Après tout, Ian SOLIANE

Claire est morte. Suite à une longue et douloureuse maladie. Un calvaire que le narrateur a vécu comme une descente aux enfers. La maladie de Charcot a progressivement grignoté celle qu’il aimait. Claire a lutté, longtemps, vivement. Mais son corps l’a progressivement lâchée. Et elle est morte. Pourtant, le narrateur lui parle encore, la touche. Par quel miracle ?

La SF au service du deuil

En lecteur de SF, on comprend rapidement, dès les premières lignes, ce qui lui a permis cette deuxième chance : « Pendant la mise en route du freeware, les yeux de Claire roulent dans ses orbites. » Son épouse adorée est revenue sous forme de robot, d’androïde, d’être de métal recouvert de peau synthétique. Démarre alors un apprentissage chaotique, mais si doux. Les deux êtres, humain et mécanique, doivent s’habituer l’un à l’autre. La machine est en rodage. Elle prend ses marques. Comme l’I.A. de Christopher Bouix (Alfie), elle doit mettre bout à bout ses connaissances et s’adapter à son nouvel environnement. Car si la machine Claire possède les souvenirs de son modèle, elle ne se comporte pas toujours comme elle. Certaines expressions, charmantes, reviennent. D’autres sont plus surprenantes. Elle reste parfois immobile, comme en pleine concentration ; à d’autres moments, elle se comporte comme une enfant qui découvre la vie, grimpe sur les meubles, dessine sur les murs.

Mais elle est là et comble ce vide atroce qui empêchait le narrateur de vivre. Elle est là et c’est Claire qui est là à nouveau. Le jour et la nuit. Car cette nouvelle compagne aime particulièrement faire l’amour. Beaucoup, partout. Ce qui m’a rappelé « La Guerre est finie », nouvelle de Chi Ta-Wei parue dans son recueil Perles (L’Asiathèque). Les androïdes y servent à gérer les besoins sexuels des humains. Mais chez Ian Soliane, la machine n’est pas forcée à accueillir son partenaire, elle le désire. Ou, en tout cas, est présentée comme telle.

Une narration double

Car la particularité et la force de ce récit, c’est la façon dont il est écrit. Pour commencer, on est dans l’esprit de ce narrateur détruit par la longue et douloureuse maladie de son épouse, on ne perçoit le monde qu’à travers ses yeux, ses pensées. Ce qui nous rend solidaires, complices, pleins d’empathie pour ce drame qui se déroule devant nos yeux. Imaginez comment le reste du monde va accepter cette résurrection. Comme chez Ray Naler, dans sa nouvelle « Père » (voir le Bifrost 105 ou le recueil Protectorats chez le Bélial’), les autres ne peuvent supporter cette chose différente. Qui, en plus, ici, prend les traits d’une défunte aimée. En plus, ce type de machine n’est pas fréquent encore. Il est plutôt de l’ordre du prototype. D’ailleurs son « inventeur », « ingénieur » vient régulièrement effectuer des réglages, réparer ce qui dysfonctionne. D’où la peur et l’incompréhension, voire les insultes et la violence.

Claire se prend un coup de pied dans le dos et tombe sourdement par terre.

Autre trouvaille narrative essentielle, capitale : la structure, qui donne à ce récit toute sa puissance. La narration est double : en parallèle de la vie au présent avec la machine, l’auteur intercale des épisodes des moments de vie avec Claire. Quand elle était en pleine forme. Quand la maladie s’est déclarée. Quand il a fallu la combattre. Quand la mort est arrivée. Après le décès de Claire. Tout cela avec un style poignant, mais pas larmoyant. Des mots et des phases d’une grande tenue, mais acéré et efficace. Certains passages touchent au cœur. Comment résister à ça ? Comment tenir dans de telles conditions ? Quelles ressources trouver pour continuer à vivre normalement ? Et même à vivre tout court ? On comprend vraiment, au fil des pages, les raisons du choix du narrateur, pourquoi il vit avec une copie de Claire. Et, de mon côté, je me suis demandé comment j’aurais réagi. Si j’aurais franchi le pas. Je me suis interrogé sur ce qui était le plus fort. Et je dois dire que je n’ai pas la réponse.

Ensuite je me suis rendu compte que je devenais fou.

Ian Soliane était pour moi un inconnu avant la réception de ce roman tout en souffrance et en réflexion, en douleur et en espoir. Mais j’ai été séduit par sa plume, aux associations de mots parfois étonnantes mais vives, pleine d’empathie et de tendresse, en même temps que de rage et de questions. J’ai découvert aussi que l’auteur avait déjà fait une incursion dans les « mauvais genres » avec Basqu.I.A.t (en 2021 chez le même éditeur). Il va falloir que je me procure cet ouvrage : s’il est aussi fort qu’Après tout, il ne faut pas le manquer.

Présentation de l’éditeur : Après tout est une histoire d’amour inoxydable. Quand la technologie permet de «ressusciter » une copie conforme de l’être aimée. Un veuf désespéré fait revenir la femme qu’il aimait, pour la chérir et la protéger comme si elle était vivante. Refus de la réalité ? Fuite dans la psychose ? Le récit débute au premier jour de son retour puis vient le moment de la présentation au fils, à la famille et à la société toute entière. Le nouveau monde est peut-être le Paradis retrouvé : le moment est arrivé d’une tragédie qui n’aura plus la mort pour conséquence.

JOU – 5 avril 2024 (roman inédit – 128 pages – Édition brochée : 12 €)

Merci aux éditions JOU (Éric Arlix) pour ce SP.

D’autres lectures : Gromovar (Quoi de neuf sur ma pile ?)FeydRautha (L’épaule d’Orion)


22 réflexions sur “Après tout, Ian SOLIANE

  1. C’est difficile de ne pas compatir avec la souffrance de cet homme qui a perdu sa femme.Ça pose question sur des IA qui remplaceraient les défunts. L’auteur devrait écrire une suite🙂

    Aimé par 1 personne

  2. Pardon,je me suis mal exprimée, c’est moi qui depuis mon point de vue pense qu’il pourrait envisager une suite un jour.

    Ce serait intéressant de voir l’évolution des personnages.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire