Le Dernier testament de Maurice Finkelstein, Sophie DELASSEIN

Présentation de l’éditeur : Maurice et Gisèle Finkelstein sont très vieux, très riches et ils n’ont pas d’enfant. Toute la famille s’impatiente en attendant la grande kermesse finale chez le notaire. « Ils vont bien finir par mourir », se dit souvent Sophie Delassein, alias Sophinette, journaliste à L’Obs et nièce préférée du couple, en pôle position sur le testament des octogénaires. Elle fait moins la maligne à l’été 2019, quand elle découvre que son oncle se meurt dans un hôpital de la Côte d’Azur. Elle pourrait laisser filer, elle décide de le sauver en se souvenant du jour où Maurice lui avait fait promettre de s’occuper de lui et de sa femme en cas de problème. Et là, gros problème il y a. En les plaçant dans un EHPAD près de chez elle, la journaliste chanson fait une entrée fracassante dans le monde de la gériatrie qu’elle observe en pissant de rire – sûrement pour ne pas pleurer. Le Dernier Testament de Maurice Finkelstein est une tragi-comédie dont les mots-clefs sont : famille, bas de contention, vautour, ta gueule, héritage, jambes entières/maillot/aisselles, aide-soignante, Covid-19, Céline Dion.

Mon avis : Amis de la poésie, passez votre chemin ! Quoique, par moments, certains passages peuvent être « beaux » ou émouvants (le chapitre 13, par exemple, intitulé « 2 x 2 = gentille licorne » ou l’autrice dresse de courtes listes de souvenirs qu’elle pourrait perdre si elle aussi était victime d’Alzheimer). Mais définitivement, ce n’est pas le but premier de Sophie Delassein que de nous décrire les petits oiseaux qui chantent sur fond e coucher de soleil. Elle aurait plutôt tendance à foncer avec la délicatesse du bulldozer sous amphétamines. Dès les premières pages, dès les premières lignes, le ton est donné : incisif, violent parfois, mordant, voire irritant, décapant (trop ?), ironique, à fleur de peau. Attaquer pour mieux se défendre. Donner des baffes, aux autres et à soi (beaucoup), pour déstabiliser l’adversaire (c’est à dire, à peu près tout le monde), tout prendre avec un sourire grinçant, une cape de protection en dents de scie.

Sophie Delassein se raconte, raconte sa famille, raconte son métier. Raconte surtout sa relation avec son oncle et sa tante, Maurice et Gisèle Finkelstein, âgés et, atteint pour lui d’Alzheimer. Mais surtout, riches, et donc potentiels sources de revenus attendus par pas mal de monde. Dont la narratrice elle-même, qui se présente comme favorite à cette course. Qui nous raconte son amour pour eux, mais sans cacher ses moqueries, ni la méchanceté du tonton. Qui nous raconte aussi son attrait formidable pour cet héritage potentiel. À tel point qu’elle en fait des rêves tout éveillés, aussi fantasques que drôlatiques.

Un jour, peut-être, Alzheimer effacera tout ce que j’ai vu, lu, entendu, ressenti.

Le Dernier testament de Maurice Finkelstein est une lecture qui m’a un peu déstabilisé au début, tant l’autrice allait dans l’extrême : elle prend une situation gênante et, au lieu d’adoucir le trait, le renforce, en multiplie par cent le côté dérangeant et en rit encore avec un sourire carnassier. Parfois, cela m’a laissé à côté, souvent, cela m’a fait sourire à mon tour. Tout y passe, depuis l’épilation du maillot (quand l’esthéticienne entend « intégral » au lieu de « normal » et que la narratrice menace d’appeler son « avocate spécialisée en droit du poil ») jusqu’aux déchirements familiaux devant l’héritage (« Je suis passé à l’EHPAD pensant qu’ils allaient bientôt clamser. Ils pètent le feu. », s’indigne un cousin resurgi du passé.) ; depuis sa carrière de « journaliste chanson » (elle travaille à L’Obs comme critique musicale – ou à peu près, mais c’est un sujet sensible) et ses goûts très arrêtés (Étienne Daho qui chante avec « sa voix de Canard WC dans son balai à chiottes ») qui lui ont valu quelques inimitiés (Renaud, par exemple) à ses goûts vestimentaires (et les douleurs qui s’ensuivent quand on porte string XS et jean slim : « t’aurais pas un gros tube de Biafine sur toi ? J’ai le cul en feu. »).

Alors oui, Sophie Delassein envoie du lourd, voire du très lourd, mais dans l’ensemble, cela tombe juste et rend la lecture de cet ouvrage hybride indubitablement (je me devais de l’employer ici, celui-là) agréable. Mais pas que, car, comme je l’ai écrit plus haut, il évoque des situations que nous connaissons (ou connaîtrons) tous. Et ce livre est aussi une façon de les aborder. De s’interroger sur notre propre réaction face à la vieillesse et à tous ses corollaires. L’occasion, donc, de bien rire, avec profondeur : joindre l’utile à l’agréable, quoi !

Merci aux éditions du Seuil et à l’équipe de Masse critique privilégiée de Babelio de m’avoir envoyé ce récit.

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