Apocalypse blanche (la sirène sous la cime), Jacques AMBLARD

La Terre s’est lâchée un grand coup en 2055, l’an 0. En quelques séismes, elle a redéfini en grande partie la géographie, tuant ainsi des millions le personnes lors de l’Onde 1. Des sommets montagneux déjà élevés ont battu de nouveaux records. On est dans le stratosphérique avec les « stratocimes ». Une nouvelle génération de grimpeurs, parmi les survivants, a suivi. Dont le narrateur.

Un roman montagnard

Je poursuis mon voyage dans les montagnes de SF. Après la nouvelle « La montagne » placée dans le recueil Les migrants du temps de Liu Cixin (« Là où il y a de la montagne, il y aura toujours quelqu’un pour la gravir. ») et sa montagne liquide créée par des extraterrestres. Après Le bord du monde est vertical de Simon Parcot et son sommet réservé à ceux qui se sont trouvés. Voici Apocalypse blanche de Jacques Amblard, un roman allumé, déjanté, complètement barré. Et pas facile à suivre. Il m’a fallu du temps pour arriver au bout. Mais revenons à la montagne. Dans ce roman, elle est centrale. Le narrateur en est un fondu, qui grimpe de façon exceptionnelle. Il est également testeur de matériel de pointe pour de grandes marques. Et pour tester, il teste. Il amène le matériel (et lui-même) au maximum. Et même au-delà des limites. De toute façon, c’est une marque familiale. Son père, le vieux (pas un modèle de figure paternelle, qui était un taiseux violent avec son enfant), est un adepte de la grimpette nu. Quant au narrateur, bien qu’il reste habillé, il est tout de même lié à la montagne depuis son plus jeune âge. Très rapidement, il s’est retrouvé à tenter d’atteindre un des nouveaux sommets, qui dépasse les 10000 mètres, le Strato. Mais chacune de ses tentatives a été un échec. Pour de multiples raisons. Dont la bizarrerie, voire la folie des membres de ses équipes.

Un personnage trouble

À chaque fois, il s’est retrouvé comme bizuté. Battu, frappé, violenté, violé. Et il accepte ça comme si c’était normal. L’habitude faisant loi. De toute façon, cela a commencé très tôt, puisque très jeune il s’est retrouvé dans le lit d’une plus vieille vedette de ce milieu. Cela se savait, on en parlait, mais on laissait faire. Il a une relation aux autres très passive : il ne veut pas embêter, il ne veut pas de conflit. Alors il cède. Quel que soit le sexe, quelle que soit la personne. Lui se considère non intéressé. Loin de tout cela.

Autre point troublant de ce personnage, ses amnésies régulières. Des heures, des jours, des mois disparaissent de son esprit. Sans que l’on en comprenne vraiment la raison. Sauf peut-être à la fin, dans ces derniers chapitres qui expliquent, du moins en partie, les mystères distillés au cours des premières parties.

Une construction pour le moins étonnante

Car le moins que l’on puisse dire est que Apocalypse blanche (la sirène sous la cime) est un roman surprenant. Dès le prologue, intitulé « Ingrédients (à ne pas lire) », l’auteur, Jacques Amblard, s’adresse à son lecteur et crée avec lui une connivence. Il n’hésite pas à dévaloriser son récit, en demandant de la patience pour arriver à la dernière « partie » : « Crois-moi. Survis aux trois premières parties. Et la dernière te plaira. » Cela met tout de suite dans l’ambiance. Tout le reste est à l’avenant. Les personnages émettent souvent des borborygmes, des petits bruits entre le rire et l’essoufflement. Les chapitres portent des noms d’animaux (on en comprend à peu près la raison à la fin). L’auteur insère des citations sans lien apparent avec le récit, prolongées par des notes de fin de roman parfois ésotériques au possible. Le narrateur se met à rire n’importe quand sans que l’on comprenne bien pourquoi. Il est interrogé par la police sans que l’on comprenne bien pourquoi. Il accepte l’inacceptable (se faire frapper, violer, perdre ses enfants, etc.) sans que l’on comprenne bien pourquoi.

