Le livre de Nathan, Nicolas CARTELET

Comment le livre raté d’un écrivain au talent discutable peut-il devenir une nouvelle Bible ? Par un formidable et cataclysmique concours de circonstances. La terre noyée sous les eaux et un manuscrit placé au bon endroit. Une aventure sur plusieurs centaines d’années, contée avec humour et ironie par un Nicolas Cartelet très inspiré.

De la puissance du verbe

Dans nombre de textes, le mot est au centre. On le prononce, la matière est créée. Inutile de revenir sur le célèbre « Fiat lux » pourvoyeur de lumière. Cet outil formidable dont les êtres humains se sont crus longtemps seuls dépositaires. Et même si on accepte depuis peu que les animaux aussi ont leur langage, la parole est souvent considérée comme magique. L’écrit peut dans ces conditions atteindre le rang d’objet sacré. Que ce soit la Bible, la Torah ou le Coran pour les trois religions monothéistes que je connais le mieux, les mots rapportés sur ces feuilles et transmis de génération en génération sont, pour certains, vérité absolu.

Pas mal d’auteurices l’ont bien compris et en ont joué avec délice. Récemment, Ketty Stewart prenait de la distance dans Le monde selon Myriam avec cette notion d’évangile : une jeune femme reprenait des bribes de textes du passé pour en tirer des enseignements. Vu le corpus utilisé (Kundera, Zweig, mais aussi Mickael Jackson), le résultat est nécessairement corrosif. Ugo Bellagamba et Jean Baret ont utilisé le même concept d’archives sorties de leur contexte conduisant à un résultat ridicule, voire dangereux dans Le monde de Julia. Mais la religion n’est pas réellement visée dans ce récit qui manie par moments grotesque et dérision avec brio.

Un ton léger malgré la gravité du propos

Nicolas Cartelet, comme Ugo Bellagamba et Jean Baret,use d’un ton amusé et distancié. Il ne semble pas se prendre au sérieux et intervient, par moments, pour apaiser le drame, le rendre plus léger : « avec une espèce de solennité propre aux fins de chapitre. » Il mêle allègrement petits malheurs personnels et catastrophes humaines avec brio, arrachant un sourire (et même plusieurs) à son lecteur malgré le côté tragique de l’évènement narré : « Il y avait d’abord eu Bertin et son refus d’éditer son roman, et maintenant la fin du monde ; ç’avait été, pour Nathan, une sacrée journée de merde. » Pour autant, comme on le voit dans cette citation, il ne se prive pas de narrer des épisodes dramatiques.

Car Nicolas Cartelet, à travers cette satire drôlatique, s’attaque par la bande aux méfaits possibles des croyances. Surtout quand elles sont guidées par des truands juste guidés, eux, par leur propre confort. Le mysticisme mis au service de l’égoïsme et du profit. La construction du récit en plusieurs moments permet à l’auteur de nous offrir plusieurs tableaux à différentes époques. En effet, ce court roman est divisé en cinq chapitres : le premier met en place Nathan et son bouquin, si mauvais que personne ne veut le publier. Et, malgré cette médiocrité, parce qu’il était au bon moment au bon endroit, le destin phénoménal de cette œuvre réservée, en principe, à la poubelle de l’oubli. Les chapitres suivants font de grands bons dans le temps, parfois de plusieurs centaines d’années. Où l’on découvre que le livre de Nathan a été la base de croyances. Et donc d’abus et d’horreurs. Un clergé au pouvoir n’hésite pas à supplicier les mécréants en enfermant leur visage dans une cage avec un mérou. Sacré caractère, le mérou. Et sacrées dents. Mais tout cela, comme je le disais, avec humour et finesse.

Croyez-le ou non, je suis de ceux qui pensent que les mots peuvent faire aussi mal que les armes.

Je pense que vous aurez compris que j’ai beaucoup apprécié la lecture du Livre de Nathan. Je connaissais Nicolas Cartelet pour avoir vu passer la couverture de son précédent roman et avoir lu des avis positifs. Mais sans avoir envie de franchir le pas. Cette fois, le thème du récit et quelques chroniques attirantes de la blogosphère m’ont ferré. Et je n’ai aucun regret. J’ai dévoré ce court texte et je me dis que ces temps-ci, les œuvres publiées par le label Mu aux éditions Mnémos me correspondent tout à fait. Une lecture à qui l’ont espère un succès aussi impressionnant, mais peut-être moins douteux, que celui de Nathan.

