Borne, Jeff VANDERMEER

Lors d’une sortie en vue de trouver de quoi survivre, Rachel tombe sur un être bizarre, étrange. Elle ne sait pas ce que c’est, ne peut même pas bien dire à quoi cela ressemble. Mais elle s’attache immédiatement à cet être. Elle lui trouve un nom, « Borne ». Puisqu’en quelque sorte, c’est elle qui l’a amené à la vie en le trouvant (« born » signifie « naître » en anglais, pour ceux qui, comme moi, ont un niveau dans cette langue assez limite). Avec lui, avec cet « hybride d’anémone de mer et de calmar », Rachel va ouvrir les yeux sur son monde.

Une découverte non prévue

Cet auteur, cela fait un moment que je tourne autour. J’avais regardé sa trilogie du Rempart Sud à la médiathèque. J’ai entamé sa très curieuse Cité des Saints et des Fous. Mais le moment n’était pas adéquat et je l’ai rapidement abandonnée, en me disant que plus tard… Enfin, vous connaissez ça. Et puis j’ai découvert le titre du roman qui paraît en ce mois de septembre : Astronautes morts. Coup de foudre. Mais je me suis rapidement aperçu que ce récit prenait place dans un univers déjà décrit dans une autre œuvre. Or, je déteste débarquer au milieu d’un spectacle déjà commencé (la même mésaventure m’est arrivée cet été pour la lecture de La mer de la tranquillité d’Emily St. John Mandel). Chacun d’entre nous a ses lubies. Donc, j’ai laissé de côté mes astronautes pour aller vers Borne.

Bienvenue dans la tête de Jeff Wandermeer

Mais je connaissais la réputation de cet auteur. Et le peu que j’en avais lu, associé aux premières lignes de ce roman proposées par Zoé sur son blog que je suis activement, m’inquiétait un peu. Et je n’ai pas été déçu. On parle de weird science, et ce terme convient tout à fait. Comme chez Jeff Noon (serait-ce une affaire de prénom ? Jeff ?), dans Un homme d’ombres par exemple, tout prend des proportions étranges. Même ce qui pourrait être banal, courant, ne l’est pas. Et là, de toute façon, pas de banalité. Car Jeff Vandermeer met en place un monde hors norme, empli de ses visions. La trame peut en sembler assez classique : scène post-apocalyptique, plusieurs clans s’affrontent, les héros sont au milieu de tout cela et tentent de survivre, un ou deux bons gros secrets pimentent le tout et leur révélation apporte un nouveau regard sur l’histoire. Mais la façon dont l’auteur met tout cela en scène et, surtout, les images qu’il y ajoute ! Je ne suis pas certain que j’aimerais pénétrer l’esprit de M. Vandermeer.

…les méandres de la rivière toxique qui bordait la majeure partie de la ville. Y mijotaient métaux lourds, huiles et déchets, générateurs d’une brume nocive qui nous rappelait que nous mourrions probablement d’un cancer, au mieux.

Car tout change de forme. Sortir de son refuge est synonyme de mise en danger. Le moindre être vivant semble n’exister que pour faire peur, faire mal, piéger. Même la rivière qui traverse la ville est empoisonnée, repoussoir atroce malgré la soif qui se fait sentir en permanence. En avançant dans les rues, on trouve des « pendus aux lampadaires brisés », des « cadavres mutilés et brûlés ». Car la ville est le terrain d’une guerre. Entre la Compagnie, qui semble avoir créé nombre des horreurs qui tuent encore, malgré sa déchéance, et un groupe dirigé par la Sorcière, dont on ne sait pas grand-chose au début du roman. Et surtout, la ville est sous le pouvoir de Mord, créature créée par cette même Compagnie : un « ours géant » capable, lui, de boire sans dégât dans la rivière empoisonnée ; dont les griffes et les crocs sont capables d’« éviscérer et éliminer en un éclair » n’importe quoi ; qui vole au-dessus de son domaine et tue, sans pitié, sans même s’en apercevoir tout et n’importe quoi. Un monde de folie où survivent, on ne sait comment, plusieurs individus. Dont Rachel.

Nous n’évoquons jamais les mauvais côtés des personnes venant de décéder.

Des personnages en sursis

Rachel, qui forme avec Wick, un couple étrange mais stable. Ce dernier a été lié à la compagnie. On ne sait pas bien comment au début. Juste qu’il semble avoir été un inventeur, un créateur. Et qu’il continue, avec ses faibles moyens. Mais à la Vandermeer. On n’est pas dans un labo design. Non. Wick a une piscine où nagent ses embryons de création. Tout est monstre, de toute façon. Et, la plupart du temps, monstre menaçant de par sa propre nature. Face à cette hostilité permanente, Rachel reste en grande partie humaine. Mais une humaine affûtée, réduite à sa part animale, qui se méfie de tout et est prête à se battre, même contre ses congénères, afin d’obtenir de quoi tenir encore quelques temps. L’arrivée de Borne va tout changer. L’équilibre est rompu : Rachel délaisse un peu Wick, son mentor, son amant, au profit de Borne, son « bébé ». La voilà mère, aux prises avec les affres de l’éducation. Car Borne grandit et veut apprendre. Et cela va tout changer.

Trois astronautes morts retombés sur Terre avaient été plantés là comme des tulipes, enterrés jusqu’au torse, puis renversés dans leur combinaison, la visière brisée et tournée dans la poussière. 

Je ne me frotte pas si souvent que cela au genre New Weird, mais j’en sors souvent plutôt satisfait. Et cette plongée, improvisée, dans le monde de Borne ne fait pas exception à la règle. Si je ne sors pas transcendé par cette lecture, j’ai passé un moment très agréable, occupé à mettre des images sur les mots de Jeff Vandermeer, regrettant parfois de l’avoir fait ; à me demander si tout finirait comme je l’avais prévu (en grande partie, malgré quelques surprises qui m’ont étonné) ; à observer l’irruption de ces astronautes morts dont je vais bientôt lire le roman.

Présentation de l’éditeur : J’ai trouvé Borne quand l’ours géant Mord est venu rôder près de chez nous par une belle journée couleur bronze. Pour moi, au début, Borne n’était qu’un objet de récupération. J’ignorais quelle importance il aurait pour nous. Je ne pouvais pas savoir qu’il changerait tout. Y compris moi.

Au diable vauvert – 8 octobre 2020 (roman inédit traduit de l’anglais [États-Unis] par Gilles Goulet – Borne (2017) – 480 pages – 22 euros / Le livre de poche : 8,70 euros / numérique : 9,99 euros)

D’autres lectures : Zoé prend la plumeHugues (Charybde 27)


9 réflexions sur “Borne, Jeff VANDERMEER

  1. Ah ben j’en suis d’autant plus ravie alors ! J’avoue que les avis flash c’est toujours un peu un questionnement pour moi, je me demande si c’est suffisamment complet pour que ce soit utile, en plus il y a ici un texte que je n’ai pas aimé du tout, ce n’était pas gagné ! Lequel te tente le plus ? Au hasard, serait-ce Borne ? ^^

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    1. zut je me suis trompée de blog pour répondre !! (ça va pas mieux moi, ouhlala). Je suis navrée 😦
      Bref, je voulais dire que je suis très contente qu’il t’ait plu ! Tu as eu le même ressenti que moi : un peu perdu au début, et puis embarqué sans être non plus complètement transcendé. J’avoue avoir été un peu déçue sur ce point, j’attendais aussi quelque chose de plus, de plus… je ne sais pas exactement, mais plus.

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