Premières lignes #1 : La sentence, Louise ERDRICH

Zoé a, depuis quelques mois, rejoint l’opération « Premières lignes » sur son blog Zoé prend la plume que j’apprécie énormément pour sa richesse tant de contenu que d’analyse. Et finalement, j’ai décidé, à sa suite, de franchir le pas et de tenter l’expérience.

Premières lignes

Quand j’étais en prison, j’ai reçu un dictionnaire. Accompagné d’un petit mot : Voici le livre que j’emporterais sur une île déserte. Des livres, mon ancienne professeure m’en ferait parvenir d’autres, mais elle savait que celui-là s’avérerait d’un recours inépuisable. C’est le terme « sentence » que j’y ai cherché en premier. J’avais reçu la mienne, une impossible condamnation à soixante ans d’emprisonnement, de la bouche d’un juge qui croyait en l’au-delà. Alors ce mot, avec son « c » en forme de bâillement, ses petits « e » hostiles, ses sifflantes insupportables et son doublon de « n », ce mot minable et monotone fait de lettres sournoisement assassines autour d’un « t » humain bien solitaire, ce mot occupait mes pensées chaque instant de chaque jour. Il est évident que, sans l’arrivée du dictionnaire, ce mot léger dont le poids m’écrasait aurait eu raison de moi, ou de ce qu’il en restait après l’étrangeté de ce que j’avais fait.

J’étais à un âge périlleux quand j’ai commis mon crime. J’avais beau avoir atteint la trentaine, mes occupations et mes raisonnements restaient ceux d’une adolescente. On était en 2005 mais je me défonçais façon 1999, buvant et me droguant comme si j’avais dix-sept ans, malgré les tentatives scandalisées de mon foie de me signaler qu’il avait une bonne décennie de plus. Pour tout un tas de raisons, je ne savais pas encore qui j’étais. Maintenant que c’est plus clair, je peux vous dire ceci : je suis moche. Pas comme ces héroïnes de films ou de romans écrits par des hommes, dont la beauté se révèle soudain, aussi éblouissante qu’édifiante. Je n’ai rien de pédagogique. Et pas non plus de beauté intérieure. J’aime bien mentir, par exemple, et je suis très forte pour vendre des trucs qui ne servent à rien à des gens qui n’en ont pas les moyens. Maintenant que je suis réinsérée, je ne vends bien sûr plus que des mots. Des assortiments de mots entre deux couvertures cartonnées.

On trouve dans les livres tout ce qu’il faut savoir, sauf l’essentiel.

4ème de couverture

« Quand j’étais en prison, j’ai reçu un dictionnaire. Accompagné d’un petit mot : Voici le livre que j’emporterais sur une île déserte. Des livres, mon ancienne professeure m’en ferait parvenir d’autres, mais elle savait que celui-là s’avérerait d’un recours inépuisable. C’est le terme « sentence » que j’y ai cherché en premier. J’avais reçu la mienne, une impossible condamnation à soixante ans d’emprisonnement, de la bouche d’un juge qui croyait en l’au-delà. »

Après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, Tookie, une quadragénaire d’origine amérindienne, est embauchée par une petite librairie de Minneapolis. Lectrice passionnée, elle s’épanouit dans ce travail. Jusqu’à ce que l’esprit de Flora, une fidèle cliente récemment décédée, ne vienne hanter les rayonnages, mettant Tookie face à ses propres démons, dans une ville bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd, alors qu’une pandémie a mis le monde à l’arrêt…

On retrouve l’immense talent de conteuse d’une des plus grandes romancières américaines, prix Pulitzer 2021, dans ce roman qui se confronte aux fantômes de l’Amérique : le racisme et l’intolérance.

