L’Homme superflu, Mary Robinette KOWAL

Une croisière, un lieu idéal pour une lune de miel. Alors quand la croisière est spatiale, le plaisir doit être décuplé. Sauf quand (un grand classique) un meurtre vient tout gâcher. Et surtout, que vous ne pouvez vous empêcher de mener l’enquête, alors que vous faites partie des suspects. Tout cela risque de devenir nettement plus compliqué et moins réjouissant que prévu.

Une enquête classique…

Et c’est parti pour une enquête en huis clos. Un grand huis clos, d’accord, puisque nous sommes sur l’équivalent des paquebots de croisière où de riches femmes et hommes perdent un peu de leur temps si précieux. Et un huis clos d’autant plus clos que nous sommes dans l’espace puisque la croisière se déroule parmi les étoiles, entre la Lune et Mars. Idéal, disais-je, pour profiter d’une lune de miel bien mérité.

Car Tesla Crane a beau être riche, infiniment riche, elle n’est pas dans une forme éblouissante. Loin de là. Comme on le découvre très, très progressivement, elle a été victime d’un accident d’une gravité absolue. Sa vie a été menacée et elle en a gardé des séquelles très fortes : elle se déplace avec difficulté et, pour soulager le mal, elle possède un mécanisme implanté dans son organisme. Le RCPD lui permet de régler le seuil de douleur. Pratique et dangereux. Car si elle oublie ou se trompe dans le réglage, elle peut se brûler sans s’en apercevoir, se couper sans ressentir la souffrance. Bref, un joujou de pointe, mais au maniement délicat. Et elle va devoir l’utiliser un nombre de fois incalculable durant le roman. À se demander, d’ailleurs, comment elle ne finit pas paralysée dès la centième page. Comme dans ces films d’action où le héros ou l’héroïne reçoit un nombre de coups tel que n’importe qui serait mort une dizaine de fois.

Quand il se concentrait, il avait une vraie figure de détective, avec cette intensité lumineuse, comme s’il extrayait du sens à partir de rien.

Or Tesla va involontairement se retrouver au centre du cyclone. Un meurtre est commis et son tout nouveau mari est accusé. Premier réflexe, le défendre bec et ongle. Mais le problème, c’est qu’elle ne le connaît pas depuis très longtemps. Et puis, il était détective avant. Il venait juste de prendre sa retraite pour des raisons floues, vagues, non dites. Idéal pour offrir une prise aux soupçons, ça ! Il faut donc mener l’enquête. D’autant plus que celui qui est censé la diriger est un crétin fini et qu’il se contente de maigres soupçons pour penser l’affaire bouclée.

…dans un cadre qui l’est moins

Mary Robinette Kowal nous propose alors un récit assez classique, avec recherche du coupable, fausses pistes, meurtres, courses poursuites, etc. Du classique écrivais-je. Bien fichu, mais classique. La grosse différence avec Agatha Christie, par exemple, c’est le cadre non binaire qui est la norme. Quand un personnage se présente, après son nom, il précise son sexe : « Jalna Smith (Elle) », « Barry Fagin (Lui) », « Deston Koeben (Iel) ». D’ailleurs, les Mme ou M. qui précèdent habituellement le nom sont remplacés par le neutre Mx. Et pour aller plus loin, comme c’est Tesla le personnage central et qu’on est avec elle, dans ses pensées, on a plus de commentaires sur les fesses et leur galbe ou leur fermeté de son mari, Shal, que sur ses formes à elle. Dans le même style, ce dernier a pour occupation de la broderie : « Il rangea sa broderie dans son sac. » Les clichés sautent et la norme est l’exception actuelle. Une vision de l’avenir ?

