Citadins de demain [Capitale du Nord. 1], Claire DUVIVIER

Des enfants élevés dans un but scientifique. Pas d’histoires ni de récits. Que des faits, prouvés, vérifiés. Voici l’éducation proposée aux quatre fils et filles de deux familles de la haute noblesse de Dehaven, capitale du Nord. Fruits d’une expérience promettant des êtres supérieurs, elle se solde, bien évidemment, par des échecs, plus ou moins graves selon les individus. La narratrice, Amalia Van Esqwill semble la moins touchée. Cela ne l’empêche pas de se retrouver au centre d’un maelström de plus en plus puissant, qui va entraîner la cité entière. Et plus encore, peut-être ?

Une mise en place qui prend son temps

Et l’on découvre donc l’existence de cette jeune fille et de son meilleur ami et comparse d’expérience, Hirion De Wautier. Les deux autres enfants n’ont qu’un rôle mineur : la première, Delhia, sœur d’Hirion, a perdu l’esprit et ne parvient même plus à communiquer avec les autres ; le second, demi-frère d’Amalia, est parti faire carrière militaire et ne reviendra qu’au milieu du roman. Pour éviter le tête-à-tête, Claire Duvivier adjoint à cette paire Yonas, simple roturier, mais meilleur ami du couple aristocrate. Elle est assez banale en fait. Et cette mise en place des personnages m’a semblé un peu longue. Il faut le temps d’installer tout le monde : les personnages principaux, leur entourage, la ville et sa structure (et on sait combien la ville est importante, quand on a lu Le Sang de la cité de Guillaume Chamanadjian ; même si Claire Duvivier n’utilise pas ce ressort de la même façon, ne serait-ce que parce que Dehaven, la capitale du Nord, est bien moins vertigineuse que Gemina, la capitale du Sud). Et ensuite, seulement ensuite, l’action démarre vraiment.

Apparition de la magie

Peut-être ce sentiment de lenteur est-il également dû à moi. On sait bien que le lecteur apporte beaucoup à un livre et je n’étais peut-être pas suffisamment disponible. En tout cas, ce sentiment a vite été effacé quand l’action s’est lancée. Car Hirion, malgré une éducation de scientifique, fait des expériences faisant appel au surnaturel. Il « envoûte » des objets. Et cela fonctionne. Trois objets, trois pouvoirs. Dont, pour le miroir, celui de laisser apercevoir une autre ville, que les jeunes gens surnomment Nevahed, la ville-miroir. Cette dernière fait penser, indiscutablement, à cette ville parallèle dans laquelle se rend Nox, le héros du Sang de la cité. Elle est déserte, quasiment sans végétation, vaste, inquiétante. Et elle induit des effets qui se font sentir peu à peu, délétères. L’irruption de ce côté fantastique est fort bien réussie : dans ce cas, le rythme m’a paru idéal, faisant progresser, sans précipitation, le malaise. Quelques signes avant-coureurs, un ou deux indices, et le drame qui se noue, brutal, violent. Une réussite.

Une double trilogie prometteuse

Citadins de demain est donc le premier tome de « Capitale du Nord », deuxième partie de la double trilogie initiée par Guillaume Chamanadjian avec Le Sang de la cité, premier tome de la trilogie « Capitale du Sud », paru en début d’année. Comme le précise David Meulemans, le directeur de la maison d’édition Aux forges de Vulcain, s’embarquer dans cette série de six volumes au total n’est pas un pari en l’air. En effet, à la différence de certains cycles en cours d’écriture, « au moment où les Forges se sont engagées dans cette aventure, les six volumes étaient déjà écrits : je savais donc que la série avait une fin, que les volumes allaient crescendo ». Et pour le lecteur aussi, c’est rassurant. Rassurant de savoir que l’histoire a une fin (on peut penser à « Game of Thrones » dont les aficionados sont plus ou moins en deuil, tant George R.R. Martin semble être passé à autre chose). Rassurant de savoir que l’histoire a un arc défini, avec une cohérence pensée. Rassurant enfin de savoir que cela va aller crescendo car, comme je l’ai écrit plus haut, j’ai trouvé que ce roman de Claire Duvivier mettait du temps à démarrer. Mais que quand l’action était enclenchée, le rythme était trépidant.

