L’Hôtel de verre, Emily ST. JOHN MANDEL

Des vies qui se croisent. Des jeunes gens qui cherchent une direction, un sens à leur existence. Un lieu central et pourtant isolé en pleine forêt : un hôtel de verre y est construit. Point nodal de ces fils qui se croisent avant d’être emmêlés, voire coupés pour certains.

Un rythme particulier

Pour commencer, je n’avais pas prévu de lire ce roman. Même si Yogo, notre cher Maki, chante régulièrement sur son blog les louanges d’Emily St. John Mandel, je n’avais pas encore franchi le pas. Mais j’ai reçu, et je remercie pour cela les éditions Rivages, le dernier roman de cette autrice, La Mer de la tranquillité. Intrigué par le résumé, je l’ai entamé. Or, au bout d’une quarantaine de pages, le drame ! Référence était faite à un personnage et son destin qui nous était narré dans L’Hôtel de verre. Ni une ni deux, j’interromps ma lecture et fonce vers ma médiathèque (adorée car le livre était en rayon, à m’attendre sagement). Et c’est ainsi que j’ai commencé à me plonger dans la prose et la narration si particulières d’Emily St. John Mandel.

En lisant cet ouvrage, je n’ai pu m’empêcher de penser à certains romans de Paul Auster où les personnages semblent se laisser porter par les évènements. Un peu aussi comme Scarlett Johansson dans le célèbre Lost in Translation (Sofia Coppola, 2003). On suit des épisodes de vie, qui semblent décousus. D’autant plus décousus que l’on passe de l’un à l’autre, au gré des volontés de l’autrice, sans raison ou fil apparent. Le fil apparaît progressivement. Très progressivement. Et il est parfois très fin. Mais quelle importance ?

Ce soir-là, Walter s’arrêta en chemin à son épicerie habituelle, et la perspective de s’y arrêter de nouveau le lendemain, et encore le surlendemain, et encore le jour d’après, lentes déambulations dans l’allée des surgelés après ses heures de service à l’hôtel où il travaillait depuis dix ans, plus vieux d’un jour à chaque fois, tandis que la ville se resserrait autour de lui… franchement, c’était insupportable.

Des vies qui passent

Mais tout cela vaut pour la première moitié du roman, le temps que s’installent les êtres dans leurs vêtements, dans leurs habitudes. Dans la deuxième partie de L’Hôtel de verre, la narration devient plus traditionnelle. On tourne autour d’un sujet particulier dont le centre est Jonathan Alkaitis. Ainsi que sa nouvelle épouse. Mais je ne peux en dire plus sans gâcher votre futur plaisir de lecteurice. D’ailleurs, je pense qu’avec Emily St. John Mandel, ce problème va se présenter souvent : comment parler de ses livres sans rester superficiel mais sans pour autant trop en dévoiler ? J’essaie…

Les histoires racontées sont belles et tout de suite entraînantes. On fait la connaissance de Vincent. Une jeune femme malgré son prénom plutôt masculin. Une histoire de poésie. Dès les premières pages, on la découvre en mauvaise posture : seule dans l’océan après avoir chuté d’un navire. Des bribes de pensée la saisissent. Nous apparaissent lors de courts chapitres. Elle pense à son frère. On le découvre dans la partie suivante (Tout fonctionne ainsi. Et c’est parfait.). Paul est un jeune homme paumé : il ne sait pas que faire de lui, de ses études. Il végète et un bête accident va décider en partie pour lui. Puis c’est au tour de l’hôtel et de son personnel. L’hôtel Caiette « se trouve au milieu de nulle part » pour citer son directeur général. Il est inaccessible en voiture, entouré par la forêt canadienne, « à l’extrémité nord de l’île de Vancouver ». Seul le bateau permet de le relier au reste de l’humanité. Sur une vitre de ce bâtiment de luxe apparaît un soir une phrase violente et inexpliquée (du moins, jusque vers la fin du roman) : « Et si vous avaliez du verre brisé ? ». Là encore, bel exemple de l’écriture d’Emily St. John Mandel : elle nous jette cette phrase et ses conséquences à la figure, et c’est à nous de tenter de comprendre comment toutes ces pièces peuvent s’imbriquer.

