Deux Hommes dans les confins, Robert SHECKLEY

AAA, « Les As de la Décontamination Planétaire ». Au pays de la libre concurrence et des entreprises toutes puissantes, pas facile de se faire un nom et de survivre. Richard Gregor et Frank Arnold le savent bien, eux qui tentent, tant bien que mal, d’empêcher leur petite boite de couler définitivement. Alors ils acceptent quelle mission, y compris celles que les compagnies plus implantées refusent parce qu’elles sont jugées infaisables ou trop loufoques. Heureusement que nos deux amis sont ingénieux. Et un peu inconscients.

Un duo très réussi

Inconscients ? Enfin, pas tous les deux. C’est surtout le cas du Dr Frank Arnold, celui qui se considère comme le cerveau du groupe. Et se doit donc de rester dans son bureau, à rechercher et trouver, bien évidemment, les solutions aux problèmes qu’il a lui-même causés en acceptant certains défis particulièrement osés. Comme de faire voyager des smags, des firgels et des queels dans le même vaisseau. Pas évident, hein ? Mais j’y reviendrai plus tard. Car celui qui paye les peaux cassés de cette audace toute relative (celle des planqués), c’est son ami, Richard Gregor. Lui serait les muscles dans le duo. Mais cela ne l’empêche pas de comprendre à chaque fois qu’il se fait avoir et de voir venir de loin les dangers qui vont lui pleuvoir sur le crâne, grâce à son ami. Et de tenter d’y remédier, car Arnold n’est pas le seul à faire preuve de finesse. Et les voir se lancer quelques piques, assez aimables, mais qui touchent juste, est plutôt réjouissant. Tout comme les voir se dépêtrer des problèmes qu’ils ont, sinon créés, du moins accepté de gérer est un petit moment de délectation.

Mais si nous ne réussissons pas à remplir le contrat… nous serons liquidés.

Des situations à la limite du loufoque

En effet, les six nouvelles proposent à nos deux compères des situations à chaque fois quasi inextricables. Comme les smags, les firgels et les queels dans « Une mission de tout repos ». Que sont ces êtres aux noms étranges (petite parenthèse : motion spéciale pour les noms propres inventés par Robert Sheckley dans ce recueil. Je ne sais pas s’il a accumulé des consonances aussi fantasques et étranges parce qu’il trouvait que ce la sonnait bien ou pour se moquer des autres noms inventés pas ses collègues écrivains – on pense aux Dirdir, Chasch, Wankh et Pnume de Jack Vance ou les Beudag, Mordach ou Penkawr-Ché de Leigh Brackett, par exemple – mais cela donne un ton loufoque que j’ai particulièrement apprécié) ? Des animaux aux caractéristiques assez spéciales, pour le moins, et surtout, totalement incapables de supporter les mêmes conditions. Quand on favorise l’un, l’autre change de taille ; quand on tente de s’adapter au second, le troisième risque de mourir. Il faut donc toute l’habileté d’Arnold et de Gregor (et l’abnégation de ce dernier qui vit dans le vaisseau avec les bestioles) pour se sortir de ce jeu d’équilibriste. C’est aussi le cas avec cette « Invasion de Slegs » : encore des animaux aux propriétés pour le moins surprenantes et qui vont donner beaucoup de fil à retordre à notre fine équipe.

Nous allons trouver une solution.

Mais la gente animale n’est pas leur seul domaine. Ils sont également aux prises avec des fantômes dans « Le château des Skags », nouvelle à rebondissements, qui s’amusent avec les clichés des châteaux hantés, en les adaptant aux schémas extraterrestres. Hallucination toujours dans le texte d’ouverture, « Spectre 5 », qui permet de découvrir les deux aventuriers (enfin, l’un est plutôt un aventurier par procuration, bien protégé dans son bureau) et le type de récits que nous offre Robert Sheckley : des énigmes qui trouvent toujours une solution logique, même si parfois frustrante (« La clé laxienne » : on voit venir la fin de loin, mais elle fait mal quand même), et beaucoup d’humour loufoque, qui vire de temps en temps à l’absurde. Aussi logique que dans les nouvelles policières d’Isaac Asimov, la fantaisie en plus.

Après Le Temps des retrouvailles, les éditions Argyll continuent à nous offrir les textes de Robert Sheckley, capsules temporelles qui nous replongent dans un âge d’or à l’humour léger et aux préoccupations tout autres. En plus, les quatre textes qui entourent ces nouvelles (une préface de Philippe Curval, une postface du traducteur Leo Dhayer, un entretien lunaire de Robert Sheckley et de Philippe Curval et quelques conseils d’écriture par l’auteur) apportent un éclairage bienvenu, qui leur donne du relief. C’est donc une grande joie de découvrir ces deux personnages inconséquents et pourtant éminemment sympathiques, dans ce monde capitaliste et colonial qui permet d’aller de planète en planète, de conquête en conquête sans réelle question, sinon le profit qu’on peut en tirer. C’est surtout un grand moment de divertissement et de légèreté, malgré quelques brumes désabusées sur la fin, parfaitement nécessaire de nos jours.

Présentation de l’éditeur :

Besoin d’une terraformation, d’une purification d’atmosphère, d’un assainissement d’écosphère ? Arnold et Gregor sont là pour résoudre les problèmes rencontrés par les nouveaux pionniers humains à travers la galaxie. Le premier est chimiste de formation, le second écologue. L’un est aussi extraverti et imprudent que l’autre est neurasthénique et précautionneux. Ensemble, ils ont fondé, avec plus de bonne volonté que de moyens, la société « AAA Les As de la Décontamination Planétaire ».

Esprit d’entreprise et caisses perpétuellement vides les poussent à accepter les missions les plus délicates, voire les plus impossibles. Rien ne saurait pourtant entamer l’ingéniosité et la débrouillardise des deux compères, qui devront redoubler de ruse et d’habileté pour se tirer de mésaventures dans lesquelles le cocasse le dispute au loufoque.

Argyll – 5 avril 2024 (six nouvelles traduites de l’anglais [États-Unis] par Leo Dhayer (originellement publiées entre 1954 et 1986)– 208 pages – Illustration : Xavier Collette – Grand format : 17,90 € / Edition numérique : 8,99 €)

Merci à aux éditions Argyll (Xavier Dollo) pour ce SP.

D’autres lectures :


11 réflexions sur “Deux Hommes dans les confins, Robert SHECKLEY

  1. Comme belette 2911, ce titre me fait beaucoup sourire et je me plante à chaque fois 😀

    Bref, ce livre me tentait bien, mais je n’en avais encore jamais lu de chronique complète – je pensais me le prendre à Ouest Hurlant, jusqu’à ce que… je capte que ce sont des nouvelles 😦

    Ca me refroidit un peu… Mais à te lire, j’ai l’impression que ça constitue quand même une sorte d’histoire avec une continuité entre les textes ?

    J’aime

Laisser un commentaire