Demain, même heure, Emma STRAUB

Alice va avoir quarante ans. L’âge du coup d’œil circulaire sur sa vie. Et comme souvent dans ce genre d’histoire, le spectacle n’est pas fameux : elle travaille toujours dans l’école où elle a été élève pendant que ses anciens camarades y envoient leurs enfants. Elle, est restée célibataire et sans progéniture, pas par choix. Plus par laisser-aller. Le temps file et nous voilà. Mais justement, le jour de son anniversaire, sans comprendre comment, elle va se retrouver dans son moi de seize ans. Et soudain, tout devient possible !

Un thème hyper classique

Emma Straub ne s’en cache pas, elle a choisi un thème déjà lu et vu des dizaines de fois. D’ailleurs, tout au long de son roman, elle en joue. Elle cite des titres de romans ou de films traitant de la même histoire. Et s’amuse, avec nous, au jeu des différences. Quand Alice est perdue, elle tente de se rappeler comment les personnages de ces différents récits s’en étaient sortis. Et prend exemple (ou pas) sur eux. Amusant et bourré de clins d’œil. De Peggy Sue s’est mariée à Retour vers le futur en passant par The Kindred (dont l’ouvrage titre, d’Octavia E. Butler, a été republié voilà quelques temps par la très bonne maison d’édition Au Diable Vauvert sous le titre français de Liens de sang) ou La Maison du Lac. Toute une époque. Rien de bloquant pour qui n’est pas spécialiste de ce genre. Mais des allusions rapides et sympathiques pour ceux qui ont vécu cette période. J’y ai même trouvé trace du célèbre débat qui agite les amateurs de Starwars : « savoir si Han Solo avait tiré le premier » (dans Le Syndrome Magneto, Benjamin Patinaud y fait lui aussi référence pour sa démonstration). Enfin, ici, on parle de voyage vers le passé (et retour), pas de saut dans l’avenir comme chez Liu Cixin dans la nouvelle « Les Migrants du temps », par exemple.

La science-fiction n’est tenue à la cohérence qu’entre ses propres murs, même si ces murs englobent tout ton monde.

Dans Demain, même heure, le pourquoi et comment du voyage temporel à proprement parler n’est pas évacué. Mais pas résolu non plus. On finit par en comprendre les mécanismes, même si, bien évidemment, scientifiquement parlant, rien n’est expliqué. Mais ce n’est pas le propos. Le propos, c’est la capacité d’Alice à utiliser ce don pour résoudre ses problèmes. Enfin, surtout un : son père est mourant. Peut-elle agir là-dessus et lui éviter ce destin ? Car il est encore raisonnablement jeune et les médecins sont impuissants à traiter son mal qu’ils ne comprennent pas.

Que faire de ce pouvoir ?

Quand on obtient ainsi un pouvoir qui nous met au-dessus des autres, la question vient vite de savoir quoi en faire. Dans Un Jour sans fin, le personnage joué par Bill Murray passe par toutes les phases : de l’égoïsme pur et à dur à l’altruisme totalement désespéré, de la joie de la découverte au fin fond du désespoir. Dans ce roman, Alice est avant tout perplexe et presque amusée. Ne serait-ce que par la différence de sensation entre son corps de quarante ans auquel elle était habituée et celui de seize qu’elle retrouve d’un coup. Les remarques sont truculentes et certains passages sont fort bien vus. Je n’ai pas testé, mais j’imagine volontiers l’effet que cela produirait (surtout quand je me lève, tout rouillé, le matin).

Quiconque a déjà vu un film ou lu un livre sur le voyage dans le temps sait qu’il y a toujours un but. Parfois, c’est de tomber amoureux de quelqu’un qui est né à un autre siècle, parfois juste de réviser sa leçon d’histoire.

Mais l’amusement n’a qu’un temps. Alice, quand elle a enfin compris ce qui lui arrivait, doit faire des choix. Ce qui n’est pas facile sans recul. Et là, Emma Straub se montre plutôt habile, puisqu’elle nous fait vraiment partager les réflexions de son héroïne. On est comme elle perplexe devant cette irruption d’irréalité dans un monde tout ce qu’il y a de plus banal. On est comme elle perdu devant les possibilités offertes. On est comme elle amusé par ce passé retrouvé. Et on est convaincu par les choix effectués. Car, en fait, ce qui se joue vraiment dans ce récit, c’est une série de choix. Même si Alice obtient un pouvoir supplémentaire, elle ne se transforme pas en divinité absolue. Elle peut davantage, mais elle ne peut pas tout.

Une pilule de jouvence

Résumer Demain, même heure à un voyage temporel et à des questionnements incessants serait cependant une erreur. Ce roman est avant tout un voyage sans nostalgie mais avec un grande tendresse vers un passé révolu et pourtant pas si lointain. Et pas n’importe quel passé. C’est d’ailleurs là que cela s’est un peu gâté pour moi : un passé new-yorkais. Et ce récit a vraiment été écrit par une New-Yorkaise pour des New-Yorkaises. Donc, au début, je me suis un peu ennuyé car il me manquait pas mal de points de repère. Sans compter que je ne suis pas une femme quarantenaire et certaines préoccupations me parlaient un peu moins. Mais après quelques pages un peu longuettes à mon goût, l’action a vraiment commencé et j’ai réussi à entrer pleinement dans l’histoire, même si certains noms de boutiques, restaurants ou cafés m’étaient absolument étrangers. Je me suis laissé embarquer dans cette histoire invraisemblable et pourtant si réaliste où l’on retrouve d’un claquement de doigt les années 90. L’évocation en était criante de vérité et cela m’a un peu replongé dans ce passé à la fois si lointain et si proche.

Malgré un démarrage un peu lent à mon goût, Demain, même heure a été pour moi une lecture très agréable et parfois surprenante. Car Emma Straub a su mener son histoire un peu à côté de là où je l’attendais et cela m’a été agréable. Elle a su apporter un peu de profondeur à un récit avant tout distrayant. Un roman ô combien recommandable, donc.

Présentation de l’éditeur : Un voyage dans le temps poétique qui nous plonge dans l’effervescence du New York des années 1990. Au milieu de ses voisines manucurées de l’Upper West Side, Alice Stern détonne. Elle travaille dans l’école où elle a étudié, elle est en couple mais elle vit seule, dans le même studio qu’il y a quinze ans, et elle n’a pas prévu d’arrêter de fumer. Sa vie est passée en un clin d’œil, et la voilà à l’aube de ses quarante ans. Alice pensait qu’elle aurait eu plus de temps pour se prendre en main. Elle pensait aussi qu’elle aurait plus de temps auprès de Leonard, son père, malade. Le soir de son anniversaire, elle s’endort devant leur ancien appartement de Manhattan. Le lendemain matin, elle se réveille en 1996, le jour de ses seize ans. Et, encore plus choquant : elle se retrouve face à un Leonard fringant. Alice comprend vite comment passer d’une temporalité à l’autre et explorer les différentes versions de sa vie et de celle de son père. Maintenant qu’elle en a le pouvoir, changera-t-elle le cours de leur existence ?

Les Escales – 6 avril 2023 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Mathilde Bach – This Time Tomorrow (2022) – 390 pages – 22 euros / numérique : 14,99 euros)

Merci aux éditions des Escales (Anne Laborier) pour ce SP.

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