Un léger déséquilibre

C’est d’ailleurs pourquoi j’ai préféré la première partie de ce roman à la deuxième. Car le début vole dans tous les sens, d’une existence à une autre. Je me suis laissé porter avec délice d’une époque à une autre (les années sont indiquées ce qui permet de s’y retrouver), d’une vie à une autre. Or, sur la fin, on tourne autour de la même histoire. Intéressante, je n’en disconviens pas. D’ailleurs, j’ai dévoré ce livre. Mais le côté aérien des premiers chapitres m’a un peu manqué dans la suite que j’ai trouvé plus lourde. Comme si le début n’avait été qu’une préparation de la résolution finale. Eh bien j’ai beaucoup aimé cette préparation. D’autant qu’elle est servie par des images touchantes, par des bribes de descriptions surprenantes, réussies : « C’était une froide journée de novembre avec des nuages bas. Il roula vers le nord au volant d’une voiture de location grise, traversant une série de localités grises d’où on voyait par intermittence la mer grise sur sa droite, un paysage d’arbres sombres et de McDonald’s et de supermarchés sous un ciel plombé. »

J’aurais dû écouter Yogo plus tôt. Cette découverte d’Emily St. John Mandel a été pour moi, sinon une révélation, du moins une très heureuse surprise. J’ai adhéré dès les premières lignes à sa façon d’écrire, à ce qu’elle propose. Et la lecture de La mer de la tranquillité a confirmé cette première impression (on en parle bientôt). Je vais ajouter les plus anciens ouvrages de cette dame, même s’ils n’appartiennent pas tous à mon domaine préféré qu’est la SFFF (c’est d’ailleurs le cas de L’Hôtel de verre), à ma liste. Vous aussi, laissez-vous emporter par cette prose envoûtante.

Présentation de l’éditeur : « Et si vous avaliez du verre brisé ? » Comment cet étrange graffiti est-il apparu sur l’immense paroi transparente de la réception de l’hôtel Caiette, havre de grand luxe perdu au nord de l’île de Vancouver ? Et pourquoi précisément le soir où on attend le propriétaire du lieu, le milliardaire américain Jonathan Alkaitis ? Ce message menaçant semble lui être destiné. Ce soir-là, une jeune femme prénommée Vincent officie au bar ; le milliardaire lui fait une proposition qui va bouleverser sa vie. D’autres gens, comme Leon Prevant, cadre d’une compagnie maritime, ont eux aussi écouté les paroles d’Alkaitis dans ce même hôtel. Ils n’auraient pas dû…

Rivages, collection « Noir » – 3 mars 2021 (roman inédit traduit de l’anglais [Canada] par Gérard de Chergé – The Glass Hotel (2020) – 400 pages – 23 euros / poche : 10,50 euros / numérique : 9,99 euros)

D’autres lectures : Célinedanaë (Au Pays des Cave Trolls)


11 réflexions sur “L’Hôtel de verre, Emily ST. JOHN MANDEL

  1. doublement convaincue – enfin non, triplement, même quadruplement, si je rajoute la propagande du Maki ^^ : 1/ j’ai jamais lu l’autrice et j’ai bien envie de surmonter l’échec total qu’a été le visionnage de la série adaptée de Station Eleven, 2/ tes arguments me parlent, et 3/ le bouquin vient de sortir en poche.
    Bref, une autrice à découvrir pour moi, qui figurera sur ma liste d’auteurices à lire en 2024.

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    1. Ça, on peut dire que le Maki sait se montrer persuasif. Mais je l’en remercie vraiment sur ce coup, car c’est pour moi une superbe découverte. En plus, cette autrice a déjà écrit pas mal d’autres romans : du grain à moudre !

      J’attends donc ton retour pour l’année prochaine. Cela va venir vite !

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