Bifrost n°105

Le nouveau Bifrost est arrivé ! Numéro 105, consacré à une légende de la SFF, Leigh Brackett. Quelle autrice ! Même si ses textes portent les traces de la période à laquelle ils ont été écrits, ils sont encore très actuels dans leurs questionnements et leur force narrative. Outre le dossier, quatre nouvelles de haute volée : du Genefort, du Brown, du Brackett bien sûr et quelqu’un que je ne connaissais pas mais que je vais surveiller de près dorénavant, du Ray Nayler.

Les nouvelles

« Père », de Ray Nayler

Pour moi, Ray Nayler est un inconnu. Normal, puisque je ne lis pas en V.O. et qu’il n’est pratiquement pas traduit en français. Mais j’espère vraiment que cela va changer. Dans « Père », l’action se situe aux États-Unis d’Amérique peu après la Deuxième Guerre mondiale. Le père du jeune narrateur y est mort. Un jour, on sonne à la porte : le jeune garçon découvre un robot humanoïde, mais pas du tout ressemblant à un être humain. Toute la mécanique et la ferraille restent apparentes. Pourtant, il se présente comme le Père du narrateur. Et, aussi surprenant que cela paraisse, au fil des jours, il prend peu à peu cette place laissée vide, même s’il ressemble à une grande boite de fer-blanc. Cependant, la présence de cette merveille de la technologie ne passe pas inaperçue et crée des tensions qui vont aller s’exacerbant. Un texte superbe, d’une grande sensibilité. Sans mièvrerie aucune. Qui évoque des sentiments sans lourdeur, avec finesse, par allusions. Qui raconte une histoire classique, en fait, nonobstant la présence du robot, mais d’une façon telle que j’en ai été totalement séduit. L’amour, l’amitié, le lien entre les adultes et les enfants, les suites psychologiques de la guerre, la peur de la nouveauté, voilà quelques thèmes abordés dans cette superbe nouvelle. Cela me donnerait presque le courage de tenter de lire en V.O.

« Cavorite », de Laurent Genefort

Après L’Abrégé de cavorologie, Laurent Genefort nous offre un autre bonbon à déguster avant (ou après) la lecture de son nouveau roman, Les Temps ultramodernes. Il nous propose 21 courts textes, qui tous tournent autour de la cavorite et des bouleversements qu’elle a induit dans la société qu’il a imaginée. Cette société aux doux relents de steampunk, avec plusieurs tours Eiffel réparties dans Paris, des véhicules volants. Ce sont pour la plupart des articles de journaux, écrits avec talent, car au style différent selon le journal concerné et ses idées. De petites vignettes, moments de vie variés, dramatiques ou truculents, jamais gratuits en tout cas car riches d’enseignements sur le monde imaginé par cet auteur prolifique. J’attendais la parution de cette « nouvelle » pour enfin attaquer le roman, dont je parlerai donc bientôt ici.

« La Tragique affaire de l’ambassadeur martien », d’Eric Brown

Quand Sherlock Holmes rencontre les Martiens imaginés par H.G. Wells, le lecteur est sûr de passer un bon moment. Cette nouvelle se situe juste avant Simulacres martiens, novella juste publiée par le Bélial’ dans sa collection Une Heure-Lumière. Sans être obligatoire à la lecture de ce récit, elle permet de se mettre dans l’ambiance et de mieux comprendre les rapports qu’entretient le détective avec le vice-ambassadeur de Mars en grande-Bretagne. En effet, pour ceux qui n’ont lu aucun des textes mentionnés ici, il me faut leur annoncer que l’Humanité a finalement perdu sa guerre contre les Martiens. La première vague a bien été réduite à néant par un virus, mais une deuxième, menée par des Martiens venus d’un autre continent, a eu un plus grand succès. Et les tripodes règnent en maîtres sur la Terre. Or, l’ambassadeur a été assassiné et le temps que les enquêteurs arrivent de Mars, toutes les preuves auront disparu. Sherlock Holmes est donc sollicité, dans une enquête somme toute classique, mais bien troussée, et qui nous offre les clefs de l’univers imaginé par Eric Brown. Une lecture pétillante.

« Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel », de Leigh Brackett

Voici une nouvelle efficace et poignante. Une race extra-terrestre est venue sur Terre et tente de l’aider à s’élever vers une vie meilleure. En améliorant le climat, en enrichissant la technologie et, surtout, en tentant de pacifier l’humanité. Mais pour cela, il faut se confronter à la dure réalité. C’est ce que fait un jeune couple d’ingénieurs qui finit par arriver dans ce qu’on pourrait qualifier de bled pourri avec sa population de bouseux pas encore remis de la fin de la ségrégation et qui considère ces nouveaux venus comme des « nègres verts ». Eh oui, les extra-terrestres sont de « toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ». Le texte est dur mais, hélas, toujours d’actualité. On sent la tension monter, on sent venir le drame, mais on le ressent comme un uppercut. Pourtant, Leigh Brackett ne s’étend pas en descriptions pleines de voyeurisme. Elle va à l’essentiel, ce qui rend la nouvelle d’autant plus efficace. On sent le talent de l’autrice qui maitrise parfaitement la construction d’un récit pour l’amener jusqu’à la phrase finale, glaçante. Si seulement la lecture de ce récit pouvait faire réfléchir certains.