Présentation de l’éditeur : Le dernier livre de l’humanité. Le destin est incroyablement railleur. Une étrange apocalypse maritime se déclenche en une nuit et Nathan Verdier devient l’un des seuls survivants d’une humanité privée de ses terres. Sur son bateau de fortune, au milieu des bouteilles vides et de quelques conserves, se trouve son manuscrit, son précieux roman dont aucun éditeur n’a voulu. Et ce livre improbable est le seul à avoir été sauvé des eaux… D’année en année, de siècle en siècle, ce texte miraculé, qui aurait dû finir dans les archives de la médiocrité, va devenir un objet d’escroquerie, de tentation, de passion et de culte. Cette fois, c’est sûr, il aura le succès qu’il mérite ! Avec Le Livre de Nathan, Nicolas Cartelet explore notre fascination presque sacrée pour les livres et le pouvoir de la fiction sur le monde. Un regard puissamment malicieux, parfois piquant, sur cette passion romanesque capable de transformer les rêves d’un écrivain en réalité.

Mnémos, Label Mu – 7 juin 2023 (roman inédit – 118 pages – 15 euros / numérique : 9,99 euros)

Merci aux éditions Mnémos (Estelle Hamelin) pour ce SP numérique.

D’autres lectures : Zoé prend la plume


15 réflexions sur “Le livre de Nathan, Nicolas CARTELET

  1. Ben tu vois, j’avais remisé ce texte aux oubliettes à sa sortie, parce que je ne suis pas très fan des textes de ce label. Ca ne veut pas, il y a quelque chose qui coince à chaque fois.
    Mais le retour que tu en fais a néanmoins réussi à me parler; un roman court (ça peut être une bonne idée pour se raccrocher à cette collection), son aspect léger et drolatique malgré la gravité du sujet et puis l’aspect un peu mise en abyme ont tout de suite capté mon attention et suscité mon intérêt.
    Alors je te remercie, parce que vraisemblablement je vais le ressortir des oubliettes !

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    1. Je comprends. J’hésite souvent avant d’aller vers ce label. Mais depuis le début de l’année, deux bouquins, deux réussites : Le livre de Nathan et, avant, Le monde de Julia. Donc je continue. je pense même tenter le Michael Roch de la rentrée prochaine.
      J’espère que tu ne seras pas déçue de ton côté et que tu éprouveras autant de plaisir que moi à la lecture de ce court roman.

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      1. Ah oui Michael Roch. très bonne idée ! Il a un style bien à lui, et une culture… incroyablement étendue ! J’avais lu Le livre jaune, mais je n’ai su déceler que quelques clins d’œil ici et là, du coup je pense que je n’ai pas totalement saisi son propos. Faut que je le relise. Mais c’est un auteur très marquant.
        Le monde de Julia, oui je me souviens de ton retour dessus. En relisant le résumé de ce titre, et dans un genre un peu similaire, tu aimerais peut-être le titre de Christian Chavassieux, Je suis le rêve des autres : je ne sais plus si tu l’as lu ?

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      2. Ben… je me suis endormie dessus et je n’ai jamais réussi à le finir 🫣 (quelle qualité de conseil !!).
        Mais en lisant Le résumé du Monde de Julia et ton retour dessus, je me dis qu’il y a peut-être quelques similarités : le duo de personnages, le voyage philosophique, la quête initiatique… Il faudrait vraiment que je le relise, je suis passée complètement à côté. C’est plus onirique, par contre, et l’univers moins détaillé, dans mes souvenirs. Mais je crois qu’il y avait de l’espoir dans ce bouquin, et bcp d’humanité…
        Mais tiens, quand je relis ta chronique sur Le monde de Julia je me demande pourquoi j’ai pas plus tilté que ça a l’époque parce que ça me plait vraiment bien a priori…

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      3. Mais si, c’est un bon conseil : un sacré indicateur. Du coup, je suis soudain plus hésitant. Mais à l’occasion, j’irai peut-être y jeter un petit coup d’œil.
        Pour ce qui est du Monde de Julia, prends garde : ta liste de livres à lire va augmenter dans de grandes proportions et après, le temps, toujours lui, te manquera. Mais s’il te passe entre les mains, tu peux regarder les premières lignes et voir si elles te séduisent.

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