Sorcier empereur [Ars Obscura. 3], François BARANGER

1815 toujours. Quelle année ! Avertissement classique mais nécessaire : Sorcier empereur est le troisième tome de la tétralogie Ars obscura. Si vous n’avez lu ni Sorcier d’Empire, ni Second sorcier, arrêtez la lecture de ce billet. À la rigueur, faites un tour jusqu’à la conclusion pour savoir si j’ai aimé ou pas, mais ne lisez surtout pas la suite de cette chronique. Car je ne peux faire autrement que divulgâcher, spoiler, ou tout autre synonyme. La preuve, je commence : Napoléon est prisonnier, enfermé dans une geôle dont on doute qu’il sortira un jour. Élegast, le sorcier venu d’un autre monde, le remplace et se prépare à se faire couronner à sa place.

Les prétendants se précisent

Dans mon retour sur Sorcier d’Empire, le premier volume de cette série, je trouvais que l’auteur prenait son temps pour installer l’intrigue, le décor et les personnages. Dès l’opus suivant, Second sorcier, je remarquais que le rythme avait gagné en intensité. Eh bien, ce verdict se confirme dans ce troisième tome : Sorcier empereur continue l’élagage. Les forces en présence sortent du bois et se montrent de plus en plus au grand jour. Des personnages, bien malgré eux, quittent le premier plan (voire l’existence) pour simplifier le tableau qui s’offre à nous. Les camps se renforcent. La magie devient nécessaire et ne sa cache plus. D’un côté comme de l’autre. Ou plutôt d’un côté comme des autres. Car plus le roman avance, plus le schéma de la pyramide se confirme : trois opposants s’affrontent violemment, sans tenir compte des pertes (enfin, dans deux côtés sur trois). Ce schéma se simplifiera-t-il d’ici la fin pour finir en classique duo ?

La rationalité ou la civilisation n’étaient après tout que de fins vernis chez la plupart des humains, et il n’était pas nécessaire de gratter bien fort pour les voir s’effriter. Dès lors, les comportements les moins honorables ne tardaient pas à resurgir.

D’un côté, le monstrueux magicien venu d’outre-temps ou d’ailleurs, le mystérieux et terriblement puissant Vakt. Sorti des sables d’Égypte, il conforte sa main-mise sur la Russie et sa tête. Les dirigeants de ce pays ennemi de la France tombent une à une entre ses mains, devenant de simples marionnettes. On se demande rapidement qui va échapper à ce jeu de massacre et garder un esprit lucide et autonome. De l’autre, Élegast, devenu chef de l’Empire depuis que Napoléon a été capturé. D’ailleurs, on note le peu d’empressement que met le sorcier à tenter de libérer l’ancien empereur. Le match est plié dans son cas. Il ne paraîtra plus sur scène. Cependant, l’être venu d’un autre monde, d’une autre dimension a davantage de mal à gérer les humains et les combats que lorsqu’il se cachait derrière Napoléon. Et la résistance menée par le jeune et idéaliste Irénion ne l’aide pas. Ce dernier s’est installé dans le sud et voit le nombre de ses sympathisants augmenter régulièrement.

Chacun fait du mieux qu’il peut, reprit-il. On a beau s’efforcer d’être une bonne personne, même avec la meilleure volonté du monde, on n’y parvient pas toujours. Il faut faire avec. Ce n’est pas une raison pour abandonner, baisser les bras et cesser de tâcher d’être juste. Au contraire, nos erreurs font de nous ce que nous sommes, autant que nos vertus. Il ne faut ni les occulter ni les laisser nous hanter. Nul n’est un saint, cela n’existe pas. Et même les saints, les bibliques, péchaient parfois eux aussi. C’était dans leur nature humaine.

Pour Élegast, décidément, les ennuis s’accumulent. D’autant que la recherche de cristaux n’est pas une franche réussite. Il faut dire que Ludwig et ses alliés ne comptent pas le laisser faire. Ils poursuivent la quête de ces instruments de puissance, afin soit de s’en emparer, soit, faute de mieux, de les détruire. Et cela, jusqu’en Égypte !