Le dossier

Il fallait bien un bon gros dossier de la revue Bifrost pour rendre hommage et faire découvrir cette grande autrice, qui a marqué une époque et a su faire sa place dans un monde réputé d’hommes. Et quelle place ! Leigh Brackett a brillé dans plusieurs genres littéraires et au cinéma. Comment ignorer qu’elle a crée le scénario de L’Empire contre-attaque. Le personnage de Han Solo lui doit beaucoup. D’ailleurs, dans l’article passionnant de Pierre Charrel qui évoque les rapports de la « dame de Mars » avec le cinéma, j’ai découvert qu’elle avait, au départ, prévu à Han Solo un beau-père très puissant qu’il aurait dû tenter de rallier à sa cause, contre l’Empire. Mais George Lucas en a décidé autrement en fin de compte.

Le portrait de Charles Moreau, qui ouvre le dossier, est une nouvelle version de sa postface érudite et passionnante au Grand livre de Mars reparu récemment, cette fois dans la collection Kvasar du même Bélial’ (une lecture qui s’impose, bien sûr, quand on apprécie cette autrice). On y découvre ses liens très forts avec son époux, Edmond Hamilton, dont elle a sans doute écrit plusieurs textes ; mais aussi l’admiration que lui vouait Ray Bradbury, qu’elle a accompagné dans ses débuts (et ensuite). Puis arrive une interview qui date de 1976, mais fascine par son ton très libre et ses anecdotes. La complicité entre Edmond Hamilton et Leigh Brackett illumine le texte. Après l’article traitant des liens avec le cinéma dont j’ai déjà parlé plus haut, arrivent le traditionnel guide de lecture et la non moins traditionnelle biographie d’Alain Sprauel. Ce dossier est un bon cru, qui m’a permis d’aller plus loin dans ma connaissance d’une autrice dont j’admire le travail depuis longtemps.

Je ne parle pas des autres rubriques, pas par manque d’intérêt, mais plutôt de commentaires pertinents à faire. Sachez juste que le prix des lecteurs de Bifrost va cette année à : « Je vous ai donné toute herbe », de Christian Léourier pour la nouvelle francophone et « La Viandeuse » de Ian R. MacLeod pour la nouvelle étrangère. Prochain numéro, un spécial Kim Stanley Robinson.

Sommaire

NOUVELLES

  • Père, de Ray NAYLER
  • Cavorite, de Laurent GENEFORT
  • La Tragique Affaire de l’ambassadeur martien, d’Eric BROWN
  • Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, de Leigh BRACKETT

RUBRIQUES ET MAGAZINE

  • Objectif Runes : les bouquins, critiques & dossiers
  • Le coin des revues, par Thomas Day
  • Paroles de représentant : Olivier Legendre, par Erwann Perchoc

AU TRAVERS DU PRISME : LEIGH BRACKETT

  • Dame de Mars, Vénus et autres mondes, par Charles Moreau
  • Leigh Brackett & Edmond Hamilton : une interview, par Dave Truesdale
  • Colt & Chivalry, ou le cinéma selon Leigh Brackett, par Pierre Charrel
  • Le Grand Livre de Leigh Brackett : un guide de lecture
  • Bibliographie de Leigh Brackett, par Alain Sprauel

SCIENTIFICTION

  • Ma vie de Cane aux Œufs d’or : une interview exclusive, par Roland Lehoucq et Fabrice Chemla

INFODÉFONCE ET VRACANEWS

  • Paroles de Nornes : pour quelques news de plus, par Org et Erwann Perchoc
  • Prix des lecteurs de Bifrost 2021 : les lauréats
  • Droit insolite et science-fiction, par Raphaël Costa

Présentation de l’éditeur : Il pleuvait sur la vallée depuis trente-six heures, une pluie drue, ininterrompue. Le sol était saturé. Le moindre repli aux flancs hérissés crachait un torrent boueux qui courait s’agréger aux autres torrents en contrebas avant de se déverser par des chenaux naturels dans la rivière. Une rivière qui, tirée de sa torpeur coutumière, roulait en rugissant tel un nouveau Mississippi, déchirant ses berges, s’étalant en une vaste tache jaune sur les champs et dans les rues de Grand Falls fuies par ses habitants en quête de hautes terres. Arbres déracinés et poutres emportées heurtaient les murs des vieilles bâtisses en brique de la grand-rue. Dans le hall de l’hôtel, les crachoirs de bronze flottaient de plus en plus haut, entrechoquant en un glas pitoyable leurs flancs sonores. Au sommet des crêtes fermant la vallée au nord-est et au sud-ouest, cachés par une main méticuleuse, deux petits mécanismes bourdonnaient sans interruption — des minisemeurs qui ne devaient rien à la technologie terrienne. Leur énergie s’épuiserait en quelques jours, mais pour l’heure, ils fonctionnaient avec une efficacité remarquable, propulsant un courant régulier de particules chargées d’électricité vers le ciel, ensemençant les nuages qui s’amassaient sur les crêtes. Dans la vallée, la pluie tombait toujours… Leigh Brackett Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel

Le Bélial’ – 27 janvier 2022 (11, 90 euros ; numérique : 5,99 euros)

D’autres lectures : Ombre Bones, François Schnebelen (Yozone), Le Dragon galactique,

+ 4 nouvelles
Bonus : Lire un texte d’un auteur francophone
Avancée du challenge : 15 nouvelles/novellas lues.

4 réflexions sur “Bifrost n°105

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