Le Silex et le miroir, John CROWLEY

Hugh O’Neill, seigneur d’Ulster, sait depuis tout petit qu’il aura un rôle particulier à jouer. Il devra rassembler l’Irlande contre les Anglais. Contre le pouvoir de la Reine. Et il a un atout dans sa manche. Il est protégé par les créatures magiques qui peuplent ses terres. D’ailleurs, elles lui ont remis un cadeau : un silex, symbole de son pouvoir. D’un autre côté, le mage de la reine, John Dee, lui a offert un miroir enchanté, qui le lie à sa souveraine. Quels choix seront les siens ?

Un récit historique ?

John Crowley, dès les premières pages, semble nous plonger dans un roman historique assez traditionnel. On est en Italie, et l’on découvre Hugh O’Neill sur la fin de sa vie. Réfugié dans ce pays catholique, loin du courroux protestant de « sa » reine, il se plonge, guidé par son confesseur, dans son enfance et le déclenchement des évènements qui l’ont conduit en ce lieu, dans cette position. Et si l’on va vérifier dans des livres, sur internet la véracité des moments contés par l’auteur, pas d’erreur, on est bien dans un roman qui se base de façon précise sur des faits réels. Toutes ces histoires de famille, d’enfants illégitimes, de prises de pouvoir, de trahisons, de batailles, sont inspirées de ce que racontent les livres d’histoire. Autant vous le dire tout de suite, moi qui ne connais ni le passé de ce pays, ni ces familles, je n’ai pas tout retenu. Voire pas tout saisi des liens qui unissent les personnages. Mais cela ne me dérange pas, car j’ai toujours eu du mal avec la généalogie. Au fur et à mesure, c’est davantage les sonorités des noms que je me lis à voix haute qui me charment et me portent. Au détriment, certes, d’une compréhension totale de tous les tenants et aboutissants des rapports entre les personnages. Mais cela ne m’a en aucune manière gêné dans la lecture. En effet, John Crowley ne fait pas œuvre uniquement d’historien. Il est avant tout conteur.

Les légions célestes les plus petites, celles affectées aux affaires terrestres, collectent et portent les messages et les nouvelles, communiquent ce qu’elles apprennent ici-bas aux niveaux d’en haut.

Un récit plein de magie

Et conteur d’un récit appartenant sans hésitation au genre de la SFFF. Car très rapidement, il met en scène son personnage principal aux prises avec les créatures magiques de son pays. Alors, ne vous attendez pas à un bestiaire féerique, plein de gentilles petites créatures ailées. Ici, les êtres magiques sortent de la terre ou des airs et y retournent le plus vite possible. Les temps ne sont plus les leurs. Ils paraissent le savoir et tentent comme un baroud d’honneur avec Hugh O’Neill. Une dernière tentative pour reprendre pied dans leur contrée. Alors, celui qu’on appellera plus tard « Le O’Neill », se laisse porter. Sans nécessairement bien comprendre ce qu’on attend de lui, sans bien réaliser pleinement quelles sont les forces en présence. Mais il suit le courant. Et prend les décisions qu’il faut. Semble-t-il. Même si l’on sait d’avance que tout cela finira par un échec.

Les prisonniers pleurèrent, supplièrent qu’on fasse venir un prêtre, ou restèrent assis en silence, sans bouger. Dès l’aube du jour du nouvel an, on entreprit de tous les pendre. L’opération dura longtemps.

Un personnage sans beaucoup d’allant

Tout est écrit d’avance. D’où, peut-être, ce sentiment que le personnage principal n’était pas très actif. Un peu, par moments. Un peu, sur la fin. Mais John Crowley n’insiste pas tellement sur ces prises de décision. Davantage sur son côté observateur passif. Qui a du mal à effectuer un choix. D’ailleurs, certains lui reprocheront ces hésitations, qui auraient conduit à la défaite. Il hésite, de toute façon, et c’est une réussite anglaise, entre les deux côtés. Les Anglais l’ont fait élever parmi les leurs, loin des siens. Il est donc un Irlandais aux mœurs anglaises. Et son allégeance à la Reine, renforcée par la présence du miroir magique offert par John Dee, n’arrange pas les choses. Est-ce parce que je n’arrête pas de lire des romans mettant en scène des protagonistes un peu à côté de la plaque, qui semblent avoir du mal à prendre les rênes de leur existence (comme L’Hôtel de verre ou Les choses immobiles) ? En tout cas, j’ai trouvé Hugh O’Neill particulièrement passif, à quelques exceptions près. Et, si cela n’a pas dérangé mon plaisir de lecteur, cela m’a interrogé sur ce personnage. Je me demande bien si, en réalité, il s’est montré aussi indécis. Aussi à la traîne sur les évènements.

Le Silex et le miroir est un roman mélancolique et beau, d’une grande poésie (je suis toujours admiratif devant le travail des traducteurs et traductrices, en l’occurrence, ici, Patrick Couton). Je ne sais s’il me permettra de mieux saisir une partie de l’histoire de l’Irlande et de l’Angleterre. Mais il m’a permis de vivre, pendant plusieurs heures, à une époque lointaine, au milieu de paysages superbes et oniriques, avec des personnages souvent rudes, voire rustres, souvent attendrissants malgré leur violence. Et il m’a donné envie de rattraper mon retard et découvrir, quelques années après tout le monde, le roman Kra.

Présentation de l’éditeur : Tout ce territoire appartenait aux O’Neill, et ce depuis toujours. Voici l’histoire de Hugh O’Neill, seigneur d’Ulster, qui vécut entre deux mondes : la terre d’Irlande, celle des contes et des légendes où les sidhe protègent les O’Neill, et l’Angleterre, où il a été élevé, afin qu’il puisse « comme un jeune faucon, revenir plus volontiers au poing anglais ». Quand la reine Élisabeth lui susurre ordres et mots doux à travers un miroir enchanté par un mage de sa cour, John Dee, les anciens peuples d’Irlande, sortis de terre pour en faire leur champion, mettent en lui leur espoir de victoire et d’indépendance. John Crowley conte la chute d’un homme ; et celle, plus grande encore, d’une culture – sa magie, ses histoires, sa langue. Mais si ces disparitions semblent refléter l’inéluctabilité de nos destins, nous sommes de fait les porteurs de nos histoires, car nous les écrivons nous-mêmes. La fin d’un temps n’est pas la fin du poète.

L’Atalante, collection « La dentelle du cygne » – 7 septembre 2023 (roman inédit traduit de l’anglais par Patrick Couton – Flint and Mirror (2022) – 318 pages – 19,90 euros / numérique : 9,99 euros)

Merci aux éditions de L’Atalante (Emma Chabot) pour ce SP.

D’autres lectures :

Cette chronique fait partie du Challenge S4F3 2023 (11ème lecture).


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