La cavorite a changé le monde. Grâce à elle, la gravité n’est plus un problème : les objets volent sans peine. Dans l’air, mais aussi au-delà de l’atmosphère. Jusque sur d’autres planètes. Mars est en phase de colonisation. Sur Terre, les voitures se posent directement sur des balcons dédiés, les barges nécessitent seulement d’être dirigées. Mais, car il y a un mais, on vient de découvrir que la cavorite avait une durée de vie limitée. L’économie florissante est en danger. Les mouvements politiques et les passions humaines se déchaînent.

Un sauvetage, un vol, un complot, …
Si parfois on peut se plaindre de la faiblesse et de la pauvreté des histoires racontées au fil des pages (un peu comme les scénarios de Luc Besson censés tenir sur un ticket de métro), Les Temps ultramodernes ne prêtent aucunement le flanc à ce genre de critique. Plusieurs personnages se croisent ou se tournent autour dans ce Paris décadent, en pleine révolution : une jeune institutrice montée de province pleine d’espoir et qui va au devant de bien des désillusions, mais aussi de découvertes extraordinaires (il existe bien des écoles sur Mars) ; tout comme cet artiste vite ramené à la réalité qui va se trouver embarqué par amour dans un mouvement anarchiste ; le vieux policier, lui, n’en a plus depuis longtemps, des illusions, mais il est prêt à se battre encore contre un groupe aux desseins mystérieux issu des rangs même de la police ; d’autant qu’il trouve de l’aide d’une journaliste scientifique enthousiaste et n’hésitant pas à risquer sa peau pour comprendre et dénoncer. Vous l’aurez compris, l’histoire est d’une grande richesse. Et, grâce au talent de conteur de Laurent Genefort, le récit est fluide et plaisant, aisément compréhensible malgré le nombre de personnages et la multiplication des éléments du décor.
Un monde d’une précision incroyable
Laurent Genefort nous avait habitué à une construction d’univers (un world-building) solide et riche. Cette fois encore, il ne nous déçoit pas. J’aimerais vraiment voir la quantité de documents qu’il a sans doute accumulés, de notes qu’il as prises pour parvenir à ce résultat bluffant de réalisme. En piochant dans notre propre monde, avec ses femmes et hommes connus, il a bâti un univers parallèle extrêmement crédible et plein de clins d’œil savoureux. Quand on découvre le sort qu’il réserve à certains artistes, connus chez nous, tombés dans l’oubli chez lui, par exemple. Ou qu’il invente de nouveaux courants littéraires et artistiques, très crédibles quand on songe au nombre de mouvements à peine éclos et rapidement éteints qui ont émaillé notre XXe siècle. On a confirmation de la richesse de cette préparation à la lecture du superbe et passionnant Abrégé de cavorologie, publié gratuitement sous format numérique en décembre dernier. Histoire, littérature, science : tout y est représenté, pensé, réfléchi.
Une enquête policière
Les Temps ultramodernes reprend un grand nombre de schémas du roman policier. On y trouve un policier intègre, même si pas tout blanc, perdu au milieu d’une police gangrenée par un mouvement dont on ne sait, au début, s’il est crapuleux ou séditieux. En attendant, on ne sait à qui se fier dans cette maison poulaga. On croise également le journaliste, fouille-merde indispensable, tant pour découvrir ce que l’on veut conserver caché que pour le révéler au grand jour et mettre ainsi les puissants en difficulté. Mais aussi des personnalités fortes, comme des artistes désargentés, des femmes au grand cœur mais à la cuisse légère. Et on a des meurtres, plus ou moins mystérieux. Des vols, des disparitions. Bref, tout l’attirail.
Une enquête politique
Attirail enrichi par une dimension politique. Car, comme je le disais en introduction, le monde est en pleine mutation. À peine a-t-il digéré la découverte de la cavorite et de ses merveilleuses applications (qui ne sont pas sans faire penser à l’arrivée de l’uranium dans nos vies et aux délires qui l’ont accompagnée) que les équilibres sont rompus par la découverte de la possible fin de la cet élément. Ou, en tout cas, de sa non-fiabilité, car ses effets sont bien plus courts qu’espérés. Et déjà, certains accidents ont eu lieu. Mais revenons à la politique : les clans s’opposent, comme, dans notre passé, les deux extrêmes. D’un côté les anarchistes, voulant détruire toute hiérarchie stérilisante ; de l’autre les nationalistes, prêts à toutes les bassesses pour obtenir le pouvoir et la pureté de la race. Et la lutte n’a décidément pas lieu à fleurets mouchetés. Ça défouraille sec et les victimes se comptent par dizaines, pas toutes belles à voir. Habile, encore, Laurent Genefort s’appuie sur notre Histoire et l’imaginaire commun pour bâtir un cadre aux fondations stables. Déstabilisant justement car on ne sait pas toujours où est le réel et où est l’invention. J’ai ressenti par moments la même impression qu’à la lecture des Enfants de la terreur de Johan Heliot. Même si la période et le traitement différent totalement, le côté réaliste historiquement parlant et tellement lié à notre passé qu’on ne sait pas toujours où on en est rapproche dans mon esprit ces deux ouvrages que j’ai lus à peu de temps d’intervalle.
