Le Chien du forgeron, Camille LEBOULANGER

En faisant revivre la figure mythique de Cuchulain, le chien du forgeron, Camille Leboulanger réussit un coup de maître. Il parvient à nous rendre proche, mais pas nécessairement sympathique, loin de là, un être mythique qui a donné naissance à des dizaines de récits. Il se place dans la droite ligne d’un Jean-Philippe Jaworski par sa prose âpre. Et apporte à cette histoire une touche contemporaine bien dans l’air du temps.

Un mythe ancré dans le monde celte

Pour moi, Cuchulain d’abord est un guerrier puissant et harnaché, qui se laissait déborder parfois par le furor, cette colère terrible qui le prenait d’un coup et lui faisait, en quelque sorte, perdre la raison. Pour le calmer, un moyen : le plonger dans une bassine d’eau froide. Ainsi, il pouvait évacuer la chaleur extrême qui l’habitait. D’ailleurs, on dit qu’il faisait s’évaporer tout le contenu de cette bassine, tant il avait chaud. Pour moi, donc, Cuchulain possédait quelque chose de magique, associé à une petite touche de comique, avec cette eau qui se transforme en vapeur à son contact.

Mais en fait, le mythe de Cuchulain est ancien, très ancien. Et il a une longue descendance, tant ce personnage a fasciné nos lointains ancêtres (les Celtes, donc, puisqu’il provient de leur panthéon, tout fils de Lug qu’il est ; Lug, le polytechnicien : rien à voir avec une école célèbre ; cela signifie juste « inventeur de tous les arts »). Et on le retrouve dans d’anciennes épopées celtes du XIe siècle.

Un héros tout en force

Camille Leboulanger s’empare sans hésiter de cette figure et, au prix de certaines torsions comme il l’avoue lui-même, il la fait entrer dans son récit à lui. Un récit qui n’est autre qu’une tragédie : on connait la fin, on connait même la plupart des épisodes (même si on n’en a qu’entendu parler, sans avoir en mémoire les détails). De toute façon, tel que cela est annoncé dès le début, on ne peut croire en une fin idyllique. Et d’ailleurs, cela n’aurait aucun sens. Cuchulain est une figure forte mais tragique. Né dans la violence, il vit dans la violence et meurt de même. Il ne peut comprendre le monde qui l’entoure qu’à travers les rapports de force. Il doit être le meilleur, par la force. On doit l’acclamer pour sa force.

Le but de l’auteur ne semble pas de nous entraîner à l’apprécier malgré sa brutalité. Il le décrit tel qu’il est. Ou, en tout cas, tel qu’il le voit : un prototype du gros macho de base, qui considère le muscle comme étalon de mesure et les femmes comme des prises de guerre. D’ailleurs, ces dernières ont bien du mal à exister. Et c’est une des forces de l’auteur d’être parvenu à les faire émerger de ce monde où elles étaient cantonnées à des rôles annexes. Il a réussi à les rendre fortes, volontaires, tenaces, folles, pugnaces, dangereuses, violentes. Mais vivantes. Et bien à leur place, avec toute l’énergie dont elles pouvaient faire preuve. Face à elles, Cuchulain ne peut être sympathique. Et pourtant, Camille Leboulanger réussit le tour de force de nous attacher à ses pas. Même si on sait où tout cela nous mène, on veut suivre ce chemin, glorieux à ses débuts, pitoyable sur la fin.

Un dispositif malin

Et pour nous conduire à ces sentiments, il passe par l’intermédiaire d’un conteur, soiffard invétéré qui n’hésite pas à interrompre son récit pour réclamer que l’on remplisse son verre. Lui, est sympathique. Lui, attire les sourires, puis la compassion quand on en apprend davantage à son propos. Car l’autre originalité de ce personnage qui entame et clôt le roman, c’est de ne pas être qu’un simple narrateur. On découvre peu à peu son importance dans l’histoire de Cuchulain : spectateur lointain ou proche, acteur indirect ou direct. Il est là du début à la fin et nous permet de voir la vie de Cuchulain dans son ensemble et de mieux comprendre sa trajectoire. Et cela, non pas comme elle est racontée d’habitude, à grands renforts de tirades héroïques, transformant Cuchulain en héros digne de louanges. Non, et c’est pour cela que je parlais de Jean-Philippe Jaworski dans mon introduction à cette chronique. Camille Leboulanger emploie des mots crus et décrit la réalité avec, non pas une brutalité malvenue, mais un sens de la formule qui nous place devant la cruauté, la force brute sans aucun fard, sans aucun voile. Il montre, et démonte implacablement, la dégringolade programmée de celui qui se voulait au-dessus des autres, qui ne s’imaginait qu’au sommet et n’a pas su y vivre.

Le Chien du forgeron est une lecture nécessaire pour plusieurs raisons : découvrir ou redécouvrir un mythe classique, mais pas assez repris à mon goût, celui de Cuchulain. Lire un roman passionnant et qui se lit sans pause, tellement le rythme instillé est puissant et efficace. Se poser la question du personnage du héros placé sur un piédestal uniquement pour sa force : sans vouloir faire descendre quelques nouvelles statues de leurs piédestaux, il n’est pas stupide d’interroger ces figures qui traversent nos imaginaires au regard de notre société actuelle. Et les revisiter ainsi ne les affadit pas, au contraire, cela leur permet de durer davantage, de façon plurielle et plus forte encore.

Présentation de l’éditeur : Approchez, approchez ! Alors que tombe la nuit froide, laissez-moi vous divertir avec l’histoire de Cuchulainn, celui que l’on nomme le Chien du Forgeron ; celui qui s’est rendu dans l’Autre Monde plus de fois qu’on ne peut le compter sur les doigts d’une main, celui qui a repoussé à lui seul l’armée du Connacht et accompli trop d’exploits pour qu’on les dénombre tous. Certains pensent sans doute déjà tout connaître du Chien, mais l’histoire que je m’apprête à vous narrer n’est pas celle que chantent les bardes. Elle n’est pas celle que l’on se raconte l’hiver au coin du feu. J’en vois parmi vous qui chuchotent, qui hésitent, qui pensent que je cherche à écorner l’image d’un grand homme. Pourtant, vous entendrez ce soir la véritable histoire du Chien. L’histoire derrière la légende. L’homme derrière le mythe. Approchez, approchez ! Venez écouter le dernier récit d’un homme qui parle trop…

Argyll – 19 août 2021 (roman inédit – 250 pages – 19,90 euros / numérique : 4,99 euros / poche (J’ai Lu) : 8,50 euros)

Merci aux éditions Argyll pour ce SP.

D’autres lectures : Le BibliocosmeCelineDanaë (Au pays des cave trolls)Aerendhyl (Elbakin)LorhkanLe syndrome QuicksonL’Atelier de Ramettes 2.1Temps de motsLe Chroniqueur, Boudicca (Le Bibliocosme), Gytha Troll sur Pages pluvieusesDes livres sous les étoilesLe Dragon galactiqueSteven (Maven Litterae)Tampopo (Les blablas de Tachan)Hugues (Charybde 27)

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