Deux frères, jumeaux, au XIXe siècle. Deux autres au XXIe. De la même famille. Quel lien les unit à travers le temps ? La passion des glaciers ? Leur origine norvégienne ? Et que vient faire cet inconnu, John Smith, condamné plusieurs fois par la justice britannique ? Les réponses sont dans Rendez-vous demain, un puzzle passionnant qui nous conduit à travers le temps et nous parle aussi de notre présent.
Un début fragmenté
Quel rapport peut-il bien exister entre ces personnages ? Des jumeaux ayant vécu au XIXe siècle : l’un, scientifique organisé et bien intégré dans la société, s’intéresse aux changements climatiques et comprend que des bouleversements vont avoir lieu ; l’autre, artiste souvent impécunieux, voyage à travers le monde, l’Amérique du Sud, l’Europe, afin de chanter des airs d’opéra. D’autres jumeaux en plein milieu du XXIe siècle : le premier, journaliste engagé, voyage à travers les pays où les libertés sont mises en cause ; l’autre, profileur pour la police jusqu’à son renvoi, s’intéresse par la force des choses aux bouleversements climatiques qui mettent son existence en péril. Et John Smith, dont on suit les passages devant les tribunaux : usant sans cesse du même stratagème, il aurait trompé des femmes aux abois afin de leur dérober leurs maigres possessions. Et c’est lui, en fait, cet inconnu, dont on ne découvrira l’identité qu’à la fin du roman, qui sert de lien entre les époques.
Un lien ténu
En effet, John Smith n’est qu’un alias. Et à une époque où la photographie débutait, où les communications étaient, par rapport à notre siècle, d’une lenteur désespérante, il n’était pas facile de découvrir la vraie identité d’un anonyme. Or, rapidement, l’un des jumeaux du XIXe siècle est accusé d’être ce criminel. À tort ? À raison ? La lecture seule du roman permet de le savoir (hors de question, donc, que je révèle quoi que ce soit). Mais en 2050, Gregory, l’un des jumeaux du XXIe siècle, doit faire la preuve de la « pureté » de sa famille pour espérer obtenir un poste. Et l’histoire d’Adolf, lointain ancêtre condamné pour on ne sait quel forfait, remonte à la surface. Il faut en vérifier la véracité pour ne pas compromettre le projet professionnel. Voilà pour le lien. Prétexte un peu tordu, mais on l’accepte bien volontiers parce qu’il permet de raconter une histoire fascinante. Reste le moyen : le deuxième jumeau du XIXe siècle, Chad, se trouve muni, presque malgré lui, d’un moyen de communication avec le passé. D’une efficacité très modérée, permettant d’apercevoir des images du passé sans pouvoir échanger, cette technologie ouvre tout de même un canal entre deux époques.
Deux époques, mais une même préoccupation
La grande surprise, pour moi, à la lecture de Rendez-vous demain, en sus du plaisir de découvrir des vies autres, c’est l’érudition dont a fait preuve Christopher Priest. Car tout, ses personnages, leurs recherches, part de bases réelles. Les jumeaux du XIXe siècle, les frères Beck ont vraiment existé (et je repense aux Temps ultramodernes, de Laurent Genefort, qui a créé son univers à partir de notre passé, y mêlant nombre de personnages célèbres, dans un rôle différent). Tout comme le procès dont l’un a été victime. Il en va de même de la théorie de l’autre frère, qui imaginait un prochain refroidissement climatique avec l’augmentation périlleuse de la taille des glaciers. Et c’est un autre fil qui relie les époques. LE fil, en fait : le bouleversement de notre climat. L’auteur décrit un monde, en 2050, qui ne donne vraiment pas envie : les iles britanniques sont sujettes à des vagues de chaleur, de sécheresse terribles. Les tempêtes de sable ne se contentent pas de déposer un fin voile sur les voitures. Elles forment des couches qui nécessitent le passage d’engins pour dégager les routes. Elles bouchent les climatiseurs, vitaux en ces temps où les températures dépassent allègrement les quarante degrés. Et les côtes sont progressivement ravagés par la montée des eaux. L’Europe est à peine évoquée, mais son sort paraît encore moins enviable. Le portrait de ce futur est angoissant à souhait. Pas autant que celui d’Étienne Cunge dans sa Symphonie atomique, mais suffisamment pour faire naître une sourde inquiétude. Et une goutte de sueur de couler le long de la tempe, non pas due à la chaleur mais à la peur naissante. Je ne sais si tel était le but de Christopher Priest, mais il a produit un résultat très réaliste, distillé progressivement, histoire de bien laisser infuser les multiples conséquences sur notre quotidien : température excessive, approvisionnement en carburant ou en nourriture difficile, moyens de transport aléatoires. Cela ne donne vraiment pas envie d’arriver en 2050 !
