peste et la vigne. Il a fallu attendre trois ans avant le retour du jeune garçon devenu jeune homme dans Les Chiens et la charrue, le troisième tome de ce cycle. Il était donc temps que je rattrape mon retard et entame la chronique de la vie bien mouvementée de Syffe.

Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?

Ainsi débute l’histoire de Syffe : orphelin, il est confié aux bons soins de la veuve Tarron, qui fait son travail, mais pas plus. Elle le nourrit, mais ne va pas se disperser en marques d’affections. Ni pour lui, ni pour les autres orphelins placés dans « l’orphelinat Tarron » : Cardou, Merle et la belle Brindille. Tous les quatre vivent comme ils peuvent, pas si mal finalement, dans un monde en plein bouleversement. Le roi est mort et, avec lui, l’équilibre entre les ambitions des barons locaux. Les trahisons se préparent, les coups en douce. Bref, la tambouille classique de ces moments de flottement.

Quel rapport avec un pauvre gamin survivant difficilement ? On peut se le demander effectivement. Mais rapidement, Syffe va se retrouver, suite à des choix plus ou moins heureux, au centre de certains intérêts. Et, surtout, au centre de certaines haines. Car il a le don pour s’attirer l’inimitié de certains puissants, évidemment rancuniers et stupides, prêts à tout pour se venger même d’un petit pouilleux. Surtout d’un petit pouilleux qui a osé les remettre à leur place. Et, si le hasard met Syffe en présence de personnages éminemment sympathique ou, au moins, désireux d’aider un peu le jeune garçon, il le place également entre les griffes d’individus faisant preuve d’une cruauté sans nom.

Une accumulation de coups du sort

Car le destin de Syffe est d’une richesse et d’une cruauté infinie. Il a plus fait en un roman, alors qu’il n’est pas encore un adolescent, que n’importe qui dans la vie réelle (je sais, en cherchant bien, on doit trouver quelques enfants avec une vie très riche, mais là, quand même, il bat des records). Bien qu’à l’origine de certaines directions prises par sa vie, Syffe est, la plupart du temps, passif. Il tente des choses, mais les évènements le remettent dans leur sens à eux. Et ne le gâtent pas. Cela m’a (évidemment, sans doute) rappelé le parcours d’un certain assassin royal (Robin Hobb) et le long calvaire que l’on aime à suivre. Avec une certaine dose de masochisme tant on s’attache au personnage et tant on souffre avec lui. Car Le roman est un parcours de souffrance, de déceptions.

Mais si je m’arrêtais là, je trahirais la réalité de cette lecture. Car oui, Syffe souffre et perd beaucoup. Mais, d’un autre côté, que de personnages passionnants il rencontre ! Dont Uldrick, guerrier aux méthodes dures et sans faiblesse, mais aux valeurs honorables et sans tâche. Dont Driche, jeune fille issue d’un clan nomade, pleine d’énergie et d’envies, qui permet à Syffe de s’évader par moments de sa routine délétère et d’apprendre la vraie valeur de l’amitié forte. Dont Nahir, scientifique et croyant, qui offre à Syffe l’accès à la culture et à la réflexion distanciée. Que de rencontres et d’occasions de se former, de s’ouvrir à ce qui n’est l’habitude, le confortable, le connu. Ce sont ces personnages qui créent Syffe, le modèlent, le forment. Mais, toujours, et j’y reviens, malgré la douceur dont certains peuvent faire preuve, dans la douleur et la contrainte. Syffe est forgé par les expériences et les apprentissages, mais pas modelé avec des doigts doux et tendres, plutôt travaillé au burin et au marteau, au ciseau à bois aiguisé.

Un faux-plat endiablé

J’avais acquis L’Enfant de poussière à sa sortie et l’avais laissé traîner dans ma bibliothèque, ne trouvant jamais le temps de m’y mettre (je le rappelle, le volume est épais). La parution très proche (le 9 septembre) du troisième volume m’a décidé. Et je n’ai pas regretté du tout. Car Patrick K. Dewdney a su créer un personnage formidablement attachant. J’ai aimé Syffe dès les premières pages et je me suis trouvé obligé de le suivre, malgré les coups du sort qui le mettaient à terre. Le rythme de ce roman, d’ailleurs, est paradoxal : Syffe vit quantité d’aventures, à tel point qu’à la fin du récit, on se retourne et on est impressionné par le nombre. Mais, en même temps, l’auteur prend le temps d’installer son univers, personnages et décor, avec des descriptions aux termes souvent originaux et fort beaux. Certains passages sont magnifiques et m’ont fait arrêter la lecture pour en goûter la mélodie, essayer de retrouver la sensation décrite, l’image évoquée.

Vous l’aurez compris, je ne regrette aucunement d’avoir enfin lu L’Enfant de poussière. D’ailleurs, je suis déjà dans le deuxième tome, La Peste et la vigne. Et je me prépare à attaquer, ensuite, Les Chiens et la charrue. À ceux qui, comme moi, se sont un peu inquiétés devant l’épaisseur du volume, n’hésitez plus. À la différence de certaines sagas dont on pourrait retrancher la moitié des pages sans rien perdre, ce premier tome du Cycle de Syffe est un bon cru dont pas une page ne mérite d’être supprimée. Il faut se perdre dans les pas de Syffe, jeune orphelin aux origines mystérieuses. Il faut se perdre dans ces paysages si lumineux et si présents grâce à la langue de Patrick K. Dewdney. Il faut lire L’Enfant de poussière.

Présentation de l’éditeur : La mort du roi et l’éclatement politique qui s’ensuit plongent les primautés de Brune dans le chaos. Orphelin des rues qui ignore tout de ses origines, Syffe grandit à Corne-Brune, une ville isolée sur la frontière sauvage. Là, il survit librement de rapines et de corvées, jusqu’au jour où il est contraint d’entrer au service du seigneur local. Tour à tour serviteur, espion, apprenti d’un maître-chirurgien, son existence bascule lorsqu’il se voit accusé d’un meurtre. En fuite, il épouse le destin rude d’un enfant-soldat.

Au Diable Vauvert – 17 mai 2018 (roman inédit– 623 pages – 23 euros) / Folio – 3 septembre 2020 (800 pages – 10,30 euros) / Epub – 12,99 euros

D’autres lectures : Encres & Calames, L’Atelier de Ramettes 2.1, Carnets lunaires, L’Ours inculte, Lhisbei, Reflets de mes lectures, CelineDanaë, Gromovar, Cédric, Anudar, Lune, Lorhkan, Just a Word, Charybde2, BlackWolf, Fantastinet, Un dernier livre, Elbakin, Stelphique,


8 réflexions sur “L’Enfant de poussière [Le Cycle de Syffe. 1], Patrick K. DEWDNEY

  1. Je l’avais repéré sans prendre le temps d’aller plus loin, mais la construction du protagoniste et des personnages qu’il rencontre suffit déjà à me donner envie. Ces derniers temps, j’ai été déçue par des romans où c’était faiblard de ce côté-là…
    Et le fait que l’intrigue soit riche mais pas inutilement bavarde est un argument supplémentaire pour se laisser tenter !

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