Mécanique & Lutte des classes, Anthologie de nouvelles Steampunk .2

La machine a libéré l’homme en même temps qu’elle l’asservissait. En nous permettant de nous débarrasser de tâches répétitives et dures, elle aurait pu nous offrir une vie plus facile. Cela a été le cas pour certains qui ont profité de cette invention pour agrandir leurs bénéfices. Mais au détriment de bien d’autres, forcés de nourrir ces êtres de métal. C’est, en partie, ce thème qu’interrogent les quatre autrices de cette deuxième anthologie de nouvelles Steampunk des éditions Oneiroi, Mécanique & Lutte des classes.

Une maison d’édition bretonne

Quelle joie de découvrir, dans les rayons de ma médiathèque, un petit ouvrage d’une maison d’édition que je ne connaissais pas encore. Les éditions Oneiroi, sises à Guingamp, sont nées en 2019. Zoé en parle plus longuement ici, donc je n’insiste pas. Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’au vu de l’ouvrage dont je vais vous parler, je serai dorénavant attentif à son catalogue. Et à cette série de la collection « Vapeur & Mécanique » qui compte à ce jour cinq volumes.

Des femmes au centre

On peut parler de féminisme dans la description de ce recueil : quatre autrices en ont composé les textes. Et chacun de leurs récits nous offre un point de vue féminin. Parce que le personnage principal est une femme (« La Nouvelle Élite ») ou parce que des femmes sont au centre de l’intrigue (« Les Pies voleuses » et « Maudite lumière »). Dans tous les cas, on interroge sur le regard porté sur cette part immense de l’humanité reléguée à l’arrière-plan pendant des siècles et qui, depuis quelques dizaines d’années, se prend à espérer un autre traitement. Cependant, que ce soit dans le XIXe siècle réel, comme dans ces XIXe siècles fantasmés, cela n’est pas facile : les changements en cours ne se font pas sans résistance et les hommes en place pèse de tout leur poids pour que rien ne bouge. La violence est donc souvent nécessaire : attentat plus ou moins aveugles (« La Nouvelle Élite »), vols spectaculaires (« Les Pies voleuses»). Mais on sent qu’il faut que cela évolue. Le surplace n’est plus possible.

Un monde sur le point de disparaitre

Pour que cela évolue, il faut du mouvement. Dans cette anthologie, le ton qui accompagne ce mouvement est généralement sombre, voire crépusculaire. Comme dans « Bang bang » où la société créée par les femmes et hommes semble sur le point de s’effondrer au profit d’une autre dirigée par les automates. Ou dans « La Nouvelle Élite » : l’ordre établi change, s’inverse. La naissance ne fait plus tout, le mérite permet enfin d’accéder au pouvoir. Mais le changement n’est pas accepté facilement. Des résistances pointent, violentes. Ou dans « Maudite lumière » où, malgré la présence centrale de la lumière, tout le texte semble baigner dans la pénombre, l’obscurité. Et dans l’ignorance béate d’une partie de la population (les hommes) que l’autre partie (les femmes) ont droit aussi à une existence pleine et entière et pas seulement aux rogatons laissés par ces messieurs. Le pire, c’est que les descriptions inventées par ces autrices paraissent ô combien réalistes. Et font partie de ces regrets formulés à longueur de pages par certains qui aimeraient revenir à un temps béni selon eux où la femme restait à sa place. Et qui osent dire qu’ils sont brimés. Bon, j’arrête. Mais tout cela pour dire qu’une des qualités de ce recueil consiste en sa dénonciation plutôt fine (on évite, dans l’ensemble, les gros sabots, même si l’inspecteur dans « Les Pies voleuses » est un gros lourdaud pas bien finaud, qui aurait intérêt à se remettre vite fait en question, même s’il est encore le moins obtus des personnages de cette nouvelle).

Découvrir et lire cette rapide anthologie a été une belle et bonne surprise de l’été. J’ai aimé me plonger dans Mécanique & Lutte des classes tant pour la qualité de sa prose et la construction de ses récits que par l’intérêt des thèmes évoqués. Une lecture qui en appellera d’autres, sans doute.

