Valentina, Christophe SIEBERT

Cinq, ils sont cinq. Cinq ados de Mertvecgorod. Cinq ados qui, pour accepter le monde pourri qui les entoure, fait de violence et de sexe violent lui aussi, de pauvreté et de pollution extrême, se shootent du matin au soir et tournent à la musique punk d’avant 2000. Un cocktail détonnant et morbide, mais pas désespéré. Au contraire…

Une ville pourrie de l’intérieur

Pour ceux qui n’ont pas lu les deux précédents textes ayant pour cadre Mertvecgorod, Images de la fin du monde et Feminicid, petit rappel tiré du site https://mertvecgorod.wixsite.com/mertvecgorod : « Mertvecgorod, 7,2 millions d’habitants, est la capitale de la RIM, petite république née à la chute de l’URSS et coincée entre la Russie et l’Ukraine. Surnommée « l’océan de merde » par ses habitants, elle tire son économie de la destruction, du recyclage et parfois du trafic de déchets. De fait, la Zona, vaste no man’s land de 12 000 hectares qui coupe la ville en deux, est le plus vaste centre de gestion des ordures de la planète. » Cela met tout de suite dans l’ambiance. Bonne nouvelle, il n’est pas nécessaire d’avoir lu ces deux récits pour attaquer Valentina. C’est un plus, car cela donne une idée de l’endroit où on se situe, des tenants et aboutissants, mais, comme le rappelle l’auteur dans sa préface, Valentina appartient à un autre cycle que celui des Chroniques de Mertvecgorod, composé actuellement des deux romans cités plus haut : le cycle d’Un demi-siècle de merde. Tout un programme ! Autant, dans le premier cycle, Christophe Siébert dressait le portrait d’une ville en déliquescence, autant, dans ce deuxième cycle, il va s’attacher à des histoires particulières, plus intimistes. Pour vivre Mertvecgorod de l’intérieur.

Elle lutte contre l’envie de se faire des promesses qu’elle sait déjà ne pas pouvoir tenir.

Cinq jeunes, une bande, de la musique à fond

Meksi, Laska, Sbrod, General et Kreditka sont nés entre 1983 et 1986. Ils sont donc bien jeunes pour être livrés à eux-mêmes. Mais, comme dans toute cité en déshérence, les plus fragiles sont en première ligne. On s’attache donc aux pas de ces cinq paumés, qui ont la tête sur les épaules, mais n’ont pas d’autre horizon que la défonce et la musique. Mais attention, pas n’importe quelle musique : du punk et indus russe des années 1980-90. Bande-son dont Christophe Siébert nous précise, dans le corps du texte et en annexe, les références précises, si l’envie nous prend d’y jeter une oreille. Mais de toute façon, ce n’est pas nécessaire tant la musique est omniprésente dans cette histoire. L’auteur cite les titres, les noms de groupes, comme autant de fantômes exotiques sortis d’un chapeau usé. Rien que le support : des cassettes. Plongée dans un passé technologique mort et enterré pour la majorité. Puis il décrit en quelques phrases fortes ce qu’écoutent ses personnages. Chaque morceau, au cours du récit, est ancré dans les scènes : une « voix douce, profonde, rocailleuse » pour un moment émouvant ou « bon rythme bien binaire, années quatre-vingt à fond, synthétique, imparable » pour se réveiller. Et le décor sonore se met en place, à son rythme, un peu bancal.

Une mise en place un peu lente à mon goût

C’est d’ailleurs ce démarrage que j’ai trouvé un peu long. Cette mise en place des personnages, avec leurs vies en vrac, leurs habitudes de défonce : l’école juste le temps nécessaire pour éviter les ennuis. Et puis ensuite, les promenades, l’alcool, la drogue, la musique. La défonce en permanence ou presque. Le sommeil rare et inefficace. Il m’a fallu attendre l’arrivée du cadavre (je sais, ce n’est pas très glorieux) pour vraiment me sentir concerné. Malgré la présence par moments de curieux et mystérieux textes pseudo-poétiques, crus et violents, dont on ne découvrira l’auteur que plus tard et qui trouveront toute leur place dans l’intrigue : « Salopedemère avait raison pas vrai / Connarddepère avait raison pas vrai », « Dégorger le membrehonte dégorger le membresang ». Du Siébert dans le texte !

