Les jumeaux du paradoxe, Joshua CHAPLINSKY

Paul Langley meurt un jour, de façon soudaine, alors qu’il était planté debout devant chez lui. La fille de sa voisine vient vérifier si tout va bien, le tapote pour le faire réagir : il s’étale de tout son long, s’écrasant de face, en plein sur son visage. Mort. Il laisse derrière lui une épouse, hospitalisée pour raisons mentales, et deux jumeaux qui ne se ressemblent plus vraiment. Et se détestent. Et aussi, un étrange cosmonaute.

Une mosaïque volontairement ambiguë

Les jumeaux du paradoxe sont présentés comme un collage de textes, empruntés à divers récits. Les deux jumeaux ont écrits, chacun à sa façon, leur histoire. La fille de la voisine, qui a trouvé leur père mort, a fait de même. Et tous ces extraits sont choisis et présentés par un webmestre, Joshua Chaplinsky, dont on ignore beaucoup. Mais dont on apprend pas mal au fur et à mesure de l’avancée du récit. Joshua Chaplinsky? Mais, n’est-ce pas le nom de l’auteur ? Du vrai auteur du roman, veux-je dire ? Si, si. Vous voyez venir une de ces sortes de mises en abyme, où on ne sait plus exactement à quel niveau on se trouve. Ce côté vertigineux est renforcé par les nombreuses notes de bas de page dans lesquelles l’auteur du blog donne son avis ou des détails sur certains passages qu’il a copiés (plus ou moins illégalement, comme il le rappelle lui-même). Et par tous ces moments où il s’adresse à sa psy, semant un gros doute sur sa propre santé mentale. Même s’il de défend du moindre souci médical. Pour continuer dans cette veine, le site (https://www.unravelingtheparadox.com/) existe vraiment et propose le premier chapitre du roman, un lien pour acheter le livre et une composition musicale peu ambitieuse, mais agréable à écouter ; ainsi que la révélation de la couverture qui correspond bien à l’état d’esprit du roman.

Une histoire de famille

Mais sinon, de quoi ça parle exactement, ce bouquin apparemment déstructuré (mais qui en fait est bien organisé et se lit rapidement) ? D’une histoire de famille, avec ses trahisons, ses haines et ses regrets, ses jalousies et ses rapprochements. Albert, le jumeau que nous suivons en premier, auteur des Jumeaux du paradoxe (je sais, je sais, le même titre que le roman : abyme, je vous disais), est un professeur moyen dans une ville moyenne avec une vie moyenne. Il vit seul et ne semble pas capable de nouer une relation stable avec une femme. Et pourtant, la fille de sa voisine correspond bien à ses goûts. Mais il est incapable d’aller bien loin. Et soudain, avec la mort du père, dont on apprend rapidement que c’était un Dom Juan compulsif trempant son biscuit un peu partout, débarque Max, le deuxième jumeau. L’inverse du premier : auteur à succès d’un livre pour la jeunesse qui vulgarise merveilleusement la science et attire des centaines de fans dans les séances de dédicace. Dont pas mal de jeunes femmes. Ce qui lui plait bien, en digne fils de son père. Vous voyez d’ici la jalousie formidable qui peut habiter Albert ! D’autant que Max prend un malin plaisir à rabaisser son frère, quitte à réinventer le passé à son détriment. Lui a écrit Petit déjeuner avec le monolithe.

Je m’arrête là pour vous laisser découvrir les liens entre ces deux personnages et une troisième : le jeune voisine qui a assisté à la mort de Paul et a aussi écrit un ouvrage, Le Troisième jumeau. Je peux juste préciser que le monolithe dont parle Max représente son père. Pas très flatteuse, cette image. Rapport à son manque d’implication, sans doute, en temps que père. Mais aussi à son amour pour le film de Kubrick 2001, l’Odyssée de l’espace (qui date de 1968).

Alors, Les jumeaux du paradoxe, que faut-il en penser? Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un roman difficilement classable. On y trouve quasiment pas de SF, même s’il paraît chez l’Atalante dans sa collection « La Dentelle du Cygne ». Bien moins encore que dans Composite, d’Olivier Paquet, paru chez le même éditeur tout récemment, et qui utilise juste un thème classique de SF en fond de son histoire. Chez Joshua Chaplinsky, apparaît simplement une figure de cosmonaute qui symbolise ce que l’on veut (chacun est libre de choisir, avec les indices distribués par l’auteur) et, donc, le film mythique de Kubrick et son monolithe. Rien d’autre. Mais cette absence ne me fait aucunement regretter ma lecture. Au contraire. La plume de l’auteur, l’inventivité de son collage, avec extraits d’autobiographies, de pages de web et même de scénarios de film (Chaplinsky n’est pas le premier à jouer sur l’identité et sa réalité – on peut penser à des auteurs comme Borgès qui ont porté cette technique au pinacle –, ni sur le mélange des genres, mais il le fait bien), font des Jumeaux du paradoxe une lecture agréable et intrigante, réjouissante et très recommandable. Une bien belle découverte en somme, qui ne devrait pas vous laisser indifférent.e.

Présentation de l’éditeur : Les Jumeaux du paradoxe est un collage biographique élaboré sur Internet au mépris du droit d’auteur par un artiste inconnu. Deux frères se retrouvent à l’enterrement de leur père après des années de séparation. La vie leur a fait prendre des chemins diamétralement opposés et leur ressemblance, jadis frappante, n’est plus qu’un lointain souvenir. Forcés de cohabiter pour mettre de l’ordre dans les affaires paternelles, ils découvrent de vieux secrets profondément enfouis qui ravivent leur ancienne rivalité. Se joint bientôt à eux la voisine, Millie, qui aimerait elle aussi en savoir davantage sur ses origines, le tout sous le regard d’un mystérieux astronaute qui hante le trio depuis toujours… Les Jumeaux du paradoxe nous propose le récit tour à tour émouvant, humoristique ou terrifiant d’une quête de sens et de vérité dans une famille dysfonctionnelle comme les autres.

L’Atalante, collection « La Dentelle du Cygne » – 18 août 2022 (roman inédit traduit de l’anglais [États-Unis] par Mikael Cabon – The Paradox Twins (2020) – 246 pages – Illustration : Matthew Revert – 16,90 euros)

Merci aux éditions de l’Atalante, particulièrement à Emma Chabot, pour ce SP.

D’autres lectures : Nicolas Winter (Just a word), Les lectures du Maki, Elwyn (La navigatrice de l’imaginaire), Maks (Un Bouquin sinon rien),

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Quatrième récit de ma participation à ce défi, le Challenge S4F3 2022.

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