Lire Rendez-vous demain, c’est accepter de se laisser entrainer avec ravissement sans bien savoir où l’on va, d’une époque à une autre, d’un individu à un autre. C’est aussi voyager avec érudition entre la réalité et l’imaginaire. C’est enfin regarder en face le bouleversement climatique et ses effets, le monde qu’il est en train de construire. C’est avoir un aperçu de notre avenir : à demain !
Présentation de l’éditeur : À la fin du XIXe siècle, le professeur Adler Beck étudie les glaciers et les changements climatiques liés à l’éruption des volcans, aux courants marins et aux cycles solaires. Après des années de recherche, il arrive à la conclusion que la planète subira un refroidissement majeur dans le courant du XXIe siècle. Pourtant, en 2050, le climat ne cesse de se réchauffer et la montée des eaux semble inéluctable. C’est en tout cas ce que constate au quotidien Chad Ramsey, qui vient d’être évincé de son poste de profileur pour la police. Juste avant son licenciement, on lui a implanté dans le crâne un moyen de communication révolutionnaire. Il va s’en servir pour aider son jumeau, Gregory, qui cherche à en savoir plus sur un grand-oncle qui aurait fait de la prison il y a bien longtemps. Cet ancêtre serait-il Adolf Beck, le frère jumeau d’Adler, qui aurait connu un certain succès sur les scènes d’opéra d’Amérique du Sud ? À moins qu’il ne s’agisse d’un dénommé John Smith, condamné à cinq ans de travaux forcés pour escroquerie en 1877 ? La vérité pourrait bien remettre en question les certitudes de Chad. Usurpation d’identité, gémellité, dérèglement climatique et réalité déformée… Avec le brio qu’on lui connaît, Christopher Priest tire parti de ses thèmes de prédilection pour se jouer de nos perceptions et de nos préjugés. Il hisse ainsi Rendez-vous demain au niveau de ses meilleures œuvres, en particulier Le Prestige.
Merci aux éditions Denoël pour ce SP.
D’autres lectures : Elwyn (Navigatrice de l’imaginaire) – Le Dragon galactique – Yogo (Les Lectures du Maki) – Gromovar – Lorhkan – Boudicca (Le Bibliocosme) –
En lisant ton retour, je crois que je sais ce qu’il m’a manqué dans ma lecture : du lâcher-prise de ma part. Et clairement, je te rejoins : Je ne me réjouis pas de voir 2050, si ça ressemble à ça…
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J’en suis à la moitié et j’aime beaucoup (mais j’ai un faible pour l’auteur), que ce soit l’ambiance ou l’ambivalence des personnages et des situations.
Mention toute particulière à la visualisation du dérèglement climatique sur les côtes anglaises… :-((((
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Comme toi, j’adore ce qu’écrit Priest, donc j’étais dans le bon état d’esprit pour en profiter également.
Quant à la description de cet avenir possible, je confirme : quelle horreur ! Tellement réaliste, donc d’autant plus inquiétant.
Bonne fin de lecture et au plaisir de lire ton avis.
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Je viens de voir que tu avais mis 2 fois XIXeme dans le paragraphe « début fragmenté » alors que le deuxième c’est XXIeme
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Houlà, merci beaucoup ! C’est corrigé !
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