De l’humour

Pour terminer, le ton général de l’ouvrage. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’autrice ne veut pas se prendre au sérieux. Son roman est parsemé de tirades légères, de répliques (plus ou moins) bien senties. Et dans ce domaine, une mention spéciale pour Fantine, l’avocate de Tesla, qui communique avec sa cliente depuis la Terre, donc avec un décalage en constante augmentation. Jusqu’à dépasser les dix minutes à la fin du récit. Pas pratique pour un dialogue constructif. Cela donne lieu à pas mal d’échanges savoureux. Surtout grâce au langage fleuri de ladite avocate. Quelques exemples : « par un procès si long et si sec qu’il déshydratera définitivement le crapaud moisi qui vous sert de cerveau. », « pas besoin de crier sur ce chancre purulent en mode égout. » ou « QU’EST-CE QUE TU FOUS, AU NOM DU GODE ARDENT DE JEANNE D’ARC ? ». Et ce ne sont que de petits échantillons.

De Mary Robinette Kowal, je n’ai lu que Lady Astronaute, le court recueil de nouvelles. Il me reste à découvrir sa célèbre série qui prend place dans cet univers (Vers les étoiles, Vers Mars et Sur la Lune). Dans un autre registre, L’Homme superflu est un agréable divertissement, qui ne casse pas trois pattes à un canard, mais se lit avec plaisir et rapidité tant on a envie de connaître la figure maléfique qui se cache derrière ces meurtres. Le rythme est dans l’ensemble soutenu et les temps morts sont rares. L’intrigue est suffisamment solide pour maintenir l’attention du lecteurice jusqu’au bout. Un bon moment de distraction, donc.

Présentation de l’éditeur :

Lorsque Tesla Crane, richissime et très célèbre inventrice, embarque sous un faux nom à bord d’un vaisseau de croisière entre la Lune et Mars pour célébrer sa lune de miel, elle est loin de se douter qu’un meurtre va être commis pendant le voyage. Et encore moins que c’est Shal, son tout aussi fortuné et illustre époux, qui va en être accusé par le service de sécurité.
Armée d’un verre de martini et de son humour caustique, aidée de son adorable chien, Gimlet, et de Fantine, son intraitable avocate restée sur Terre, Tesla va tout faire pour innocenter Shal, mettre hors d’état de nuire le criminel et, enfin, reprendre le cours plus ou moins tranquille de son voyage de noces…
Mary Robinette Kowal, après la série de la « Lady Astronaute » qui l’a fait connaître, nous livre un roman policier follement drôle, machiavélique dans sa construction et toujours aussi résolument féministe.

Denoël, collection « Lunes d’encre » – 14 février 2024 (roman inédit traduit de l’anglais [États-Unis] par Patrick Imbert –The Spare Man (2022)– 480 pages – Illustration : Jaime Jones – Grand format : 24,90 € / Numérique : 17,99 €)

Merci aux éditions Denoël (Pol Boixaderas) pour ce SP.

D’autres lectures : Les Lectures du Maki Yvan (EmOtionS)

Challenge marsien (autour de la planète Mars) – 2ème édition,
lancé par Ta d loi du cine sur le blog de dasola, jusqu’au 31 mars 2025
(2ème texte)

18 réflexions sur “L’Homme superflu, Mary Robinette KOWAL

  1. Exactement ce que j’attends du titre : un bon divertissement, efficace, dans un cadre qui change un peu pour ce type de récit. Ça a l’air de faire parfaitement le job.

    La question pour moi est donc maintenant : est-ce que je craque de suite ou patiente pour le laisser sur ma wishlist d’anniversaire qui est dans deux longs mois xD

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  2. Ah tiens, puisqu’il y a Mars là-dedans, voici un billet sur un « polar atypique » qui pourrai tout à fait s’inscrire dans mon « Challenge marsien (autour de la planète Mars) – 2e édition« , en cours jusqu’au 31 mars 2025 (encore plus d’un an!).

    Si vous en êtes d’accord, il vous suffit de me le dire en mettant un commentaire sous mon billet récapitulatif (et, idéalement, en rajoutant logo et lien dans votre propre billet, mais bon…).

    Je me note en tout cas que Mary Robinette Kowal continue à « tourner autour » de Mars, merci pour l’info!

    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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