Je ne vais pas me montrer original dans mon avis : beaucoup d’autres blogueurs talentueux sont passés avant moi et ont analysé leur lecture, donné leur avis, exprimé leur opinion de très belle façon. Je vais donc me contenter de clamer haut et fort tout le plaisir que j’ai éprouvé à lire Les Temps ultramodernes, récit ébouriffant et profond, porté par une superbe couverture de Didier Graffet, et qui possède la force des romans feuilletons addictifs et la puissance des récits ouvrant les portes sur un monde autre, mais tellement vrai qu’il hantera encore longtemps mon esprit.
Présentation de l’éditeur : En débarquant à la capitale en quête d’un emploi d’institutrice, Renée est loin de se douter qu’elle va tomber sur un Martien blessé. Mais ce Paris-là n’est pas le nôtre. Grâce à la découverte de la cavorite, un métal miraculeux, les voitures volent, des paquebots transcontinentaux appontent aux quatre tours Eiffel parisiennes, et Mars est une destination comme une autre. Quand Marie Curie découvre que la cavorite a une durée de vie limitée, elle ignore à quel point le monde va en être bouleversé. Deux ans après le « vendredi noir » de 1923, les empires occidentaux bataillent pour récupérer les dernières miettes de la si précieuse manne. Contre vents et marées, Renée soigne son protégé et décide de le ramener sur sa planète natale. Comme elle, Marthe, une intrépide journaliste, et Georges, un jeune artiste pris dans un mouvement politique qui le dépasse, seront les témoins, mais aussi des acteurs de premier plan, de cette époque-charnière pleine de bruit et de fureur.
Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire et à Gilles Dumay pour ce SP.
D’autres lectures : FeydRautha (L’épaule d’Orion) – Gromovar – Tiger Lilly (Le Dragon galactique) – CélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls) – Stéphanie Chaptal (De l’autre côté des livres) – Émilie Costecalde sur Café Powell – Artemus Dada sur Ici, je suis ailleurs – François Schnebelen sur la Yozone – Lune sur Une Papillon dans la Lune – Carolivre, Tachan sur Les Blablas de Tachan, Sylvain Bonnet (Boojum) – Le chien critique – Zoé prend la plume – Yogo (Les lectures du Maki) – Les chroniques de Feygirl – Sometimes a Book –
Super article ! Je m’étais dit que j’allais peut être faire l’impasse dessus dans un premier temps, mais tu m’as vraiment donné envie !
Je le remonte vers le dessus de ma PAL 👍
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Merci beaucoup !
En tout cas, je pense que ce roman mérite vraiment tout le bien que j’ai lu à son propos : ce serait dommage de s’en priver.
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Je ne pensais pas le lire quand j’ai vu sa sortie, mais au vu des commentaires élogieux auxquels tu te joins, je vais me laisser tenter à l’occasion… Merci 🙂
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Je te le conseille vraiment. Je pense que tu y trouveras du plaisir.
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Je te rejoins sur tout ce que tu décris, ce livre est très maîtrisé, très chouette, et l’immersion parfaite. Il m’a juste manqué un petit je ne sais quoi. Un soupçon de folie, peut-être. Mais je chipote !
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Je suis d’accord avec toi, Laurent Genefort aurait pu se laisser embarquer plus loin et même plus longtemps. Son histoire le permettait. Mais ce n’est déjà pas si mal.
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Woaw je ne m’étais pas rendue compte que tant de monde l’avait lu ^^ (au fait j’apparais 2 fois dans les liens une fois sous mon pseudo l’autre fois sous le nom du blog).
C’est un très chouette livre qui est à la fois très fun et intelligent.
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Impressionnant, hein ? C’est souvent le cas pour les romans de chez Albin Michel Imaginaire.
Merci de m’avoir signalé le doublon : erreur réparée !
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Oui, Gilles Dumay ne lésine pas sur les SP ^^
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Et je ne vais pas m’en plaindre. C’est en grande partie grâce à lui que j’ai osé demander des SP alors que mon blog en était aux balbutiements. Il se montre tellement à l’écoute et tellement ouvert !
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