Orosco [Second Œkumène .2], John CROSSFORD

Einar et ses amis ont fait une découverte qui va changer considérablement la donne : ils se sont posés sur ce qui ressemble à une grosse boule de pierre parmi d’autres. Mais en fait, ils ont retrouvé le Galileo, une des arches parties depuis la Terre pour essaimer à travers l’univers et donner une nouvelle chance à l’humanité. Et à l’intérieur, que de surprises ! Des armes, de quoi se nourrir, mais surtout les inventions d’un défunt et génial savant.

Œkumène, une définition

Je commence par remercier deux contributeurs du site Babelio qui m’ont fait des remarques tout à fait pertinentes et m’ont amené à me poser la question de l’origine du nom « Œkumène ». Tout d’abord, jamiK a évoqué sa parenté avec le Cycle de l’Ekumen d’Ursula Le Guin. Puis kanux (autrement dit Xavier Dollo, un des fondateurs de la maison d’édition Argyll – aka Thomas Geha), lui, m’a permis de découvrir (ou redécouvrir, car j’ai lu ces textes voilà bien des années) que Jack Vance plaçait l’action de sa Geste des Princes-Démons dans l’Œcumène, un regroupement de mondes civilisés. Dans tous ces cas, nous avons effectivement affaire à un vaste empire englobant de nombreux mondes éloignés les uns des autres. Ce nom de cycle peut aussi simplement faire référence au sens premier du terme Œkoumène. Selon le CNRTL, ce mot d’origine grecque (οἰκουμένη, « habité ») désigne un « espace habitable de la surface terrestre, tout ou partie. » Le Second Œkumène serait alors le deuxième espace occupé par les êtres humains après la Terre, le premier Œkumène.

Une histoire en trois axes

On reprend là où on en était : Orosco est la suite directe (vraiment directe : les premières pages nécessitent d’avoir bien en mémoire les dernières de Régulus). D’ailleurs, il est un peu dommage que l’éditeur n’ait pas fourni un court résumé de ce premier volume au début d’Orosco. Je sortais à peine de Régulus donc pas de problème. Mais après quelques mois, la mise en route risque d’être difficile : je crains un peu la reprise en novembre pour le troisième tome, Providence.

Par contre, le roman reprend avec la même fougue et le même côté addictif. On suit Einar dans ses découvertes : il va se retrouver confronté à des I.A. particulièrement performantes. D’autant qu’elles semblent presque se jouer de la matière. Les robots contenant ces I.A. peuvent, en effet, traverser n’importe quelle paroi, par exemple. Déroutant, mais bien pratique. Cela fait partie du charme, mais aussi des défauts de cette série : le deus ex machina. Quand il le faut peut apparaître un objet ou un personnage quasiment magique qui permet de débloquer la situation. Et la vraisemblance en prend parfois un coup. Comme dans Starwars avec la force, qui ne peut trouver de fondement scientifique (Roland Lehoucq a bien essayé dans son remarquable ouvrage Faire des sciences avec Star Wars, mais sans succès). Mais si l’on oublie momentanément son côté cartésien, cela passe comme une lettre à la poste. Donc Einar parvient à retourner la situation et à sauver ce qui peut l’être de la société de la Ceinture. Mais Eleazar a fait des dégâts. Il va falloir trouver une solution pour survivre. Et cela passe par l’abandon des habitats spatiaux et la vie sur Orosco. Mais les habitants de la planète ne verront sans doute pas l’arrivée des mineurs, les flojo comme ils les appellent, d’un bon œil. Nos héros vont devoir faire preuve de diplomatie et user finement des pouvoirs des alter et des I.A. à leur disposition.

Pendant ce temps-là, deuxième axe, l’amiral MacGregor doit jouer lui aussi finement s’il veut sauver l’Empire des dangers qui le menacent. Et tout simplement sauver sa peau. Rappelons qu’il navigue dans les hautes sphères, lui qui vient des bas-fonds. Nombre de galonnés et nobles ne lui pardonnent pas cette ascension et l’appui que lui fournissait l’empereur. De plus, les coups fourrés se multiplient. Avec mensonges et assassinats dont les commanditaires restent mystérieux.

Enfin, dernier axe, à peine ébauché dans le premier roman, le périple de frère O’Connor à travers l’Empire. Sa mission officielle, rappelons-la : récupérer des alter sur plusieurs planètes éloignées pour les ramener à Vatican afin qu’ils soient jugés et permettent ainsi à l’église de réaffirmer son unité. Rien de tel qu’un ennemi commun pour resserrer les rangs ! Mais on sent rapidement que tout cela n’est pas bien net et que le commanditaire de la mission, l’éminence grise du pape très affaibli (comme l’empereur, décidément), a d’autres buts cachés.

