L’Odyssée des étoiles, Kim BO-YOUNG

« Le tout premier roman de SF coréenne à paraître en France ! » Avec une telle accroche, je ne peux que me montrer intéressé. Car de la Corée du sud je connais le cinéma, la littérature « générale » et les mangas. Mais en SF, même en me creusant la tête, je n’ai rien trouvé. Donc, je me suis lancé dans la lecture de ce roman surprenant. D’autant plus qu’en fait, il s’agit au départ de trois romans réunis en un seul ouvrage. Ouvrons la bête…

Un assemblage hétérogène

Cet ouvrage est donc composé de trois romans, parus de façon individuelle en Corée, et qui sont réunis ici. Cela explique la profonde différence de ton entre les trois œuvres. Surtout la dernière qui change beaucoup des deux premières.

« Je t’attends » ouvre le bal : texte épistolaire à sens unique. Je m’explique : le narrateur s’envole dans l’espace, non pas pour voyager d’un lieu à un autre, mais d’une année à une autre. Eh oui, ce récit s’appuie sur le lien très fort entre temps et espace. Pour ne pas avoir à attendre sa future épouse, partie pour un voyage familial de plusieurs années, le narrateur décide de profiter des services d’une compagnie qui permet de « gagner du temps » : on voyage dans un vaisseau quelques mois et on revient sur Terre. Grâce à la théorie de la relativité, des années se sont écoulées. Et voilà, le tour est joué ! Sauf qu’évidemment, de petits grains de sable vont venir enrayer la mécanique initialement parfaite. Et l’on suit les déboires du jeune homme à travers les lettres qu’il envoie, sans être certain d’être lu, à celle qui devait l’épouser. Histoire d’amour contrariée à travers l’espace et le temps.

Dans « Je viens vers toi », Kim Bo-Young nous offre le point de vue de la future épouse. Même dispositif de récit épistolaire, avec pourtant un style très différent. Et une histoire, en partie connue, aux tonalités légèrement dissemblables. Davantage tournée sur le sentiment amoureux : l’être aimé est au centre de l’univers. Il permet, seul, de résister aux épreuves qui sèment ce voyage catastrophe à travers les époques. L’autrice parvient à ne pas se montrer redondante : même les scènes déjà vécues, de l’autre côté, surprennent. On découvre l’envers du décor et aussi la conclusion de cette histoire entamée dans la précédente partie.

Changement total avec « Ceux qui vont vers le futur ». Le protagoniste, Seongha, sans doute le fils du couple rencontré dans les deux autres récits, voyage vers le bout de l’univers. Pas évident : il faut trouver le chemin et comprendre la forme de notre univers. Fini, infini, en boucle ? Sur son trajet (ses trajets devrais-je dire, car il fait des allers et retours, voyageant ainsi à travers le temps – un classique dans la famille), il fait plusieurs rencontres : le récit est donc divisé en quatre histoires. Finies les lettres.

Un ton à part

Comme Yogo (Les lectures du Maki), je me trouve un peu gêné devant cet ouvrage assez inhabituel. Tout d’abord, sa tripartition, avec ses changements de ton assez nets, surtout lors de l’irruption de la troisième partie, la plus longue des trois. Mais aussi dans les directions qu’il prend, différentes selon les étapes. On ne sait pas sur quel pied danser. Comique par moments, avec une faune spatiale à la limite de la folie : les voyageurs temporels reviennent régulièrement sur Terre. Or, les civilisations y partent à vau-l’eau et les vaisseaux spatiaux deviennent des micro-sociétés, où le règne du plus fort est la règle. Malheur aux « immigrés », les derniers arrivés. Et là, on passe du comique au tragique. La frontière est souvent fine.

« Les hommes sont partout les mêmes, où qu’ils soient », murmure Selena avec résignation.

