Dragon, Thomas DAY

Dernier roman publié par Thomas Day, en 2016, Dragon est aussi le premier de la collection devenue incontournable aujourd’hui : « Une heure-lumière », aux éditions du Bélial’. L’auteur y narre avec son tranchant habituel le parcours d’un vengeur sans pitié qui a décidé de bouter hors de son pays, voire du monde, le fléau de la pédophilie.

Une narration efficace… au scalpel

L’histoire est redoutable : elle trouve sa place dans un pays qui essaie de ne pas sombrer dans le chaos, sous les coups de butoir des pluies qui emplissent progressivement les rues des villes. Mais aussi suite au changement politique et à une situation encore instable. Par contre, hélas, dans tout ce fatras, une valeur sûre résiste : le trafic d’enfants. Avec de l’argent, les touristes venus du monde entier peuvent réaliser leurs fantasmes putrides. L’opinion publique s’en émeut, bien sûr. Les associations aussi. Mais rien ne change. D’autant que ce qui préoccupe les hommes au pouvoir, c’est d’éviter les vagues : les touristes reviennent enfin. Il ne faudrait pas les affoler, les décourager de venir avec leurs devises si nécessaires au pays. Autrement dit, quand un homme se donne pour but d’éradiquer la prostitution enfantine en tuant, sans une once de remords, les pédophile et les trafiquants de chair humaine, la priorité n’est pas celle que l’on pourrait espérer. Il faut faire disparaître, définitivement, cette menace. Par tous les moyens. Il faut abattre Dragon, surnom choisi par ce justicier, officieusement, discrètement. On fait donc appel à des policiers qui ne fréquentent pas les sentiers battus.

Bangkok interlope

Ainsi, nous aurons comme guide un policier, le lieutenant Tannhäuser Ruedpokanon, à la recherche de l’âme sœur : le « ladyboy parfait ». Un homme guidé par un idéal à la Platon, pas la réalité. Il vit donc dans les quartiers glauques, peu reluisants, laissés de côté par la société qui préfère cacher les pulsions sous le tapis. Lui assume ses sentiments, mais a du mal à comprendre ce qu’il désire. Cette traque de Dragon va lui permettre de s’ouvrir vraiment à lui-même. Violemment parfois. Car, rappelons-le, nous sommes dans un récit signé Thomas Day. La merde s’y étale sans cache-misère. L’horreur de ce que représente la prostitution enfantine aussi. Certaines descriptions choquent, volontairement. On ne peut pas toujours se voiler la face. Il faut se confronter à l’abomination dans toute sa crudité. Et sa banalité. C’est ce qui m’a le plus gêné, je pense. Pas la violence elle-même, mais la banalité : ces scènes paraissent tellement naturelles, tellement quotidiennes. Une autre réalité, qui, pourtant coexiste avec la nôtre, loin de notre quotidien confortable et douillet. Toujours difficile de l’accepter et de revenir à son train-train.

L’impunité est un serpent et ce soir le serpent va se mordre la queue.

Des chapitres passés au mixer

Mais Dragon, lui n’accepte pas. Et il tue, avec ordre et précision. Sur chaque cadavre, il laisse une carte de visite. Il semble avoir une tâche que Tannhaüser devra comprendre. Tannhaüser, lui, pourra en profiter pour résoudre ses conflits intérieurs à propos de l’amour. Comme son homonyme wagnérien. Tout cela dans un récit à l’ordre bouleversé avec art. Car Thomas Day nous réserve une surprise : la numérotation des chapitres semble connaître des ratés. Le premier chapitre est le numéro 17. Suivi par le 5. Quelle mouche a piqué l’auteur ? Bien joué, dirai-je. Car il pointe le doigt sur une narration à base de retours en arrière, de changement de personnage. Ce qui n’est pas exceptionnel en soi. Mais cette numérotation met en exergue cette construction et la rend d’autant plus forte. Montrer les coulisses, en faire une actrice, c’est bien vu. Et puis cela occupera sans doute certain.e.s qui voudront vérifier que tous les numéros sont bien employés.

Le Golfe de Thaïlande est une cuvette de toilette géante.

Dragon était un choix évident pour débuter cette collection UHL. Une œuvre forte, efficace. Une promenade teintée de rouge dans les rues de Bangkok, sous les eaux comme dans Bangkok déluge de Pitchaya Sudbanthad. Une promenade dans les méandres des instincts primaires, dans les sentiments et leur complexité. Un coup de sabre, rouge, comme sur la couverture, splendide, d’Aurélien Police.

Présentation de l’éditeur : Bangkok. Demain. Le régime politique vient de changer. Le dérèglement climatique global a enfanté une mousson qui n’en finit plus. Dans la mégapole thaïlandaise pour partie inondée, un assassin implacable s’attaque à la facette la plus sordide du tourisme sexuel. Pour le lieutenant Tannhäuser Ruedpokanon, chargé de mettre fin aux agissements de ce qui semble bien être un tueur en série, la chasse à l’homme peut commencer. Mais celui que la presse appelle Dragon, en référence à la carte de visite qu’il laisse sur chacune de ses victimes, est-il seulement un homme ?

Le Bélial’, collection « Une heure-lumière » – 14 janvier 2016 (novella inédite– 152 pages – Illustration : Aurélien Police – 8,90 euros / numérique : 3,99 euros)

D’autres lectures : Thomas (Constellations)ApophisBoudicca (Le Bibliocosme) Mélie et les livresLutin82 (Albédo – Univers imaginaires)Blackwolf (Blog-O-Livre)Cornwall (La prophétie des ânes)L’ours inculteLorhkan et les mauvais genresTigger Lilly (Le Dragon galactique)Nebal

Cette chronique fait partie du Challenge S4F3 2023 (4ème lecture).


26 réflexions sur “Dragon, Thomas DAY

  1. J’étais un peu passée à un côté de cette lecture à cause du côté interlope que je craignais mais tu sembles avoir trouvé une telle force et complexité au récit que j’ai bien envie de revenir sur ma décision et de me laisser tenter !
    Merci !

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  2. Ouch, je ne suis pas sûre d’être capable de lire un texte sur ce sujet, et ce malgré sa très bonne exécution. Mais j’avoue que tu as titillé ma curiosité avec le chapitrage. Ca parait anecdotique à côté du propos du bouquin, mais bon, si ça me permet de le découvrir et d’aller au-delà de mes craintes a priori, ce ne serait pas plus mal !

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  3. « Et puis cela occupera sans doute certain.e.s qui voudront vérifier que tous les numéros sont bien employés. »

    Lol, je me sens visé – c’est typiquement le genre de texte où je reconstitue l’architecture du récit avant la lecture… (Faudra vraiment que je le chronique, un de ces jours.)

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    1. C’est vrai que j’ai en partie pensé à toi en écrivant ça. Précis comme tu es, cela ne m’étonne pas du tout.
      Et oui, ce serait bien que tu le chroniques, afin que je découvre des éléments que j’aurais ratés sur ce texte.

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