Les Cartographes, Peng SHEPHERD

Pourquoi tant d’accidents et de morts autour de cette carte ? Surtout cette carte : sans rien de spécial, elle était distribuée dans la première moitié du XXe siècle aux États-Unis dans les stations services. Il en existait des milliers d’exemplaires ne valant même pas un dollar. Et depuis plusieurs années, un mystérieux groupe, les Cartographes, semble vouloir tous les détenir. Nell, jeune femme au parcours chaotique, va en obtenir un. Les conséquences seront immenses.

Une ouverture sur les mondes

Qui n’a pas rêvé devant une carte ? Moi, en tout cas, ces bouts de papier (ou de parchemin, ou de vélin, ou de tous les supports imaginables) m’ont toujours fasciné. Au point que je conserve encore mes vieilles cartes routières alors que l’avènement du GPS les a reléguées au fond du vide-poche ou, pire, dans les déchetteries les plus obscures. Au point que je me laisse souvent séduire par des ouvrages présentant des cartes de lieux réels comme imaginaires. Alors le thème de ce nouveau roman de Peng Shepherd ne pouvait que me séduire. Et je n’ai pas été déçu par le concept.

Il nous semble en général que les cartes sont parfaitement exactes – après tout, c’est leur raison d’être. À quoi servirait une carte qui ment. C’est cependant ce que font la plupart d’entre elles.

On découvre progressivement (mais on s’en doute rapidement, d’où le fait que j’en parle assez librement dans cette chronique) le pouvoir de certaines cartes qui créeraient, d’une certaine façon, des lieux qui n’apparaissent pas sur les autres. Le célèbre duel entre carte et territoire (voire entre la poule et l’œuf) : qui est à l’origine de l’autre ? La logique voudrait que la carte, ce dessin le plus proche possible du monde qui nous entoure, soit un simple reflet, pas toujours fidèle malgré les efforts de ses créateurices, de la réalité. Mais, comme lorsqu’on imagine la puissance la prééminence d’un mot sur ce qu’il désigne, elle pourrait devenir prescriptrice dans certains cas (qu’on se rappelle le surprenant et brillant Amatka, de Karin Tidbeck). Avec la carte survient la connaissance. Sans elle, l’oubli. Alors bien sûr, nous sommes tous convaincus de la prééminence du territoire sur la carte, mais dans Les Cartographes, cet état de fait subit quelques entorses. Comme va l’apprendre Nell à son détriment.

Un thriller avant tout

Ce roman n’est pas un essai rébarbatif sur ce thème. Et cette idée est plus une base de récit qu’une véritable réflexion poussée : ne vous attendez pas à de longues digressions ni à des références savantes. On a bien une petite référence à la lutte déjà achevée entre cartes physiques sur papier et cartes dématérialisées qui ont envahi notre quotidien. Mais, malgré certaines belles évocations un poil nostalgiques, l’autrice ne pousse pas très loin cette idée. Peng Shepherd a écrit un thriller, efficace et prenant, dont on tourne les pages avec passion et rapidité. Je ne suis pas allé aussi vite que Feyd Rautha, maitre du blog L’épaule d’Orion, qui l’a avalé en deux jours, mais pas loin. C’est donc le rythme qui l’emporte sur la profondeur de l’analyse. Est-ce que cela gâche le récit ? Aucunement. Le tout est simplement de le savoir afin de n’être pas déçu.

Et donc, quelle est la base de cette histoire ? Nell était cartographe, promise à un bel avenir dans la réputée (mais vétuste, malgré les ors et les marbres) New York Public Library. Cependant l’affaire du « Carton à jeter » a balayé d’un coup son parcours brillant tout tracé. Suite à ce scandale (dont je me garderai bien de dire quoi que ce soit, puisque l’autrice fait durer le suspens un bon moment), son père, membre éminent de cette même bibliothèque, a exigé qu’on la renvoie. Suite à ce bannissement, plus personne n’a voulu l’employer et elle a dû se contenter d’un travail alimentaire. Elle est toujours au contact des cartes, mais pour les travestir, les vieillir artificiellement pour des clients qui se moquent de l’authenticité mais privilégient l’apparence. Le purgatoire avant l’enfer. Mais cette période noire prend fin avec le choc de la disparition brutale de ce père qu’elle n’a pas revu depuis leur violente dispute sept ans auparavant. Et s’ensuit une série d’évènements qui vont bouleverser la vie de Nell tout comme ses certitudes.

