Le syndrome Magneto, Benjamin PATINAUD

Et si en fait, le véritable héros de nos histoires était le méchant. Et si en fait, on prenait plus facilement le parti, secrètement, honteusement (ou pas) de celui qui, normalement, devrait nous faire peur, nous dégoûter. Et si en fait il était le vrai héros de l’histoire, le seul à vouloir vraiment changer les choses.

Un mal-aimé plutôt apprécié

Sans méchant, pas de gentil. Sans super-vilain, pas de super-héros. Autrement dit, vu le nombre de héros, c’est à une masse phénoménale de méchants que nous avons droit. Mais tous ne se valent pas, tous n’ont pas la même destinée. Dans le tas, un surnage forcément : Magneto. En tout cas, c’est ce qu’affirme Benjamin Patinaud, alias Bolchegeek dans cet ouvrage à la couverture fortement évocatrice. Dans cet essai, il s’attaque au personnage qu’on est censé détester mais qui est finalement bien attirant à travers la figure de ce mutant qui aura droit à son procès, comme certains chefs nazis à Nuremberg. Pour expliquer ce phénomène, l’auteur déroule plusieurs raisons en différents chapitres intitulés « Symptômes ».

Le modéré semble penser qu’il faut protester pacifiquement pour être entendu, et le radical qu’il faut être entendu pour que ça reste pacifique. Le second reprochera au premier de servir la soupe. Le premier reprochera au second de cracher dedans.

Une des principales causes (qui est répété un certain nombre de fois) est que lui seul tente de faire bouger les choses. Dans toutes les œuvres examinées (les comics mettant en scène les X-Men sont la base du corpus, mais d’autres œuvres viennent s’y agglomérer), le constat est clair : la société est inégalitaire et laisse de côté une grande partie de sa population. Et malgré cela, rien ne change. Quand un méchant débarque pour améliorer cette situation, le héros l’en empêche au nom de l’ordre. Ce dernier est le garant des règles. Même si elles sont injustes. Il est juste là pour faire respecter la loi. Même si cette loi le met en danger (les mutants des X-Men sont parfois rejetés par les non-mutants, voire parqués ou pire). Alors que le méchant, lui, n’hésite pas à la remettre en cause. Pour le bien commun, il est prêt à mettre sa vie en danger. Bon, c’est vrai qu’il met aussi souvent en danger celle des autres et qu’il agit la plupart du temps de façon disproportionnée et souvent cruelle. Mais, selon l’auteur du Syndrome Magneto, ce serait comme un réflexe de défense des créateurs de ces histoires que d’exagérer l’horreur du méchant pour éviter qu’on puisse lui donner raison. Quelques-uns ont bien essayé de modifier le regard de leurs lecteurs, mais cela n’a pas duré et, dans le long terme, tout est revenu à la normale.

Un essai qui tourne un peu en rond

Je reconnais de réelles qualités à cet ouvrage : il pose à plat pas mal d’idées qui tournent dans les têtes depuis des années et permet de les mettre devant soi et d’y réfléchir attentivement. Et cela fait du bien quand quelqu’un fait le boulot pour vous, surtout quand il est documenté comme ici. Cependant, l’effet général est assez lassant. Surtout au début. J’ai eu beaucoup de mal à avancer dans le premier tiers car j’avais l’impression que, justement, on n’avançait pas. Je comprends que certaines comparaisons sont pertinentes et marquent les esprits, mais est-il nécessaire de mettre en parallèle je ne sais combien de fois les oppositions entre certains personnages (le professeur Xavier et Magneto, essentiellement) avec le célèbre Martin Luther King vs Malcolm X ? Au bout d’un moment, j’ai eu le sentiment que cela ne progressait aucunement et que le livre n’allait être qu’un éternel recommencement, l’auteur reprenant les mêmes arguments, avec d’autres personnages, d’autres exemples.

J’ai malgré tout persévéré, et bien m’en a pris, car de nouvelles idées sont apparues. Mais il reste tout de même cette idée de plan répétitif et de remplissage. Ce qui est dommage car, comme je le disais, certains points sont intéressants. Pas révolutionnaires, mais intéressants. Et surtout tout le fond de critique sociétale. Ce rejet des méchants a sans doute à voir avec le rejet de la société de tout ce qui peut déranger l’ordre établi. Et donc, l’oppression de certains par d’autres. Benjamin Patinaud cherche, semble-t-il, à montrer qu’en fait, ce sont les méchants les plus intéressants dans les histoires. Car eux n’hésitent pas à tenter d’améliorer la société, de mettre le doigt là où cela fait mal pour pouvoir faire évoluer les mentalités. Mais ils en sont empêchés par le carcan des habitudes, protégé par des super-héros super-réacs, en fait.

Puisque la violence esthétisée, commune aux deux camps, fait partie intégrante de la culture pop, la démarcation entre gentils et méchants ne se situe plus tant entre violence et non-violence qu’entre légitimité et illégitimité de la violence.

Bilan de cette lecture ? Mitigé. La forme est sympathique, même si le ton est parfois agaçant (mais je suis sans doute un vieux qui a du mal avec certaines habitudes actuelles). Certaines idées sont intéressantes, même si l’ensemble est un peu brouillon et répétitif. Le syndrome Magneto est un ouvrage de passionné qui a le mérite d’exister et de mettre en lumière un certain regard sur la culture des comics. Et qui donne une furieuse envie de se précipiter dans sa collection pour y retrouver tous ces personnages hauts en couleur. Surtout les méchants.

Présentation de l’éditeur : «Tout le monde aime les méchants. La culture populaire en a produit de toutes formes et toutes couleurs. Mais tous ne commettent pas leurs atrocités pour de viles raisons. Certains ne veulent pas détruire le monde : ils veulent le changer. Utopistes malencontreusement dystopiques, extrémistes plus ou moins bien intentionnés, libérateurs aux penchants totalitaires, terroristes se vivant comme résistants : ce livre leur est consacré. » De Thanos à Poison Ivy, de Killmonger à Daenerys, en passant par les sorcières et autres freaks, il fallait donner un nom à ce troublant phénomène, un nom en hommage à son leader incontesté : le syndrome Magneto.

Au Diable Vauvert – 6 avril 2023 (essai inédit – 438 pages – 23 euros / numérique : 14,99 euros)

Merci aux éditions Au Diable Vauvert (Nathalie Paino) pour ce SP.

D’autres lectures : L’imaginaerum de SymphonieJust a wordDionysos (Le Bibliocosme)


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