Premières lignes #11 : Somnambule, Dan CHAON

Décidément, cette collection Terre d’Amérique de chez Albin Michel se révèle passionnante pour un amateur de littérature de genre. Que ce soit La Cité des nuages et des oiseaux, L’Intuitionniste, Mon nom dans le noir ou La Sentence, elle nous propose une série d’ouvrages à la limite du fantastique ou de la science-fiction, mais très souvent de haute volée. Comme j’ai lu des avis positifs, voire dithyrambiques, sur ce dernier roman de Don Chaon, j’ai voulu tenter l’expérience.

Premières lignes

La première fois que ça arrive, on est en octobre, et je traverse l’Utah dans mon camping-car avec ce jeune Philippin qui s’appelle Liandro. On se passe et repasse un joint au-dessus de la tête de Flip, le chien, qui dort entre nous, mais on ne parle pas vraiment. Liandro est vexé car il a les chevilles menottées.

J’étais passé le prendre au Chef Cheng, un restaurant chinois d’Elko, Nevada, et je lui avais expliqué que je faisais ça dans les règles de l’art, que je n’avais rien contre lui personnellement. Je lui avais demandé de s’asseoir sur le siège passager, de retirer ses chaussures et ses chaussettes, et je lui avais passé les menottes.

« Mec, avait-il dit en pliant les orteils. C’est franchement inutile.

– Je sais bien. »

Enfin. Il devrait s’estimer heureux d’avoir les mains libres, mais il n’est pas le moins du monde reconnaissant. L’air hautain, il tient délicatement le petit bout de joint entre le pouce et l’index, et tire longuement et lentement dessus. Puis il avance les lèvres, libère une volute de fumée, et regarde par la vitre comme si je n’étais pas là.

J’espère qu’il admire la vue. On traverse le désert de sel de Bonneville, autant dire que c’est comme s’il avait les yeux fixés sur un écran vide. Je tends la main et il me repasse le joint sans même jeter un coup d’œil dans ma direction. De minuscules gouttes de pluie scintillantes glissent sur les parties du pare-brise que les essuie-glaces ne peuvent pas atteindre, et je vois devant moi un grain de grésil devenir flocon de neige. Il tombe et se transforme tout à coup en duvet ultra-léger. Et maintenant il vole, comme s’il venait de lui pousser des ailes.

« On dirait qu’il commence à neiger, dis-je. Sans doute à cause de ce typhon dans la région de Seattle.

– Hum », fait Liandro, et il n’est pas plus intéressé par un quinquagénaire blanc qui parle météo que n’importe qui.

4^ème de couverture

« Chaon confirme son statut d’auteur majeur de la littérature américaine contemporaine. » Le Figaro

« Dan Chaon nous avait subjugués avec Une douce lueur de malveillance. Il frappe  plus fort encore avec Somnanbule. » Les Échos

Au volant de son camping-car, accompagné de Flip, son fidèle pitbull, Will Bear sillonne les routes d’une Amérique ravagée par les coupures de courant et envahie de drones géants. En tant que mercenaire itinérant, il accomplit sous de multiples identités diverses missions, parfois au péril de sa vie : assassinats, pose d’explosifs, transport de prisonniers… Mais sa bonhommie naturelle et ses microdoses quotidiennes de LSD l’aident à garder le sourire.

Jusqu’à ce qu’une jeune femme l’appelle sur l’un de ses téléphones, pourtant intraçables. Elle prétend être sa fille biologique et se dit en grand danger. Est-ce la vérité ou un piège mortel ? Faut-il se débarrasser d’elle ou au contraire saisir cette opportunité pour enfin changer de vie ?

Jouant avec les codes du roman noir et de la dystopie, Dan Chaon nous propulse dans un monde dominé par la violence et la technologie – un univers à la fois si loin et si proche du nôtre.

« Mon livre préféré a longtemps été Mrs Dalloway de Virginia Woolf, mais j’en ai un nouveau :　Somnambule de Dan Chaon. C’est un roman initiatique, au　sens le plus abouti du terme. Une expérience de lecture unique. » Laura Kasischke

Brèves réflexions

Début assez classique, mais avec un détail troublant : les menottes. On se demande bien qui sont ces eux personnages, qui est ce narrateur qui semble trouver normal d’attacher un jeune homme dans son véhicule. Quel est son métier ? Policier ? Peu probable : il manque les détails que l’on trouve habituellement. Et il ne laisserait pas son prisonnier tirer tranquillement sur un joint. Enfin, en principe. Chasseur de primes ? Je me demande si cela existe encore. Je ne suis pas au fait des évolutions de la société américaines et je ne lis pas suffisamment de polars contemporains pour savoir où en est cette profession. Truand alors ? Qui conduirait une victime quelconque à sa bande, ses chefs. Mais l’ambiance est bien trop décontractée.

En fait, ces premières lignes semblent banales, mais il s’en dégage une impression d’étrangeté, de malaise. Quelque chose ne colle pas, mais il est difficile de mettre le doigt dessus. Car rien en semble vraiment anormal. Seuls quelques éléments diffus instillent le doute, créent des interrogations. Il va falloir que je lise ce roman pour comprendre d’où vient ce sentiment et s’il est fondé ou juste issu de mon esprit fatigué.

En pratique

Dan CHAON, Somnambule

Albin Michel, collection « Terres d’Amérique » (1^er mars 2024)

372 pages

Sleepwalk (2022)

Traduit de l’anglais [États-Unis] par Hélène Fournier

Édition brochée : 23,90 € / Édition électronique : 16,99 €

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