La Porte des remparts sublimes, Tome 1, Pierre BORDAGE

Lorsqu’on apprécie un auteur, on a tendance à le suivre, même quand le résumé en quatrième de couverture ne séduit qu’à moitié. C’est pourquoi, malgré la présence appuyé du sexe dans les quelques lignes au dos de La Porte des remparts sublimes, j’ai entamé la lecture de ce roman. Après ces presque 500 pages, je dois avouer ma perplexité et ma déception. Que suis-je venu faire dans cette galère et que diable Pierre Bordage nous a-t-il pondu là ?

La femme au centre des désirs

Sibelle est une jeune femme qui n’a quasiment pas connu ses parents. Elle se retrouve à présent dans une maison de passe qui va vendre sa virginité aux enchères. C’est une tradition locale : celui qui paie le plus cher a le droit de passer la première nuit de la future charmeresse et de « cueillir sa fleur ». Mais tout ne se déroule pas comme prévu. La politique s’en mêle et la jeune femme est enlevée des mains de celui qui l’avait gagnée. Elle va passer de main en main, suite à des combats souvent violents. Et à chaque fois, son vainqueur sera envahi d’amour pour elle qui le leur rendra bien. Sang et sexe sont donc les deux moteurs de cet ouvrage. Classique. Mais, à la différence de ses romans précédents, Pierre Bordage décrit avec force détails les scènes qui voient Sibelle s’offrir à son nouveau maitre.

Et c’est là que commence mon malaise. Tout d’abord, je ne suis pas un lecteur de ce genre de prose. Pas par pudeur, mais cela ne m’intéresse pas. Mais faisons fi de ce point, car, après tout, ces scènes ne représentent qu’une infime partie du bouquin. Par contre, j’ai trouvé ces passages d’une grande mièvrerie. Les dénominations de « petit soldat » et « vallon secret » m’ont parues bien enfantines. Mais peut-être est-ce, une fois de plus, mon manque d’expérience dans ce domaine de lecture. Autre point qui m’a gêné, dans ce domaine : avez-vous remarqué le jeu de mots sur le prénom de la jeune femme ? Si-belle ! Là aussi, il m’a paru d’une grande facilité. On peut bien sûr se dire que Pierre Bordage a fait un jeu de mot érudit en associant cette femme dont on finit par penser qu’elle est d’essence divine à la déesse grecque Cybèle. Mais quand même, le malaise ne m’a pas quitté.

Retour dans le passé

Mais c’est surtout, en fait, à cause du message qui peut être entendu à la lecture de ce roman d’un autre âge que j’ai tiqué. Avez-vous entendu parler du mouvement Me Too ? Oui, comme tout le monde, je pense. Mais, apparemment, Pierre Bordage non. Ou alors, pas vraiment. Je ne vais pas aller dans l’excès de certain.e.s qui déclarent la guerre ouverte entre les deux sexes, mais je ne vais pas, comme certains autres, faire comme si rien ne s’était passé et me vautrer dans les clichés anciens en m’exclamant : « De toutes façons, aujourd’hui, on ne peut plus rien dire ! ». Mon but n’est pas de tirer sur l’ambulance. Mais au fil des des pages, je me suis demandé où j’étais tombé. J’étais, comme d’autres lecteurices, gêné, par moments devant certaines scènes. Je m’explique : quand Sibelle, l’héroïne, se trouve forcée d’avoir des rapports sexuels avec un homme qui l’a enlevée, elle se trouve quasi irrésistiblement attirée par lui. Ce n’est pas un viol, puisqu’elle y consent. Mais cela rappelle un peu trop cette idée que la femme finit par être sensible au charme de l’homme, même s’il se montre un peu violent. Alors Pierre Bordage ne va pas jusque là. Les mâles sont plutôt doux et, lorsqu’ils ne le sont pas, ils sont punis. Sibelle est au centre d’une bulle amoureuse et tout le monde y est sensible, ou presque. Mais en cette époque où les droits des femmes commencent en partie à être reconnus, et même s’il reste encore bien des progrès, n’en déplaise aux tenants d’un ordre passé, cet ouvrage passe mal. En tout cas, moi, je n’ai pu l’apprécier.