L’église, source de haine et de conflits

Je profite de l’évocation de l’église décrite par John Crossford pour remarquer combien l’église catholique a mauvaise presse dans pas mal de récits de SF que j’ai croisés ces derniers temps. Par exemple, dans la trilogie de Pierre Bordage, Métro Paris 2033 (Rive gauche, Rive droite et Cité), les hommes d’église sont, pour la plupart, des obsédés du pouvoir et du sexe, ne vantant les mérites d’une divinité que pour obtenir des avantages en nature. Ils sont d’une cruauté et d’un égoïsme phénoménaux. Dans le Second Œkumène, les hommes d’église (et il faut bien dire « hommes », car les femmes sont méprisées dans cette église aux préceptes dignes d’une secte archaïque et intransigeante) sont calculateurs et sans pitié pour beaucoup de ceux que nous croisons : les uns tirent des plans pour obtenir le pouvoir, d’autres ne rêvent que de revenir aux temps bénis de l’église fermée à tout ce qui est différent. Vous êtes une femme, vous êtes un étranger, vous êtes autre, priez pour votre salut, mais sachez que vous ne vivrez pas longtemps car votre présence est un crime aux yeux de Dieu. Je caricature à peine. On rencontre même des croisés dans Orosco. Heureusement, pour éviter la caricature, que quelques hommes d’église tranchent avec ces portraits détestables. Mais, dans l’ensemble, pas grand-chose à tirer de ces individus (et je ne parle même pas de Corradino, qui apparaît sur la fin, et se rêve en nouveau Torquemada).

Les faiblesses

À présent, comme j’en ai évoqué quelques-unes, il faut tout de même parler des faiblesses de ces romans. Pour commencer, je l’ai écrit plus haut, le manque de vraisemblance de pas mal de situations. L’auteur se permet certains raccourcis, certaines résolutions de crise un peu simplistes. Mais cela reste raisonnable et ne choque que si on veut rester terre à terre (un comble pour un lecteur de SF). Autre petite gêne que j’ai éprouvée, le côté insistant de John Crossford sur certains points. Par exemple, quand les troupes d’Eleazar sont venues punir les mineurs, elles ont violé les femmes et en ont emmené certaines pour servir de prostituées sur Orosco. Le crime est terrible et choquant. Mais on en reparle je ne sais combien de fois, comme s’il fallait bien insister sur le côté atroce d’Eleazar et de ses troupes. Sortir les gros sabots n’est pas obligatoire pour que l’on comprenne. Cela se rapproche du côté un peu caricatural dont je parlais dans ma chronique de Régulus : les personnages méchants sont vraiment très méchants. Les gentils, très gentils. À la longue cela peut lasser (ou rappeler certains faiblesses de certains ouvrages de littérature jeunesse). Il faut faire confiance aux lecteurs / lectrices. Je me rappelle avoir ressenti la même gêne dans les premiers romans de Romain Benassaya que j’avais lus : une tendance à asséner certains points, de peur que l’on oublie. Mais, malgré tous ces petites réserves, j’ai adoré lire Orosco.

D’ailleurs, je me trouve presque en manque et vois la date de parution du troisième volume comme éloignée, si éloignée. Alors qu’en fait, l’éditeur a rapproché les cinq romans de façon impressionnante : la parution s’échelonnera sur un an et demi. Pas grand-chose au regard de nombre de sagas interminables aux délais fluctuants. Donc merci à Critic, malgré mon sentiment de manque. En plus, la richesse des différentes trames prouve que John Crossford en a gardé sous le pied pour les prochains tomes et qu’il devrait envoyer du lourd. J’ai hâte de savoir comment certains fils vont se dénouer. Vivement novembre pour découvrir la suite des tribulations de ce passionnant Second Œkumène.

Les livres de cette série : Régulus, Orosco, Providence, Vatican et Taraël (novembre 2023).

Présentation de l’éditeur : — Aux confins de la Galaxie, l’empereur qui règne sur le second Œkumène se meurt. L’humanité stagne, une révolte larvée couve, et les ambitieux manœuvrent en coulisses. Face au chaos qui menace, quelqu’un peut-il encore sauver l’empire ? — L’empereur agonise, et l’Empire ne vaut guère mieux. Partout, des conflits naissent, nourris par des haines religieuses ou ethniques. Un système complet pourrait même faire sécession, mais seul l’amiral MacGregor semble prendre cette menace au sérieux.Sur Orosco, Einar et Anya font une découverte qui pourrait tout changer : une technologie susceptible d’améliorer radicalement le sort de l’humanité… ou de la conduire à sa perte. Et si le pire ennemi de tous, c’était la peur ?

Critic – 17 juin 2022 (roman inédit– 549 pages – Illustration : Djibril Morissette-Phan – 23 euros / numérique : 13,99 euros)

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