Le destin des cartes sur papier est facile à comprendre. Quand on les déchire ou qu’on les brûle, elles disparaissent. Mais une carte-machine ? Où va-t-elle, quand on l’éteint ?

N’ayant pas lu Le Livre de M, je ne peux, comme certain.e.s, faire des comparaisons. Je peux juste écrire que Peng Shepherd a su, dans Les Cartographes, mener un récit tambour battant. Et que cette histoire a pour fond, pour cadre, une idée séduisante. Qu’enfin, elle a, pour la peupler, créé un groupe de personnages convaincants. Ce roman n’est pas le plus novateur de ceux que j’ai lus ces derniers temps, mais il a su me divertir et me faire rêver pendant des heures. Et encore maintenant, je me promène avec délice, en pensée, dans les recoins inconnus de ses cartes.

Présentation de l’éditeur : La carte est le territoire. Si vous falsifiez la carte, vous modifiez le territoire. Cela fait trente ans que Nell a perdu sa mère. Et voilà maintenant que son père, le Dr Young, un célèbre cartographe de la New York Public Library, est retrouvé mort dans son bureau. Elle l’adorait et voulait prendre sa suite, mais la famille, c’est parfois très compliqué. En fouillant dans les affaires du défunt, elle trouve, bien cachée, une carte routière. Nell se souvient parfaitement de cette maudite carte. Elle lui a valu une engueulade homérique et lui a coûté sa carrière auprès de son père. En reconstituant cet événement avec un regard neuf, elle ne tarde pas à se rendre compte que le document comporte une erreur singulière, une signature pour ceux qui sont initiés à l’art de la cartographie. Pour percer ce mystère, la jeune femme contacte certains amis de ses parents. Trente ans plus tôt, ils formaient un groupe de sept personnes, très soudé : les Cartographes. Qu’ont-ils découvert ? Quels crimes ont-ils commis contre la réalité ? Après l’apocalypse magique du Livre de M (Albin Michel, 2020), Peng Shepherd confirme tout son talent de romancière avec ce thriller culturel qui lui a valu d’être comparée à Ray Bradbury et Jorge Luis Borges.

Albin Michel Imaginaire – 29 mars 2023 (roman traduit de l’anglais [États-Unis] par Anne-Sylvie Homassel – The Cartographers (2022) – 472 pages – Illustration : Timothée Mathelin – 23,90 euros / numérique : 12,99 euros)

Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire (Gilles Dumay) pour ce SP.

D’autres lectures : FeydRautha (L’épaule d’Orion)Les chroniques de FeyGirlBoudicca (Le Bibliocosme) Les lectures du MakiMélie et les livresLes blablas de TachanCélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls)Tigger Lilly (Le dragon galactique)Yvan (ÉmotionS)CarolivreNoni (Carnets lunaires)Sometimes a Book


13 réflexions sur “Les Cartographes, Peng SHEPHERD

  1. Roman dévoré aussi pour ma part. Comme toi je n’ai pas encore lu le Livre de M mais j’ai adoré le style entraînant de l’autrice et sa façon de revisiter un objet connu de notre quotidien, du moins pour les plus de 30 ans lol
    Un très bon thriller et cette couverture 😍

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  2. Qu’il me tente celui-ci ! Ce sera un achat dans les prochaines semaines, c’est incontournable. J’en lis de bons retours, le tien m’enthousiasme encore plus, et j’avais beaucoup aimé Le livre de M. je suis donc très confiante.

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