Brèves réflexions

Ce livre, voilà quelques semaines que j’en entends parler. Et dans l’ensemble, les retours sont bons. Donc, je suis allé chercher les premières pages. En français d’abord. Puis en V.O., car le premier paragraphe m’a aussitôt amené au problème de traduction. Avec ce décorticage du mot « sentence », titre du roman et qui est, dès les premières lignes, mis en scène. Je me suis demandé comment la traductrice, Sarah Gurcel, s’était débrouillée. Et j’ai découvert que le titre original était le même qu’en français : The Sentence. Cela devenait d’un coup plus simple. Pas facile, attention, je sais bien les difficultés de cet exercice. Les Italiens ne disent-ils pas « Traduttore, traditore » ? N’étant pas bilingue et ayant déjà du mal à lire tout ce que j’aimerais en français, je n’ai jamais tenté la lecture en V.O. Aussi, je fais confiance à ces femmes et ces hommes qui me permettent de découvrir des œuvres venues d’ailleurs.

Revenons donc au roman de Louise Erdrich. Le premier paragraphe m’a plu parce qu’il parle de livres et n’hésite pas à s’en prendre aux mots. Ce que j’aime faire de mon côté. En plus, il pose rapidement de multiples questions dont je vais attendre les réponses : pourquoi cette sentence ? Quel rôle aura cette professeure ? Comment cela va-t-il aider la narratrice ?

Passons au deuxième paragraphe, différent pour le thème, mais dans la même dynamique, avec la même violence. On sent la narratrice particulièrement remontée, révoltée, agressive. À juste titre ou pas, je le saurai peut-être en lisant le livre. Cette révolte me fait peur par sa violence, mais me séduit par sa force. Elle n’abandonne pas. Même si elle semble particulièrement désabusée. À tel point qu’elle attaque les livres qui pourtant semblent l’avoir sauvée : « plus que des mots ». Sans parler de la dernière phrase : « On trouve dans les livres tout ce qu’il faut savoir, sauf l’essentiel. » Encore une pique contre ce que je tiens entre les mains. Il va falloir que la narratrice s’explique.

Je précise que je n’ai pas lu le contenu de la quatrième de couverture. Je l’ai juste copié collé : je n’ai pas envie de savoir quoi que ce soit de plus. Et ainsi garder toutes mes idées, fausses ou vraies, justifiées ou non. Je verrai bien, quand je lirai La sentence.

En pratique

Louise Erdrich, La sentence

Albin Michel, 2023

V.O. : The Sentence, 2021

Traduction : Sarah Gurcel

448 pages

Édition brochée : 23,90 € / numérique : 15,99 €

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10 réflexions sur “Premières lignes #1 : La sentence, Louise ERDRICH

  1. Je partage tes impressions sur ces premières lignes ainsi que tes interrogations. J’ai lu le résumé et sans te spoiler, il m’a encore plus donné envie d’en apprendre plus !
    Je (re)participe également au RDV depuis quelques semaines 🙂 Mais je publie mes premières lignes le samedi.

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  2. J’ai adoré le premier chapitre et ensuite j’ai beaucoup moins accroché jusqu’à finir par abandonner après une centaine de pages. J’ai trouvé cela, long, ennuyeux et je ne me suis jamais attaché aux personnages ni à l’histoire. Je crois que ce livre n’est tout simplement pas fait pour moi. Dommage, car comme tu dis les retours sont vraiment dithyrambiques !

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  3. Oh je suis très contente que ma participation à ce rendez-vous t’ait donné envie de t’y mettre aussi ! Et j’aime beaucoup ton approche également.
    D’autant qu’on lit quand même pas mal de choses en commun, mais de temps à autre avec des avis différents, alors je trouve ça très complémentaire 🙂 J’aime bien voir comment toi tu vois les choses, c’est assez fascinant de constater, ben, que d’autres pensent différemment de moi et ont une sensibilité différente; je crois que tu me l’avais dit sur un de mes retours d’ailleurs.
    Et ce livre en particulier me tente bien, merci pour ces premières lignes qui confirment mon intérêt. Et d’ailleurs, j’ai eu les mêmes interrogations que toi et les mêmes ressentis face à cet incipit. Cette dernière phrase est un tel choc quand même !

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