Les Machines fantômes, Olivier PAQUET

En ce temps pas si lointain, les compagnies bancaires ont supprimé le trading à haute fréquence qui permettait, en gagnant des millisecondes d’empocher des millions de dollars. Dorénavant, c’est le retour à l’humain. Enfin, est-ce bien sûr ? Car, dans les placards des machines, dans les puces des multiples systèmes qui nous entourent, certaines intelligences continuent à vivre et à nous observer.

De quoi sera fait notre avenir ?

Depuis des dizaines d’années, le thème de l’I.A. maléfique a surgi dans l’imaginaire et fleurit dans les œuvres de SFFF. Y compris des textes ou des films plus grand public. Tous les artistes qui se sont emparé de ce sujet n’ont pas nécessairement fait preuve de finesse et, dans de nombreux cas, ont sorti la grosse artillerie, version grosse Bertha. Ne serait-ce que pour cela, j’ai beaucoup aimé Les Machines fantômes. Car Olivier Paquet s’y montre d’une bien plus grande subtilité, d’une plus grande finesse. Il aborde le thème de la place des machines « intelligentes », mais du côté humain. Les I.A. sont là, mais on les voit peut. De toute façon, difficile de les représenter. Mais dans ce roman, elles n’apparaissent que dans leurs interactions les unes avec les autres, ou avec les humains. Le sujet de ce texte est vraiment, à mon sens, la possible cohabitation de ces deux groupes : les machines et les humains. Pourra-t-on vivre ensemble ou les unes se sentiront-elles légitimes à guider les autres ? Et si oui, de quelle manière : brutale ou éclairée ?

Combien de personnes savent que chaque ralentissement sur leur PC ou smartphone est la manifestation des dons d’ubiquité de ces IA ?

Des personnages centraux bien humains

Mais ces interrogations passent par des êtres faits de chair et de sang, avec leur failles et leurs doutes : « Les adultes détenaient un monopole immense : celui de donner du pouvoir à leurs histoires. Un enfant n’en a aucun. »On commence avec un trader, mis un peu sur la touche dans son entreprise, mais qui garde une réputation sulfureuse de modeste magicien. Or, cet homme aime séduire. Et il tente d’utiliser une découverte exceptionnelle qu’il a faite pour mettre dans son lit un jeune cadre nouvellement engagé. Erreur fatale ! Il vient de donner à un ennemi possible des sociétés telles que nous les connaissons une arme potentiellement létale.

Ça y est, les machines décident de nos vies, c’est ça ?

Des mois plus tard, plusieurs personnes vont se trouver embarquées dans des situations étranges, hors de leur existence normale. Et elles vont devoir faire des choix qui auront des conséquences pour eux comme pour le reste des humains. Aurore, chanteuse en perte de vitesse, voit sa rivale prendre sa place en quelque sorte. Sa musique, son personnage, ses attitudes sont jugés trop agressives face à la nouvelle égérie des foules, plus lisse, plus consensuelle. De son côté, Kader, tireur d’élite dans l’armée, était chargé d’abattre des ennemis d’état (ou en tout cas annoncés comme tels par ses supérieurs). Mais une mission l’a conduit à tuer un enfant. Il est depuis mis sur la touche, obligé de consulter un psychiatre et ronge son frein. Enfin, Lou, jeune femme qui, en plus de sa vie classique, mène des parties régulières de jeu en ligne avec son équipe. Tous les quatre se trouvent, malgré eux, opposés à l’ancien collègue d’Adrien, le trader en fuite depuis sa chute retentissante : il est le nouveau Kerviel dans les médias. Tous les quatre vivent devant nous, pleinement. Et tentent de comprendre ce qu’il se passe et pourquoi ils ont été contactés, d’une façon ou d’une autre.

Les I.A. au pouvoir ?

Comme dans Composite (publié récemment, bien après Les Machines fantômes), les I.A. sont derrière certaines décisions stratégiques et semblent vouloir se mêler des destinées humaines. Puisqu’elles sont capables de choisir selon des critères objectifs, pourquoi ne pas diriger en quelque sorte ces créatures inférieures ? J’emploie ces termes mais jamais Olivier Paquet ne se permet cette facilité, ce mépris. Les machines dont il est question n’émettent aucun jugement de valeur. Et c’est d’ailleurs un problème. Elles considèrent les situations et font des projections afin de calculer la meilleur solution parmi plusieurs imaginées. Mais des critères qui nous paraissent essentiels ne le sont pas pour elles au premier abord. Sont-elles capables d’apprendre et, donc, de ne pas asservir l’humanité ? Telle est la question. Dans mes dernières lectures, je me suis aperçu que cette question, cette thématique revenait souvent : dans I.A. 2042 – Dix scénarios pour notre futur, KAI-FU Lee et CHEN Qiufan imaginent des avenirs très réalistes (et parfois très effrayants) dans lesquels les I.A. prennent une importance capitale dans nos sociétés ; dans Alfie de Christopher Bouix et Le Système de la Tortue de Pierre Raufast, les I.A. apprennent à comprendre, parfois avec balourdise, les comportements humains afin d’aider, mais parfois sans tenir compte de l’essentiel ; dans Resilient Thinking, de Raphaël Granier de Cassagnac, ces mêmes I.A. sont prêtes à tuer une part non négligeable de l’humanité pour arriver à ce qu’elles considèrent comme le meilleur but. Et je pourrais continuer, car la liste est longue. Certains textes sont un peu manichéens, ce n’est absolument pas le cas de ce roman, Les Machines fantômes.

