Bankgkok Déluge, Pitchaya SUDBANTHAD

Bangkok, ville aux multiples visages. Bangkok, siège de multiples histoires. C’est à un voyage à travers les époques, à travers les quartiers de cette ville, à travers les destins qui l’ont traversée, à travers les mouvements qui l’ont parcourue que nous convie Pitchaya Sudbanthad dans son premier roman. De la ville où s’affrontent guérisseurs et missionnaires à une ville du futur, à moitié noyée sous les eaux suite au réchauffement climatique, composée de technologies futuristes et de bric et de broc, de bricolages entre le passé et l’avenir. Une mosaïque pleine de vie et de mélancolie.

Un démarrage pluriel

J’ai été légèrement perturbé, au début de ma lecture, par le nombre de personnages. J’ai même cru que ce roman n’en était pas un, mais une série de nouvelles ayant pour seul point commun la ville de Bangkok. Car les premiers chapitres, aux noms symboliques, tels que « Arrivée », « Visites », proposent des histoires sans lien entre elles. Mais alors, vraiment aucun. Comme quand on débarque dans une cité sur un autre continent, sans avoir pris la peine de se documenter sur cette contrée et que l’on observe plusieurs scènes, exotiques pour nous, mais sans en comprendre l’alchimie, sans voir comment tout cela fonctionne ensemble. Les différents moments sont beaux et méritent notre attention, mais cela ne forme pas un tout. Et il m’a fallu attendre quelques chapitres pour voir revenir certains personnages découverts au début du récit. Et pour comprendre enfin comment fonctionnait ce livre. Et pour m’y attacher vraiment. Car ensuite, je ne l’ai pas lâché, tout entier collé aux basques des personnages et, surtout, tout entier perdu dans les rues de cette ville que je ne connais absolument pas. Aucune image dans mon esprit tirée d’un film ou d’un documentaire. Il m’a donc fallu me créer mes propres représentations à partir des descriptions de Pitchaya Sudbanthad.

Des descriptions immersives

Or, cet auteur thaïlandais (mais qui a vécu dans pas mal d’autres pays, dont l’Arabie Saoudite ou les États-Unis) manie plutôt bien le pinceau quand il s’agit de mettre en place un décor. Les couleurs résonnent. Tout comme les sons, les goûts et les odeurs. Ce ne sont pas seulement des tableaux qui s’offrent à nous, mais des scènes animées, avec tout le vacarme d’une ville moderne, à base de « chant des klaxons », de « pétarades des motos » et de « cris des colporteurs qui vantaient leur marchandise ». Et la transition, parfois violente, entre l’ancienne Bangkok, avec ses soi (ruelles) étroits et la moderne, aux tours montées rapidement grâce à ces spectaculaires échafaudages en bambous, mais si éloignées de la tradition, voire de la ville elle-même : quand on est dans un de ces appartements, on voit la cité, mais on ne l’entend plus que de loin, comme étranger à son monde.

L’eau ensuite, omniprésente du début à la fin, est un élément clef de ce lieu. Que ce soit sous forme de cours d’eau ou de pluie, de cascade ou de mer envahissante, elle fait partie de Bangkok. Elle peut apporter de la joie et la vie, comme la peur et le désordre, surtout dans les derniers chapitres, quand les inondations ont grignoté une part non négligeable de la ville, quand elles l’ont transformée en Venise de l’Est. D’ailleurs, un chapitre s’intitule « Le déluge ».

Une mosaïque d’êtres humains

Le décor n’est pas tout. Les personnages qui le peuplent importent également. Et là aussi Pitchaya Sudbanthad a eu la main heureuse. Depuis le pianiste de jazz gay sur la fin de sa carrière jusqu’au jeune garçon qui refuse de quitter sa chambre, au grand désespoir de sa mère ; depuis l’étudiant qui participe, au péril de sa vie, aux manifestations contre le pouvoir en place jusqu’à la jeune femme qui recourt à la chirurgie esthétique comme si cela coulait de source. La galerie s’étire au long des pages, avec des liens parfois distendus, parfois directs, mais assez habilement, je dois dire. J’essayais, au début des chapitres, de repérer les indices qui allaient me permettre de découvrir ce lien avant qu’il n’apparaisse de façon par trop évidente. Ces habitants épars de Bangkok, je les ai aimés ou détestés, compris ou non. Mais aucun ne m’a laissé indifférent, aucun ne m’a fait regretter de m’être attaché à ses pas. J’ai aimé leur force et leur opiniâtreté, leur instinct de survie et leur courage. Malgré le grand nombre de vies croisées, j’ai pu m’intéresser à quasiment chacun d’eux et aux tranches de vie racontées. Avec, toujours, cette petite touche de mélancolie présente dans les dernières lignes du chapitre.

Bangkok Déluge a été une découverte dépaysante et immersive. Même si ce roman est à la frontière de mon genre de littérature fétiche, l’auteur a su intégrer sans artificialité les thèmes de la SF dans la dernière partie de son récit et donner une grande crédibilité à un scénario inéluctable pour certains, fantasmé pour d’autres : la submersion d’une partie des terres de la planète suite au réchauffement climatique (même si cette expression n’apparait pas dans le texte). Cela a surtout été pour moi un voyage dans la vie de dizaines d’individus particulièrement touchants dans une ville que je désire à présent découvrir.

Présentation de l’éditeur : Roman-monde pour une ville-monstre, « Bangkok Déluge » regarde Bangkok changer à travers le destin kaléidoscopique d’une dizaine de personnages plus attachants les uns que les autres. Du XIXe siècle des grandes découvertes à l’avenir des tempêtes climatiques qui guettent, autour d’une même maison hantée qui lui donne son axe, la ville se fait tour à tour piège et refuge, se réinventant en permanence sous les assauts de la modernité comme du ciel. Tentaculaire et limpide, porté par un souffle et une force motrice rares, le premier roman de Pitchaya Sundbanthad est un voyage, une expérience d’immersion totale.

Rivages, collection « Littérature étrangère » – août 2021 (roman inédit traduit de l’anglais [Thaïlande] par Bernard Turle– 425 pages – 22,80 euros)

Merci aux éditions Payot-Rivages pour ce SP.

D’autres lectures : Gromovar, Un Bouquin sinon rien, Culturevsnews, Yogo,


8 réflexions sur “Bankgkok Déluge, Pitchaya SUDBANTHAD

Laisser un commentaire