Central Station, Lavie TIDHAR

Central Station. Là où tout le monde arrive, de là où tout le monde part. Là où les gens se croisent. Là où on vit. Central Station, nœud magnifique et désuet, hub interplanétaire où l’on trouve la dernière technologie à la mode et des vestiges d’un passé lointain, passablement oublié. Central Station, carrefour de nos sentiments, de nos peurs, de nos espoirs.

Un lieu

Central Station c’est en effet un lieu que l’on peut investir de toutes les images de gare, d’aérogare qu’on a dans la tête. Car Lavie Tidhar ne la décrit jamais vraiment. Quelques morceaux apparaissent au détour d’un chapitre, des parties se dessinent au gré des lignes. Mais rien de l’image globale, rien de l’ensemble. C’est à nous de bâtir le lieu dans notre esprit. Ce qui compte n’est pas l’architecture, mais l’utilisation qui en est faite. Et c’est avant tout un lieu de rencontre. Car les gens qui voyagent doivent passer par ce nœud. Ceux de la région s’y dirigent pour partir loin de la planète. Ceux qui arrivent y atterrissent avant de pouvoir rejoindre leur destination. Central station porte bien son nom : ce carrefour interplanétaire situé au sud de Tel Aviv concentre une vie diverse et riche, une variété d’individus.

Il aimait l’odeur de cet endroit, de cette ville. L’odeur de la mer, à l’ouest, ces effluves sauvages de sel et de grand large, d’algue et de goudron, de crème.

Une mosaïque

Miriam tient un shebeen (un bar illicite) près de Central Station, située au sud de Tel-Aviv. Elle y croise de nombreuses personnes. Comme Isobel, jeune femme prête à défier l’ordre établi puisqu’elle est amoureuse de Motl. Un robotnik, « ce mot ancien qui signifiait « ouvrier ». » Un soldat augmenté. Qui tombe en miettes car on n’a plus besoin de lui et qu’on ne lui fournit plus de pièces de rechange. Obsolescence programmée. Carmel aussi y passe, cette vampire d’un nouveau genre, une Shambleau (en référence, sans doute, au personnage de la nouvelle éponyme de Catherine L. Moore). Mais aussi Ibrahim, le Seigneur des Rebuts. Ou le robot Frère R. Ustine, qui officie dans l’Église Robot. Et d’autres encore, liés par un fil, des filaments ténus, invisible,s mais réels. Des vies dont Lavie Tidhar nous conte des bribes, mélancoliques, heureuses, inquiétantes, mystérieuses. Si on est un peu perdu au début, comme souvent dans une roman de SF, le temps de trouver nos repères, on se trouve rapidement en terrain connu et, malgré le dépaysement de cette zone de transit, on se sent chez soi à Central Station. Car l’auteur y greffe nombre de références à notre monde actuel. Ces personnages sont comme nos descendants, plus ou moins directs, transformés par le temps et les évènements, les progrès et les régressions. Et cela les rend attachants, malgré leurs défauts. Grâce à leurs défauts.

… des commerçants lunaires, des Chinois martiens en voyage organisé sur Terre, des Juifs des kibboutzim astéroïdaux de la Ceinture…

En dire plus à propos de ce récit serait le desservir à mon avis. Car Central Station, c’est avant tout une ambiance. On sent rapidement, en découvrant cette prose, que Lavie Tidhar a auparavant écrit de la poésie. Les phrases sont rythmées (même dans la traduction), les moments de contemplation (rapides, l’auteur ne s’appesantit pas) sont beaux et efficaces : quelques observations, quelques notations sur la ville, les gens. Quelques traits de pinceau qui caractérisent une journée, un moment. C’est diablement parlant : sans long discours, l’auteur fait vivre ce lieu et sa multitude de personnages qu’on prend un immense plaisir à découvrir puis à suivre. Laissez-vous embarquer dans les couloirs de Central Station, dans les rues qui l’entourent, dans les boutiques qui la cernent. Le voyage ne vous décevra pas.

Présentation de l’éditeur :

Boris Chong vit sur Mars depuis de nombreuses années. À son retour sur Terre, il atterrit à Central Station, un hub interplanétaire où l’humanité s’est réfugiée pour échapper aux ravages de la pauvreté et de la guerre : un véritable carrefour où se croisent des humains, des augmentés, des robots, des IA, des créatures génétiquement modifiées et même des entités extra-terrestres. Depuis son départ, bien des choses ont changé et c’est l’histoire de plusieurs vies qu’il va découvrir, entre une ancienne amante, un enfant aux dons étranges, un père malade, un cousin amoureux, un cyborg mendiant ou encore une data-vampire dont la présence est interdite sur Terre. De carrefour des planètes, Central Station devient alors le carrefour d’une humanité faite de débrouillardises, de sensibilités et d’amours, où chaque vie à son importance et chaque destin son parcours unique.

Lavie Tidhar nous offre une vision d’un futur et d’une humanité qui portent en eux la mosaïque d’un avenir fascinant, d’un monde en mutation constante où l’espoir est toujours présent.

Prix John-Wood-Campbell Memorial du meilleur roman de science-fiction

Mnémos – 21 février 2024 (roman en partie inédit traduit de l’anglais par Julien Bétan –Central Station (2016)– 254 pages – Illustration : J. Otto Szatmari – Grand format : 20,50 €)

Merci aux éditions Mnémos (Estelle Hamelin) pour ce SP.

D’autres lectures : Zoé prend la plumeCélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls)Just a wordLes Chroniques de FeygirlLes Lectures du Maki

Challenge marsien (autour de la planète Mars) – 2ème édition,
lancé par Ta d loi du cine sur le blog de dasola, jusqu’au 31 mars 2025
(1er texte)


20 réflexions sur “Central Station, Lavie TIDHAR

  1. J’étais à peu près sûre que tu aimerais ce texte singulier et cette ambiance ! Bien contente d’en lire ton retour, donc. Tu as raison, on ne parle pas d’architecture ici : la ville on l’expérimente, on la vit pleinement, à travers les petites histoires quotidiennes de ses habitants. C’est vivant, intime, attachant, oui.

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      1. Oui, en plus de l’ambiance, il y a une sensorialité très forte qui nous fait vivre, ressentir, respirer… les lieux. J’ai vraiment eu l’impression d’être catapultée à Central Station, comme une touriste qui vient de débarquer avec son portoloin, et qui capte beaucoup de stimuli partout, tente de s’y retrouver, de comprendre qui est qui, qui fait quoi, comment se construisent les rapports sociaux ici, comment s’est construite la ville, comment elle vit… L’auteur a vraiment bien su rendre les impressions que l’on ressent quand on arrive dans des lieux que l’on ne connait pas, qu’on est un peu perdus au milieu de quelque chose qui bouge dans tous les sens.

        Ca me donne vraiment envie de lire son 1er roman, tiens, à en reparler !

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    1. Je peux comprendre : j’ai eu du mal à mon premier essai. Il faut vraiment être capable de complètement lâcher prise. Donc trouver le bon moment. Mais le bouquin a l’avantage de ne pas être trop long (pas comme, dans un tout autre genre, « L’Homme superflu », par exemple).

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  2. Le résumé me parlait déjà beaucoup, mais ton billet me convainc dans cette certitude que c’est un texte qu’il faut que je lise, car je vais probablement adorer. J’aime ces textes qui racontent un voyage, qui créent un voyage. Tout haut dans ma wish-list, donc…

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