Malgré tout, mon impression générale est positive. Le début m’a enchanté, la suite m’a parue plus convenue (et le côté romance m’a laissé froid, mais je ne recommence pas mon couplet sur ce genre littéraire qui m’ennuie plus qu’autre chose) et la fin m’a fait rêver, tout en me perdant une ou deux fois. Car Kim Bo-Young a des fulgurances proches de certains auteurs de Hard-SF. Dans « Ceux qui vont vers le futur » surtout, j’ai trouvé des accents qui m’ont rappelé Liu Cixin dans plusieurs de ses nouvelles (L’Équateur d’Einstein et Les Migrants du temps) : même vision grandiose de l’univers, même lien entre les espèces qui le peuplent, même démesure, même sens du merveilleux. En lisant ces textes, on se sent à la fois tout petits, car nous ne sommes même pas une poussière dans l’espace et le temps, mais aussi gigantesques car l’histoire s’ouvre sur des possibles extraordinaires. Même si certains points scientifiques et certains raccourcis m’ont laissé dubitatif.

Comment peux-tu en être aussi sûr ? Alors que selon tes dires, tu n’as jamais volé à cette vitesse. – La réponse est très claire, c’est parce qu’à cette vitesse le temps s’arrête.

Lire L’Odyssée des étoiles, c’est tenter une nouvelle expérience. Découvrir une autre façon de penser la SF. Pas de rupture radicale avec les productions de ce genre littéraire venant d’autres pays, mais des chemins de traverse, un ton à part. Et, malgré les doutes qui m’ont parfois assailli, un moment de lecture que j’ai profondément apprécié. J’espère que les éditions Rivages vont poursuivre dans cette voie et nous proposer d’autres voix, originales et surprenantes.

Présentation de l’éditeur : Deux fiancés coordonnent leurs voyages interstellaires afin de pouvoir célébrer leur mariage sur Terre. Mais des incidents perturbent leur traversée de l’espace et du temps, repoussant leurs retrouvailles vers un futur toujours plus lointain. Alors que la Terre subit changement climatique, guerres civiles et désastres nucléaires, une chose reste constante : l’amour est éternel. Quant à leur fils, devenu un voyageur du temps, il cherchera à se rendre aux confins de l’univers, vers le point de non-retour.

Rivages, collection « Imaginaire » – 4 octobre 2023 (romans inédits traduits du coréen par Kyungran Choi et Pierre Brisiou – 272 pages – Édition brochée : 22 € / Numérique : 16,99 €)

Merci aux éditions Rivages (et particulièrement à Alain Deroulilhe & Marie Wodrascka) pour ce SP.

D’autres lectures : FeydRautha (L’épaule d’Orion)Les Lectures du MakiLes Blablas de TachanMa Voix Au ChapitreLhisbei (RSF Blog)Sometimes a book


21 réflexions sur “L’Odyssée des étoiles, Kim BO-YOUNG

  1. Étrangement, ça pourrait m’intéresser. Je dis étrangement parce que cette collection n’est pas totalement en phase avec ce que j’ai l’habitude de lire et je me souviens encore de la cuisante défaite avec l’île de silicium.
    Mais qqch dans ton retour me fait rêver, peut-être l’aspect romance qui t’a ennuyé mais qui pourrait m’accrocher si je me perds un peu trop.
    Tiens rien à voir mais l’autrice sera aux utopiales cette année.

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    1. J’espère que je ne vais pas encore t’entrainer dans une voie qui ne te plaira pas finalement. Je me méfie, car je lis quelques avis pour le moins mitigés. Mais, de mon côté, j’ai réussi à me laisser porter par le récit et à y trouver du plaisir. Ce qui est pour moi l’essentiel. Je verrai ce que tu en dis, si tu finis par lire ce roman.

      Ah, les Utopiales ! Il faudrait vraiment que je me bouge !

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      1. c’est pas grave si ça ne me plaît pas autant ou pas du tout, au moins j’aurai tenté le voyage ! Je me réjouis déjà d’avoir envie de le lire, il y a qques mois encore je l’aurais complètement snobé.
        Tu vas y aller aux Utopiales ? 🙂 Ce serait chouette !!

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      2. Oh mais non c’est pas mal parti, tu as encore un mois 🙂 Ce serait dommage de passer à côté, il y a plein d’auteurices chouettes, que tu aimes bien en plus. Tu as vu le programme ? Il est paru hier (j’en ai rêvé cette nuit tellement j’ai hâte). De mon côté, je me demande comment je vais faire pour me dédoubler 😐

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