Un pays de fantômes, Margaret KILLJOY

Un journaliste est envoyé réaliser un portrait hagiographique d’un général sur le front. Même s’il sait que c’est de la pure propagande, il n’a pas le choix : il a auparavant écrit un article qui a déplu à certaines personnalités haut placées et son poste est menacé. Ce reportage est l’occasion de montrer sa bonne volonté. Mais il se retrouve en pleine guerre de conquête : la Borolie, son pays d’origine, tente d’envahir sous des prétextes fallacieux, la région des Cerracs, territoire montagneux habité, selon le pouvoir, par des sauvages qu’il faudrait « civiliser ».

Anarchisme

Selon le Larousse en ligne, l’anarchisme est une « conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l’initiative individuelles. » Pourquoi ai-je ressenti le besoin de commencer par cette définition ? Parce que ce roman est, sous couvert d’aventures, un moyen de découvrir le fonctionnement de sociétés respectant cette idéologie. Margaret Killjoy est une autrice américaine « anarchiste, féministe et anti-fasciste » pour reprendre sa page Wikipedia qui vit actuellement dans les Appalaches. Et plus précisément (et c’est là ce qui m’intéresse) dans une zone habitée par des anarchistes, une sorte de communauté en fait. Donc, l’anarchisme, elle connaît. Elle le vit. Et, dans ce roman au beau titre, elle nous le fait connaître.

Candide chez les anarchistes

Nous suivons donc, dans ce roman, les pas de Dimos Horacki, journaliste condamné aux « chiens écrasés » depuis un article gênant. Il habite la Borolie, un état dirigé d’une main de fer par ses dirigeants et dont les institutions permettent la main mise sur la population. Même si Dimos juge certains côtés de sa société injustes ou liberticides, il ne pense pas à se révolter. C’est ainsi que les habitants se laissent diriger sans réagir. Certains pourront penser que cela ressemble en partie à nos sociétés modernes. D’autres trouveront cette comparaison excessive. Margaret Killjoy ne dit rien, se contente de laisser son lecteur faire ses propres choix. Et pour cela, elle lui offre un panorama de ce que propose l’anarchisme. Ou plutôt, les anarchismes. Au pluriel. Car, comme va le découvrir Dimos, les peuples des Cerracs ne pensent pas tous la même chose, ne sont pas tous d’accord entre eux, n’attendent pas la même chose d’une société. Mais ils sont tous plutôt anarchistes.

Revenons rapidement à l’histoire : Dimos est donc envoyé pour faire un portrait de Dolan Wilder, « jeune loup issu de l’armée impériale de Sa Majesté ». Le but ? Justifier la campagne menée dans les Cerracs, habités selon les autorités, par des sauvages ignorants que les enfants de Borolie viendront civiliser. Que les sous-sols de cette région montagneuse soient riches de ressources précieuses n’a bien sûr aucun lien avec cette invasion ! Mais, et je ne divulgâche pas beaucoup puisque cela intervient rapidement, Dimos est fait prisonnier par la Compagnie Libre de l’Andromède bleue. Quel nom ! Cette troupe lutte contre l’envahisseur, malgré son petit nombre. Dans ce groupe, pas de leader, pas de chef. Les prises de décision sont collectives. Avec des règles définies : chacun peut donner son avis, chacun peut prendre la parole, en respectant les autres.

Les règles ? Pas de règles

Et c’est là que l’histoire devient fascinante. Car Dimos va voyager à travers cette région et même de groupe en groupe. Je ne raconte pas les péripéties qui vont le mener d’un endroit à un autre, elle font partie du plaisir de découvrir que je ne voudrais pas gâcher. Sachez seulement qu’elles font leur boulot et que les pages se tournent rapidement : l’ouvrage est agréable et rapide à lire. Mais ce qui m’a le plus intéressé dans ce roman, outre les tribulations de Dimos et ses interrogations, ce sont les miennes, justement, d’interrogations. Car le fait de promener Dimos comme un Candide, totalement ignorant du concept d’anarchisme, à travers une telle région est évidemment un moyen très intelligent de permettre au lecteur de découvrir les bases d’une telle pensée. En fait, Un pays de fantômes c’est un peu « L’anarchisme pour les nuls » ou « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’anarchisme sans oser le demander ». Et comme texte d’initiation, c’est une réussite. Car Margaret Killjoy ne se montre pas sectaire, ni prosélyte. Elle propose au contraire un panorama très nuancé de ce qu’offre l’anarchisme. Et n’hésite pas à montrer ce qui ne fonctionne pas, ce qui manque d’efficacité. Et les dissensions : on découvre même une région qui s’est séparée du groupe principal, car ses habitants ne veulent pas respecter les règles principales. C’est pourquoi ce roman est si agréable à lire et si important. De par le parcours de son autrice, il acquiert une certaine légitimité et de par sa forme, très réussie, il attire le lecteur.

Un pays de fantômes a été pour moi une très bonne surprise, car je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en l’ouvrant. J’y ai découvert un témoignage romancé attachant et passionnant, qui m’a ouvert des portes et m’a amené à réfléchir à certains éléments de notre société qui mériteraient sans doute d’être repensés. J’ai également pris beaucoup de plaisir à suivre les tribulations de Dimos, le personnage principal, double du lecteur. Un voyage à ne pas rater.

Présentation de l’éditeur : Poussé par une industrie florissante et une politique expansionniste, l’empire borolien se tourne cette fois vers les Cerracs, un territoire montagneux composé d’une poignée de villes et de villages ; une simple formalité. Journaliste en disgrâce, Dimos Horacki signe désormais des papiers ronflants dans une gazette de la capitale. Mais voilà que son employeur l’envoie au front écrire un article élogieux sur un général en vue de l’armée impériale. Sur place, Dimos découvre la réalité de l’expansion coloniale, et surtout, il met un visage sur leurs mystérieux ennemis, les anarchistes de Hron, qui défendent non pas leurs possessions, mais leur mode de vie et leur indépendance. Et tandis que la guerre fait rage autour de lui, que ses pas le portent de ferme en village jusqu’à la cité-refuge de Hronople, le reporteur voit peu à peu ses convictions voler en éclat.

Argyll – 25 août 2022 (roman inédit traduit de l’anglais [États-Unis] par Mathieu Prioux – A Country of Ghosts (2014) – 200 pages – Illustration : Xavier Collette – Édition brochée : 19,90 € / poche [Pocket] : 8,30 € / numérique : 9,99€)

D’autres lectures : Nicolas Winter (Just a Word)Les chroniques du ChroniqueurBoudicca (Le Bibliocosme)Brize (Sur mes brizées)Lhisbei (RSF Blog)Les Lectures de Xapur

Troisième récit de ma participation à ce défi, le Challenge S4F3 2022.

24 réflexions sur “Un pays de fantômes, Margaret KILLJOY

  1. Très beau retour qui donne très envie de lire ce récit. Dire que je l’avais entre les mains à la bibliothèque et que je l’ai reposé au profit d’un autre… Bon dès que je le revois, je le prends.

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  2. Je le referme et j’ai beaucoup aimé ce livre !
    J’ai beaucoup ri à ton article cependant :
    « Candide chez les anarchistes » et  » En fait, Un pays de fantômes c’est un peu « L’anarchisme pour les nuls » ou « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’anarchisme sans oser le demander ». Et comme texte d’initiation, c’est une réussite.  »

    C’est amusant, mais c’est vrai !

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