Un passage dans le désert

Le XIXe siècle a connu le mouvement de l’orientalisme. Le peintre Eugène Delacroix en est un bel exemple. Tout comme le romancier Gustave Flaubert et son magique Salammbô. François Baranger ne pouvait faire l’impasse sur cet aspect. Aussi, comme nous l’avons vu en découvrant les premières lignes de ce récit, l’action se déporte en partie à Alexandrie puis dans le désert. L’auteur va s’acquitter avec une certaine maitrise de ce passage obligé. J’ai beaucoup apprécié ce voyage de Ludwig, Éthélinde et Mathurin. Le suspens et l’émerveillement ont été au rendez-vous tout du long. Aussi bien dans le réalisme, avec l’approche du camp anglais qui protège l’ancien tombeau de Vakt et la réserve de cristaux, que dans le magique, avec l’irruption du djinn. Cette figure typique m’a aussitôt rappelé ma lecture récente de La Cité de soie et d’acier de Linda, Louise & Mike Carey. J’y avais redécouvert cet être perfide qui n’aime rien tant que tromper les humains en jouant sur les mots. Chaque fois qu’on demande aux djinns d’exaucer un vœu, on prend un risque mortel car pour eux, la vie des femmes et des hommes ne vaut rien tant ils sont puissants et tant nos existences leur semblent dérisoires. Et dans ce roman, le djinn convoqué ne déçoit pas : chacune de ses apparitions apporte terreur et douleur.

Les hommes plaçaient l’art de la guerre au-dessus de tout ; ils en avaient fait une valeur cardinale de leur mode de vie.

Pour ce troisième tome, François Baranger poursuit avec brio la narration de ce conflit aux proportions dantesques. Plus la lecture avance, plus les enjeux paraissent gigantesques et plus l’humanité semble en danger. Irénion et sa résistance ne sont hélas qu’un fétu de paille face au terrible affrontement qui se prépare entre les forces en puissance. D’autant que l’un des protagonistes semble bien mal en point en cette fin d’opus et que les coups sont de plus en plus violents. L’étau se resserre. J’attends avec une impatience immense le dénouement de cette saga très réussie.

La tétralogie Ars obscura comprend les titres suivants : Sorcier d’Empire, Second sorcier, Sorcier Empereur et le tome IV.

Présentation de l’éditeur : 1815

La bataille de Waterloo n’a pas mis fin à la guerre. Le sorcier Élégast tente d’asseoir son autorité à la tête de l’Empire, mais ses adversaires se multiplient : les bonapartistes s’agitent, une résistance s’organise, et les coalisés encerclent la France peu à peu. Pire encore, le sorcier des Russes gagne en puissance et Élégast redoute leur prochaine confrontation. Cependant cette mystérieuse entité semble poursuivre ses propres objectifs, et continue d’étendre implacablement son influence dans les hautes sphères de l’Empire russe…

Seule limite à la puissance des pratiquants de l’Art Obscur : leurs réserves de cristaux s’amenuisent. Embarqués pour l’Égypte, Ludwig, Éthelinde et Mathurin sont bien décidés à les empêcher de mettre la main sur le gisement gardé par les Anglais. Mais Élégast est toujours à leur recherche, et la piste pour les retrouver le mène tout droit vers un Ordre d’érudits dont les connaissances pourraient tout bouleverser.

Antique confrérie de mages, espions à la solde de l’étranger, créatures ésotériques, comploteurs travaillant à la chute de l’Empire, secte russe d’adorateurs d’un dieu sanguinaire… Chacun joue son rôle dans ce récit épique, les uns pour empêcher le monde de sombrer dans les ténèbres, les autres pour l’y plonger.

Après sa grande saga de science-fiction, Dominium Mundi, François Baranger poursuit sa tétralogie de dark fantasy sur fond d’uchronie napoléonienne avec ce troisième tome mené tambour battant, dans lequel le monde dévoilé dans Sorcier d’Empire et Second Sorcier prend une nouvelle dimension. L’aventure et la magie sont toujours au rendez-vous, et l’Histoire, plus malmenée que jamais, suit désormais un cours inédit.

Denoël, collection « Lunes d’encre » – 27 mars 2024 (texte inédit – Illustration : François Baranger – 624 pages – 24 euros / numérique : 16,99 euros)

Merci aux éditions Denoël (Pol Boixaderas) pour ce SP.

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