Cela va mettre de drôles d’idées dans la tête des bonnes femmes, on a déjà assez à faire avec ces satanées suffragettes. Sans compter les mouvements syndicaux. Elles réclament l’égalité des salaires ! (« Les Pies voleuses »)

« Bang bang », Johanna Marines

Un homme a été fait prisonnier et est interrogé plutôt violemment par ce qui ressemble à des forces de l’ordre décomplexées. On apprend peu à peu qu’il fait partie d’un mouvement de résistance aux machines. Plus particulièrement aux automates à forme humaine qui, nous le découvrons peu à peu, ont pris le pouvoir. Au détriment de leurs créateurs. Car ces derniers ne les ont créés que pour effectuer les tâches pénibles, sans imaginer qu’ils pourraient eux aussi ressentir des émotions. Et donc exiger d’être considérés à l’égal des êtres humains. Métaphore intéressante des ouvriers traités comme des sous-hommes (et sous-femmes et sous-enfants) par des patrons avides de profits et pour qui la vie humaine comptait moins que les profits. La construction de la nouvelle est habile, apportant les éléments du contexte et de l’histoire par petites touches, ménageant ainsi le suspens. La fin n’est pas très surprenante, mais reste de bonne facture.

«La Nouvelle Élite», Tepthida Hay

Retournement de situation : ce ne sont plus les anciens nobles et les bourgeois qui tiennent le haut du pavé dans cette France du XIXe siècle, mais ceux qui maîtrisent la technologie : les ingénieurs qui peuvent permettre au pays de progresser grâce à leurs innovations. Mais cette progression et ce progrès social ont leur revers. L’art est en voie de disparition car inutile. On ne recherche que l’utilité, pas les nourritures de l’âme. La jeune femme au centre du récit est une artiste, qui ne possède pas le Talent, synonyme de réussite alors. Elle est proche de Jules Verne, qui a renoncé à l’écriture au profit d’œuvres plus concrètes, mais reste un grand rêveur. Rose, l’héroïne, est très réussie et offre le visage d’une femme perdue dans une société qui ne veut pas d’elle : d’abord elle est femme dans une France aux préjugés bien ancrés et puis elle ne possède pas le talent. Ne risque-t-elle pas de tomber dans la contestation violente qui prend de l’ampleur ? Et ce changement est-il réellement souhaitable tel qu’il se présente, sans nuance ? Une vision tout sauf simpliste et idéaliste. J’ai aimé cette finesse.

« Les Pies voleuses», Catherine Loiseau

Un gang de monte-en-l’air fait tourner la police parisienne en bourrique. Impossible de comprendre comment les truands parviennent à pénétrer dans les appartements et surtout, comment ils en disparaissent. L’inspecteur en charge de l’enquête, que nous suivons, est un homme typique de cette époque, engoncé dans ses préjugés et ses habitudes. Il sera bien malmené par les voleurs. La SF apparaît dans cette nouvelle grâce à l’aether, substance qui permet de contrer les effets de la gravité. Cela fait fortement penser au roman de Laurent Genefort, Les Temps ultramodernes. Bien troussé, ce récit se lit avec plaisir et les questions évoquées sont hélas encore en partie d’actualité.

« Maudite lumière », Noëmie Lemos

Entre la SF et la fantasy, typique de ce mouvement Steampunk, « Maudite lumière » imagine une société où les fées ont été découvertes et représentent une source lumineuse qui tend à remplacer le gaz et autres bougies. Mais les trier selon leur type et donc leur utilité est d’une grande difficulté et nécessite une grande précision. Un jeune diplômé est envoyé dans une usine de tri dont la production baisse dangereusement au grand dam des actionnaires. Il va découvrir le mode de fonctionnement du tri qui met les ouvrières (que des femmes) à rude épreuve : leur santé n’est-elle pas en danger ? Et cette rumeur prétendant que les fausses couches se multiplient est-elle fondée ? La réalité est bien sûr horrible et pourrait gêner les hommes de pouvoir. D’où des rebondissements bien menés par l’autrice.

Présentation de l’éditeur : Le steampunk vous invite à revisiter le passé, à renouer avec les racines de notre société. Dans cette anthologie, on vous entraîne à la suite des cortèges ouvriers, dans une ère où la machine remplace peu à peu l’humain, où chacun lutte pour trouver sa place, où la mécanique est un outil de revendication sociale. Et si les choses s’étaient passées autrement ? Pour le meilleur ou pour le pire, ou juste différemment. Prenez place dans notre machine à remonter le temps !

Oneiroi, collection « Vapeur & Mécanique » – 1er juillet 2020 (quatre nouvelles inédites– 149 pages – 9,90 euros)

D’autres lectures :

Cette chronique fait partie du Challenge S4F3 2023 (5ème lecture).


6 réflexions sur “Mécanique & Lutte des classes, Anthologie de nouvelles Steampunk .2

  1. Très chouettes ces anthologies chez Oneiroi ! Je n’ai lu que les trois premières, mais il me semble que la toute dernière porte sur la gastronomie héhéhéhé. Je m’en réjouis d’avance. Ravie que tu aies apprécié ce recueil et que ça t’ait donné envie de parcourir le catalogue de cette petite maison !

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire