La Porteuse de mort, Stark HOLBORN

Low, Dix, d’autres noms encore. Celle dont nous suivons un morceau de vie a connu plusieurs existences avant de finir sur Factus, petite lune tellement paumée que l’Accord ne se donne même pas la peine d’y faire régner l’ordre. Une rencontre va bouleverser sa nouvelle routine. Quand elle va sauver Gabrielle Ortiz, dite la Générale.

Loin de tout

Factus est un désert, aride, où le sable coule comme de l’eau. Mais où, justement, ce précieux liquide est d’une rareté absolue. On se lave au moyen de douches de vapeur et on boit des alcools aux goûts atroces, mais qui permettent de supporter le dénuement. On vit en coupant les produits venus d’autres planètes afin d’en extorquer le maximum de bénéfices. Et de faire durer les maigres provisions qui parviennent dans des lieux désolés, abandonnés du reste de la civilisation.

Comme le vend l’éditeur, La Porteuse de mort a tout du western. À commencer par son cadre. La principale protagoniste vit seule, sur la route. Et se pose dans de petits villages, construits sur le modèle classique, avec sa grande rue et ses incontournables saloons et bureau du shériff. Même les moyens de transport, pourtant modernes et mécaniques, empruntent leur nom à cette période : mulets, juments, … On s’y croirait. Ne manque plus que John Wayne (mais qui aurait changé de sexe parce que dans ce roman, ce sont les femmes qui tiennent les manettes, sans aucune hésitation). Après tout, lors de l’age d’or de la SF, nombre d’auteurices américains écrivaient de la SF et du western indifféremment, car ces deux genres étaient demandés. Impossible de ne pas songer à Leigh Brackett : l’autrice du Livre de Mars (réédité dans un superbe opus aux belles teintes roses chez Le Bélial’) a participé aux scénarios de grands westerns comme Rio Bravo (1959) ou El Dorado (1966). Mais aussi à celui de L’Empire contre-attaque (1980). La boucle est bouclée.

Une intrigue simple… mais pas tant que cela

Pour prolonger la comparaison, les motivations des personnages aussi semblent calquées sur certains scénarios de western. Un héros (une héroïne en l’occurrence) sauve une jeune fille, victime d’une attaque dont on ignore tout, et se retrouve mêlé à une histoire qui va bouleverser sa vie jusque dans ses tréfonds les plus sombres. Mais aussitôt, de subtiles variations apparaissent et enrichissent le récit. Par exemple, celle que Low (je vais l’appeler ainsi tout le long de cette chronique pour simplifier les choses) tire d’un mauvais pas n’est vraiment pas une petite chose fragile. Celle qui possède le corps d’une enfant de treize ans est en fait une expérience. Les troupes de l’Accord (la faction qui domine à présent ce coin de l’univers) ont créé des êtres humains supérieurs afin de combattre plus efficacement. Et de perturber leurs adversaires par leur apparence plus jeune : on hésite davantage à tirer sur un gosse, ce qui laisse du temps en plus, une chance supplémentaire de gagner un combat. La Générale, Gabi comme elle se laisse parfois finalement appeler, est une machine de guerre, endoctrinée, qui veut aussitôt retourner dans son unité. Mais elle va rapidement découvrir qu’une anguille se cache derrière son attaque. Tout n’est peut-être pas aussi évident qu’il lui paraissait. Et elle va devoir accepter encore un bon moment la compagnie de sa sauveuse.

Une fois morts, les gens se moquent des raisons pour lesquelles tu les as tuées.

Une héroïne si solide et si touchante

Sauveuse qui appartenait au camp ennemi. Et qu’elle déteste donc en même temps qu’elle lui est reconnaissante. Du bout des lèvres. Encore un duo typique des westerns (et de bien d’autres récits) : deux personnages que tout oppose et qui vont devoir cohabiter malgré leurs différends. Malgré la haine. Car Low a un passé complexe. Que l’on découvre très progressivement. Et donc que je ne vais pas révéler ici pour ne pas gâcher une des saveurs du roman. Mais on comprend vite qu’elle est poursuivie par de lourds souvenirs. Et qu’elle se reproche la mort d’un grand nombre de personnes. Ce qui l’oblige dorénavant à en sauver autant. C’est le Compte (« This is the Way », dirait un autre). Elle circule donc de bled en bled, de trou perdu en trou perdu, afin de soigner ceux qui en ont besoin. Elle tente de contrebalancer ses anciens actes, affreux, par des actions plus nobles, plus humaines. Et en cela, elle est terriblement touchante. Stark Holborn (quel nom !) réussit à nous la rendre attachante très rapidement. Et, même si l’on ignore tout des crimes qu’elle a pu commettre, du moins au début, on a envie de l’aider à s’en sortir, à s’accepter. À survivre, enfin.

La touche SF

Or, tout concourt à une fin rapide de Low. Y compris les Si ? Les quoi ? Les Si (If en V.O.) sont une légende qui circule sur Factus. D’aucuns disent que ce seraient les premiers habitants de la lune. Ils vivraient encore dans les coins reculés, loin de la compagnie des humains. Vers la Bordure aussi, ce lieu effrayant d’où on ne revient pas, empli d’obscurité et où l’on se perd définitivement. Ils apparaissent quand viennent les doutes, les multiples possibles. Ils se repaissent des incertitudes, des failles dans les jeux de hasard. Et ils terrifient les habitants de cette petite lune. Même si personne n’est certain de leur existence. Aucune preuve directe. Que des conjectures. Mais leur présence (vérifiée ou pas, à vous de le découvrir en lisant ce roman) apporte la touche de science-fiction qui ancre définitivement ce récit dans le genre. Et j’ai trouvé que Stark Holborn les avait très bien utilisés, ces Si. Dans des passages violents, elle met en scène leur influence présumée. Et en fait le fil conducteur de cette histoire.

Sur Factus, « chance » est un gros mot.

Bonne petite surprise que la parution de ce texte dont je ne connaissais absolument pas l’existence en V.O. De même pour son autrice, qui m’était totalement inconnue. Mais je lui suis reconnaissant de ce moment. Car elle m’a entraîné dans une histoire violente et rythmée, mais aussi habile et touchante. Avec un personnage central terriblement réussi par sa profondeur et son réalisme (si l’on accepte que quelqu’un puisse survivre à tout ce qu’elle subit, mais c’est un classique dans les récits). J’espère que les ventes permettront la sortie de la suite, Hel’s Eight (parue en mars dernier). En attendant, je conserve encore un peu de sable de Factus dans mes chaussures. Puissent vos pensées rester claires.

Présentation de l’éditeur :

Un space western sans temps mort, avec deux héroïnes en acier trempé.

Ancienne médecin militaire, elle répond au nom de Dix Low, car elle a passé dix ans en prison. Depuis la fin de la guerre, elle survit sur Factis, une lune pénitentiaire désertique qu’on dit hantée par une espèce extraterrestre énigmatique et invisible : les Si. Parce qu’elle entretient un rapport particulier, intime, avec les Si, on la surnomme la Porteuse de mort.

Une nuit, Dix Low sauve la seule survivante de l’épave d’un vaisseau spatial qui vient d’être abattu. Première surprise : Gabriella Ortiz n’est pas une adolescente ordinaire. Issue d’un programme de génétique militaire, elle est générale, rien que ça. Plus surprenant encore : le crash n’était pas une attaque opportune, mais une tentative d’assassinat ciblé.

Pour essayer de quitter Factis et échapper à leurs nombreux poursuivants, les deux femmes, issues de camps adverses, mettent de côté leur inimitié et concluent un pacte… qui pourrait bien voler en éclats si Ortiz découvre le rôle véritable que la Porteuse de mort a joué durant la guerre.

Albin Michel Imaginaire – 2 novembre 2023 (roman inédit traduit de l’anglais par Laurent Philibert-Caillat – Ten Low (2021) – Illustration : Manchu – 316 pages – Édition brochée : 20,90 € / Numérique : 11,99 €)

Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire (Gilles Dumay) pour ce SP.

D’autres lectures : Les Chroniques de FeyGirlCélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls)


9 réflexions sur “La Porteuse de mort, Stark HOLBORN

  1. Je ne suis pas grande lectrice de SF mais j’avoue que c’est un genre qui m’intrigue de plus en plus et j’aimerais bien découvrir quelques titres. Je suis assez curieuse concernant cette héroïne qui semble avoir vécu plusieurs vies (et porté plusieurs noms donc) mais aussi par cette enfant qui n’en est pas vraiment une. Pourquoi pas, ça pourrait être une belle surprise pour moi ce titre, je le note. Merci 🙂

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