Cependant, le rythme prend, peu à peu, de l’ampleur. Et l’on devient accroc à ces enfants adultes, à leur énergie, à leurs rêves, qu’ils n’hésitent pas à tenter de mettre en pratique, malgré les difficultés, malgré le monde autour d’eux. Unis, solidaires dans la crasse, dans la merde, dans la mort, ils se soutiennent et vivent avec force. Et nous entraînent dans leur trip au point qu’on se trouve convaincu qu’ils sont bien, finalement. Qu’ils vivent pleinement, eux.

Elle se demande ce qui l’empêche de tout laisser tomber, de quitter la RIM, de tenter sa chance en Russie, en Ukraine ou ailleurs. Pourquoi pas l’Europe ? Elle ne trouve aucune réponse. Mais elle ne le fait pas, en tout cas. Elle reste là, sur le seuil du KBV, à fumer sa clope.

Christophe Siébert vit Mertvecgorod, sa cité en ruines, et pourtant toujours debout. Il lui a donné un souffle, putride certes, mais bien réel. Il lui avait offert une histoire et un cadre dans ses deux précédents romans. Avec Valentina, il la peuple. D’êtres pleins de passions, de sentiments, de besoins, de pulsions. D’êtres en sursis dans une ville condamnée. D’anges à la tête farcie de musique et de violence, au corps gorgé d’alcool et de drogue. Suivez-les dans leur parcours erratique, terrible mais teinté d’optimisme. Il en faut, pour vivre à Mertvecgorod.

Présentation de l’éditeur : Mertvecgorod, tournant de l’an 2000. Pour fuir une misère à laquelle ils sont socialement prédestinés, cinq ados noient leur lucidité dans toutes les drogues possibles et une bande-son pop, punk et indus russe des années 1980-90, romantique et rebelle. Mais l’assassinat de leur voisine Valentina, vieux travesti à la vie mystérieuse, va révéler une ombre bien plus dangereuse que leur petite délinquance ordinaire. Sous une trame impeccable de roman noir, Valentina fait la chronique d’une adolescence dans l’atmosphère d’une mégapole tentaculaire quelque part entre le Londres de Jack l’Éventreur et le Los Angeles cyberpunk de Blade Runner, transposés dans un postsoviétisme apocalyptique et décadent.

Au Diable Vauvert – 12 janvier 2023 (récit inédit– 264 pages – Illustration : Clo Porte – 21 euros / numérique : 9,99 euros)

Merci aux éditions Au Diable Vauvert (à Nathalie Paino) pour ce SP.

D’autres lectures : Nicolas Winter (Just a word)


6 réflexions sur “Valentina, Christophe SIEBERT

  1. Un auteur que je n’ai jamais lu, encore… J’aimerais bien, mais je ne suis pas certaine d’être le public de ses œuvres qui semblent vraiment hard dans l’univers.
    En tout cas, tu sembles avoir apprécié la ballade malgré la mise en place un peu longue et l’arrivée du cadavre qui s’est fait attendre (j’ai bien ri).

    Aimé par 1 personne

    1. Je dois t’avouer que j’avais un peu peur en abordant le premier volume de cet auteur. Pas vraiment ma tasse de thé. Mais il a su me prendre par les épaules et m’embarquer avec lui. Et, malgré l’horreur totale des situations décrites, je suis resté jusqu’au bout. Et même, j’en redemande !
      Et oui, il traine, ce cadavre…

      J’aime

Laisser un commentaire