Premières lignes #2 : Entre les méandres [Les archives des Collines-Chantantes .3], Nghi VO

Deuxième épisode de ce rendez-vous dominical. Troisième tome d’une série qui en comporte actuellement quatre en V.O., voici les premières lignes d’Entre les méandres de Nghi Vo. On y retrouve l’adelphe Chih et son compagnon à plume absent du dernier tome. Voyons où cette histoire va nous entraîner…

Premières lignes

Le barbier s’interrompit pour égoutter son rasoir d’un geste vif du poignet.

« Eh bien, il m’est arrivé un jour de raser le gouverneur Liu de la province de Qin à l’occasion de la procession et, l’été dernier, j’ai épilé au débotté les sourcils de Rosette incarnate à la place de son barbier personnel, indisposé.

– Rosette incarnate, l’actrice de Fenghua ? » demanda Chih avec intérêt.

L’artisan émit un murmure d’acquiescement en achevant d’oindre d’huile son cuir chevelu. Au premier passage du rasoir sur son crâne, l’adelphe se sentit saisie d‘un frémissement qui ne lui fut qu’à demi agréable, mais elle resta aussi immobile qu’il était sage de l’être quand un colosse tenait une lame démesurée si près de son visage.

« Ouais. Sa compagnie, le je ne sais quoi du Ciel resplendissant, était en tournée dans la région en remontant vers le royaume de Vihn. Elle jouait cette fameuse pièce, tu sais, sur la vie de couple d’un chef de secte dans les basses terres. »

Chih se garda de bouger tandis que le barbier lui résumait l’intrigue de La Cruelle Épouse de maître See parce que les avis et les critiques étaient eux aussi porteurs d’histoire à leur manière, mais les brefs mouvements rythmés du rasoir le plongèrent bientôt dans une forme d’hébétude. La lame affilée glissait sur le galbe de son crâne comme si elle en connaissait intimement chaque creux, chaque bosse, et les frissons qui remontaient le long de son échine ainsi que, pour une raison mystérieuse, derrière ses genoux chaque fois qu’il se faisait raser la tête accaparèrent peu à peu son attention.

4ème de couverture

« On n’écrit plus ainsi de nos jours. Pourquoi s’en donnerait-on la peine du reste, puisque les anciens ont parfaitement fait le travail à l’origine ? »

Comme nombre d’histoires, Entre les méandres commence dans une taverne. Une bagarre interrompt le repas et le thé de Chih. La rapidité, la grâce, le mouvement de la combattante, venue protéger la serveuse d’un rustre, pique la curiosité de Presque-Brillante.

L’oiseau à la mémoire infaillible et le bec bien pendu en est certain : elle pratique le style du singe du Sud. Cette école d’arts martiaux ne comptait, il y a vingt ans, plus que dix-huit adeptes. Et la moitié était centenaire. Qui peut bien être cette jeune prodige ?

Ils proposent à cette femme et sa sœur de voyager quelques jours ensemble. Rejoints par un couple connaissant la région comme leur poche, la troupe se met en route vers Quais-de-Bétoine. Aux confins de l’Empire, les méandres du fleuve Huan grouillent de bandits et de légendes, dont chaque voyageur a une version. Parfait pour l’archiviste, qui n’en perdra pas une miette.

Brèves réflexions

On est bien dans cette série des Les archives des Collines-Chantantes : l’autrice nous plonge directement dans le quotidien de l’adelphe Chih. Une scène de vie, banale : un barbier qui fait la conversation et parle de ses clients, des vedettes. Histoire de faire la conversation et de se faire mousser. Quoi de plus ordinaire ?

On retrouve aussi dès ces premières lignes le personnage de Chih, l’adelphe. Et la particularité de son genre flottant : le pronom le désignant passe du « il » au « elle » de page en page. Tout comme l’accord des adjectifs. On a «  l’adelphe se sentit saisie » et « elle » au quatrième paragraphe, mais « le plongèrent » et « il » au sixième. Fluidité qui peut ravir certains lecteurices et en agacer d’autres. Mais qui, à la longue, ne gêne en rien la lecture, une fois les premières surprises passées.

Dans ces premières lignes, j’ai aussi rapidement retrouvé le caractère de Chih : intéressé par les histoires de celles et ceux qui l’entourent, mais aussi très centré sur son confort et ses sensations. Ici, il finit par abandonner le cours du récit fait par le barbier pour se plonger dans ce qu’il ressent au contact de la lame. Une belle illustration de ce personnage tel que je me le rappelle des deux récits précédents (L’Impératrice du Sel et de la Fortune et Quand la Tigresse descendit de la montagne).

Enfin, j’ai apprécié dans ces quelques lignes la petite pointe d’humour et d’autodérision contre ces noms et ces titres à rallonge (comme Nghi Vo l’a fait pour les deux premiers opus). En effet, le barbier parle du « je ne sais quoi du Ciel resplendissant » quand il veut rappeler le nom d’une compagnie de théâtre. Et il est vrai que tout au long des précédentes novellas, j’avais admiré (et été un peu perdu par) l’ampleur des titres des personnages et des noms de lieu. J’imagine que Entre les méandres ne fera pas exception à cette règle.

J’ai hâte de me plonger dans ce petit bonbon acidulé aux doux parfums d’ancienne Asie fantasmée.

En pratique

Nghi VO, Entre les méandres [Les archives des Collines-Chantantes .3]

L’Atalante, 2023

V.O. : Into The Riverlands, 2022

Traduction : Mikael Cabon

122 pages

Édition collector : 14,90 € / Édition souple : 12,50 €numérique : 6,99 €

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