Et les explications finales sont pour le moins étranges. Elles tiennent à peu près la route sur le plan logique (quoique, pas toujours, mais ne chipotons pas). Mais c’est un ramassis phénoménal d’éléments soutirés au complotisme qui ferait pâlir d’envie les gourous et autres pseudo-théoriciens en mal de gloire ou de pognon sur internet. Sans doute est-ce ironique, mais c’est peut-être un peu beaucoup. On croise les reptiliens, les puissants de ce monde cannibales, pédo-satanistes, les petits gris et tout le bestiaire de ce monde imaginatif et foldingue du conspirationnisme. Valent-elles, ces explications, que l’on s’accroche à ce roman comme à une paroi verticale, je n’en suis pas certain. J’ai vraiment dû me motiver par moments pour ne pas abandonner tant certains passages sont d’une grande longueur et surtout tant je n’ai pas réussi à, sinon saisir la logique de l’auteur, du moins y trouver un intérêt. Cela n’a pas été le cas tout le long du roman, sinon je l’aurais laissé de côté. De nombreuses pages m’ont donné envie de poursuivre la lecture, de tenter de comprendre, de voir où Jacques Amblard voulait m’emmener. Mais toute la folie du texte, tout son amour de la montagne (et certains passages m’ont vraiment fait rêver, moi qui aime ces blocs de pierre et de glace), toute son originalité ne sont pas parvenus à me convaincre.

À la fin de la lecture d’Apocalypse blanche, je sais déjà qu’il me restera en mémoire certains passages de ce roman fantasque et excessif. Que je ne regrette pas ces moments, même si je ne les conseille pas à tout le monde. Il faut avoir du temps et un esprit libre de tout schéma préétabli, de toute attente logique, avide de nouveauté formelle et en recherche de nouvelle sensations, même les plus morbides ou dérangeantes. Roman de l’excès, mais c’est bien normal quand on s’attaque aux plus hauts sommets.

Présentation de l’éditeur : Années 2050. La Terre, en pleine extase sismique, rate in extremis son but pur, son rêve métaphysique : l’extermination de l’espèce humaine. Conséquence des cataclysmes, outre onze milliards de morts, des monts, au Chili, en Alaska, ont grandi. L’un d’eux, dit-on, atteindrait 16 000 mètres d’altitude. Ce « Strato-McKinley » défie les chamoniards encore en vie. Naît l’alpinisme « zen » ou « stratosphérique ». C’est là que j’interviens, mon vieux aussi, taiseux, nudiste – inventeur de l’alpinu – et bientôt disparu. En vingt ans, j’échoue six fois au mont suprême. Pire, on m’implique dans le massacre de 87 zigues au camp de base. Et pire encore, à mon septième assaut du Strato (ce monstre glacé dont la Pensée me hante), cette fois, j’ai un fil à la patte imposé par notre louche gouvernement mondial. Interdiction d’échouer – sous peine de mort – quand menace l’Apocalypse Snow finale. Et le vieux – le plus grand alpiniste connu – qui ne reparaît toujours pas ? Je me rappelle au moins son enseignement : « La vérité est le contraire de ce qu’on pense. » Ce roman inaugure un nouveau genre, celui de l’alpinisme d’anticipation, avec une langue qui joue du vocabulaire de la haute montagne, de la varappe et de la glisse, et qui plonge dans les sensations d’ivresse, d’idéal des cimes, là où surgit un sublime ultime. Un roman dingue.

La Volte – 20 octobre 2022 (roman inédit– 519 pages – Illustration : Anouck Faure – 20 euros / numérique : 10,99 euros)

Merci aux éditions de la Volte (Nay El Achcar) pour ce SP.

D’autres lectures : Fakh (Collapsofictions)Hugues (Charybde 27)


7 réflexions sur “Apocalypse blanche (la sirène sous la cime), Jacques AMBLARD

  1. Merci pour ce retour sur un titre qui m’étais encore inconnu. Un titre qui semble sortir de l’ordinaire, et qui marque par bien des aspects. Ca me permet aussi de voir qu’il n’est pas du tout pour moi, celui-là…

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