Et j’en suis désolé car, comme je l’ai dit en préambule, j’aime cet auteur. La preuve, je parle souvent de ses livres (Cité, Rive droite) et si mon blog avait commencé voilà des années, j’aurais sans doute chroniqué la majeure partie de sa bibliographie. D’ailleurs, dans La Porte des remparts sublimes, on trouve toujours ce qui fait le talent de cet écrivain : les scènes se déroulent devant nos yeux comme si nous y étions, les personnages prennent vie dès les premières lignes et on a du mal à les quitter même après la fin de la lecture. Mais cette fois, le charme n’a pas fonctionné. Et pourtant, preuve du talent du bonhomme, à la fin de ce roman, qui n’est qu’une première partie, j’ai eu un pincement au cœur en me disant que j’hésiterai sans doute à la parution du prochain tome. Car j’aimerais tout de même savoir ce qu’il advient de cette Vénus perdue au milieu d’un monde de brutes.

La Porte des remparts sublimes a donc été pour moi une surprise décevante : l’histoire se laisse lire et je n’ai pas vu le temps passer. Mais les scènes de sexe et le contexte général m’ont posé problème et empêché de profiter de l’histoire. Je serai désormais plus hésitant avant d’ouvrir un ouvrage de cet auteur qui a bercé une grande partie de ma vie de lecteur de SFFF. Tristesse…

Présentation de l’éditeur : Sibelle est la fierté des Charmeresses, un ordre de femmes initiées et vouées aux choses de l’amour qui font librement commerce du sexe. Sur l’île du bout du monde, lors de la cérémonie de la fleur, conformément au rituel, sa virginité va être mise aux enchères. C’est le début d’une incroyable épopée, sur le chemin de son destin.

Au Diable Vauvert – 18 mai 2023 (roman inédit– 492 pages – 23 euros / numérique – 12,99 euros)

D’autres lectures : Erkekjetter (sur Elbakin)


14 réflexions sur “La Porte des remparts sublimes, Tome 1, Pierre BORDAGE

  1. Rien que la couverture ne m’aurait pas attirée mais ce que tu en dis est rédhibitoire.
    Je rebondis sur « Sibelle, l’héroïne, se trouve forcée d’avoir des rapports sexuels avec un homme qui l’a enlevée » Attirée après ou pas, cela est la définition du viol… Et je n’ai plus aucune tolérance pour les auteurs qui tentent de montrer l’inverse par une prétendue attirance de la victime pour son agresseur. Un bel exemple de la culture du viol qu’on retrouve au quotidien alors si on pouvait éviter de se la coltiner dans les romans…
    Je te remercie sincèrement pour ton avis éclairé et détaillé.

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  2. J’ai cru en lisant le résumé et en voyant la couverture que c’était la réédition d’un vieux texte d’où les maladresses sur la représentation de la femme… Mais si c’est un inédit et que ce n’est ni un hommage ni une parodie, je crois que l’auteur est un peu à côté de la plaque… :s
    En tout cas je ne le lirai pas, il y a trop de moments où je pourrais le crisper pour rester polie 😅

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  3. J’ai vu Bordage, puis la couverture, et je me suis dit : « ouhla, c’est mal barré ». Je ne peux pas dire que je n’aime pas Bordage, car je n’ai lu qu’une de ses œuvres : c’était sa duologie Arkane, que j’ai trouvée d’une nullité intersidérale avec des persos féminins à l’image de Sibelle (non mais pffff). Ca ne m’a jamais donné envie d’y revenir, et ce n’est pas avec ce bouquin-là que je retenterai la lecture de cet auteur. A ce propos, si tu devais m’en conseiller un, lequel ce serait ?
    En tout cas, je t’admire de t’être farci ce premier volume, et te remercie de l’avoir chroniqué, c’est toujours bon à partager ce type de retours. En revanche, je suis désolée que tu aies vécu cette expérience avec cet auteur que tu apprécies beaucoup.

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  4. Merci de t’être sacrifié pour lire ce roman – quand j’avais vu le résumé comme la couverture, je me suis dit que je n’allais même pas l’acheter pour la bibliothèque tellement ça sentait la vieille SF sexiste (et quand c’est une nouveauté, ça craint). Ton retour confirme mon impression première !

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