Les machines ne nous diront rien. Tant mieux. Je n’aurais pas aimé qu’elles prennent la place des dieux.

Je découvre l’œuvre d’Oliver Paquet à rebours, ayant commencé par une de ses dernières parutions (si j’excepte le recueil de nouvelles Faux-semblance). Pour l’instant, j’aime. J’aime ce regard porté sur l’actualité, suffisamment distancié pour permettre des réflexions fortes et pressantes. J’aime cette capacité de créer des personnages dont je me sens tout de suite proche, dont j’ai tout de suite envie de connaître la vie, les tergiversations. J’aime enfin ce style au service de l’histoire. Pas transparent et fade, mais pas pour autant trop présent ni étouffant. J’ai aimé lire Les Machines fantômes, un ouvrage passionnant et fort utile en cette période pré-I.A.

Présentation de l’éditeur :

Dans un monde où la société est devenue artificielle, les intelligences artificielles pourraient-elles faire société ?

Quatre personnages – un trader, une chanteuse pop, un ancien tireur d’élite, une joueuse de jeu vidéo multijoueurs : chacun croit jouer pleinement sa carte sur l’échiquier de la société sans percevoir qu’il est piégé dans des fictions confortables dont il n’est pas le seul acteur.

Plus un. Hans / Joachim dont ils croisent tous la route. Ce mystérieux jeune homme, tantôt séduisant, tantôt menaçant, est décidé à confier le destin de nos sociétés à des machines. Ce qui va contraindre nos personnages à coopérer, à se rencontrer pour empêcher l’irréversible.

Et des IA…

Surveillance globale et respect de la vie privée sont au cœur de ce roman qui se joue aussi de nous, car l’auteur est lui-même illusionniste hors pair.

L’Atalante, collection « La petite dentelle » – 25 août 2022 (roman paru initialement en 2019 dans la collection « La Dentelle du cygne »– 542 pages – 10,70 € / numérique : 5,99 €)

D’autres lectures : Les Chroniques de FeyGirlJust A WordLes Lectures du MakiOmbrebonesBoudicca (Le Bibliocosme)


18 réflexions sur “Les Machines fantômes, Olivier PAQUET

  1. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup et pourtant j’ai le sentiment de ne pas avoir assez lu dessus justement parce que j’avais peur des clichés du genre. Il va falloir que je répare cela. J’avais déjà Alfie en ligne de mire. J’ajoute celui-ci !

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  2. J’ai beaucoup aimé ce roman (plus que Composite que j’avais aussi bien apprécié). Olivier Paquet performe avec ses textes sur les IA, il arrive à nous parler du futur et du présent avec beaucoup de sensibilité.

    Par contre je n’avais pas accroché à son space opera Le Melkine. Et je n’ai rien lu d’autre.

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  3. Mon raccourci va peut-être paraitre facile mais le thème de vivre en cohabitation avec des machines me fait penser au film I, Robot avec Will Smith. Et encore cohabitation est un bien grand mot puisque dans ce cas, ce n’était que des « serviteurs » avant que l’intelligence artificielle ne devienne supérieure. Je n’ai jamais lu de roman sur le sujet mais j’aime l’idée que l’auteur pose la question de savoir si les machines et les hommes peuvent cohabiter à même échelle. Ou plutôt, dans le cas contraire, qui guiderait l’autre ? Apparemment dans ce roman, l’IA semble quand même prendre une grande partie dans les décisions historiques et politiques de l’être humain. Je ne connais pas toutes les références que tu cites mais tu me donnes tout de même envie d’en découvrir plus à ce sujet, alors merci pour cette chronique tentante. 🙂

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    1. Non, non, ce raccourci me parait tout à fait pertinent, puisque les robots sont dirigés par des cerveaux positroniques qui sont des I.A. Et d’ailleurs les servietrus tentent d’obtenir une certaine autonomie. Comme certaines I.A. dans certaines histoires (quand elles ne cherchent pas à prendre le pouvoir à leur tout sur les humains).

      Dans ce roman, effectivement, certaines I.A. pensent être mieux placées que les humains pour diriger les sociétés de façon plus rationnelles. Vaste question…

      Merci pour ton passage et ton intervention.

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      1. Avec plaisir pour le passage chez toi, je suis plus que novice dans cet univers littéraire mais la SF est un monde que j’aimerai découvrir un peu plus. Alors je dénicherais peut-être quelques idées grâce à toi. 😊 Passe une belle soirée.

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