David Meulemans a, selon moi, placé sa confiance au bon endroit, lui qui se dit « confiant : je crois que personne d’autre qu’eux deux n’aurait pu entreprendre cela. » Autrement dit, écrire une série pour les amateurs de fantasy, mais aussi pour les autres, ceux que les éditeurs de littérature de l’imaginaire cherchent à attirer, enfin, dans leur filet, ces lecteurs occasionnels que les mots « science-fiction » ou « fantasy » rebutent et font fuir en courant. Alors que parfois, ils en lisent sans réellement se l’avouer, tant les éditeurs généralistes en publient, en douce, sans trop le dire. Ne serait-ce que, secret de polichinelle, le prix Goncourt de l’année, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier. En tout cas, David Meulemans fait confiance à Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier pour cela : « Il y a dans cette série une ambition chez ces deux auteurs, de ne pas écrire pour les happy few, les vieux routards de l’imaginaire, mais d’écrire une vraie œuvre grand public – ce qui n’est pas aisé car, écrire pour toutes et tous, tout en restant ambitieux, c’est extrêmement difficile. » Et c’est parfaitement réussi. Même un vieux lecteur de SFFF comme moi a trouvé du plaisir dans cette histoire. Car, malgré mes réserves, le bilan est tout à fait positif.

J’ai aimé découvrir le destin de la jeune Amalia, cobaye des idées révolutionnaires de ses parents, apprentis sorciers maladroits et inconscients. J’ai aimé cette ville où les tensions gagnent du terrain malgré la volonté des habitants de sauvegarder les apparences. J’ai aimé l’irruption du surnaturel et du double de Dehaven, en me demandant bien où tout cela va nous mener. Et j’ai vraiment hâte de lire la suite de ces deux histoires, espérant qu’elles vont trouver un point commun plus fort que les bribes entraperçues jusque-là. Vivement avril et octobre 2022 !

Présentation de l’éditeur : Amalia Van Esqwill est une jeune aristocrate de Dehaven, issue d’une puissante famille : son père possède une compagnie commerciale et sa mère tient un siège au Haut Conseil. Progressistes, ils lui ont offert, à elle et à d’autres enfants de la Citadelle, une instruction basée sur les sciences et les humanités. Jusqu’au jour où le fiancé d’Amalia se met en tête de reproduire un sortilège ancien dont il a appris l’existence dans un livre. Au moment précis où la tension accumulée dans les Faubourgs explose et où une guerre semble prête à éclater dans les colonies d’outre-mer, la magie refait son apparition dans la ville si rationnelle de Dehaven. Et malgré toute son éducation, Amalia ne pourra rien pour empêcher le sort de frapper sa famille et ses amis.

Aux forges de Vulcain – 1er octobre 2021 (roman inédit – 365 pages – 20 euros)

Merci aux éditions des Forges de Vulcain pour ce SP et à David Meulemans pour sa disponibilité.

D’autres lectures : Celinedanaë, Allan sur Fantastinet, Christophe Gelé, Boudicca (Le Bibliocosme), Le Chroniqueur, Zoé prend la plume, Lianne sur De livres en livres, Tampopo (Les blablas de Tachan), Noni (Carnets lunaires), Dionysos (Le Bibliocosme),


17 réflexions sur “Citadins de demain [Capitale du Nord. 1], Claire DUVIVIER

  1. J’avais repéré cet ouvrage ! Justement car le début du speech me fait pensé à Auprès de moi toujours d’Ishiguro que j’avais adoré, et parce que cette demi-teinte entre fantasy et littérature « générale » me convient plutôt.
    J’attendrai encore un peu avant de me lancer : je n’aime pas trop les séries, et je ne suis pas sûre d’apprécier la lenteur.
    C’est dans ma liste mais… A voir !

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