Destination Outreterres, Robert HEINLEIN

Robert Heinlein est un auteur phare de l’Âge d’or américain de la SF. Souvent catalogué comme écrivain militariste suite à certains de ses récits (comme Étoiles, garde-à-vous !), il a su se montrer souvent plus subtil. Mais, malgré son grand succès, nombre de ses ouvrages restent inédits en France. Comme Destination Outreterres, qui date de 1955, et n’avait jamais été traduit dans la langue de Molière. Ce roman est plutôt un roman jeunesse, tant dans sa trame que dans ses thèmes. Valait-il le coup de l’exhumer des tiroirs de l’histoire ? Nous allons en discuter.

L’Ouest américain transposé dans les étoiles

Dans ce roman, les êtres humains peuvent voyager de planète en planète grâce à des tunnels très dépensiers en énergie capables de relier entre eux n’importe quels points de l’espace. Ainsi, ils vont coloniser l’univers, tels les pionniers des futurs États-Unis d’Amérique pendant les temps glorieux (enfin, pas pour tous et pas tant que cela, en fait) de la conquête de l’Ouest. Et l’on voit s’élancer des convois composés de fermiers et de bétail, de chariots protégés par des hommes en armes. Comme dans un vrai western ! Et pour alimenter ces expéditions, les écoles forment chaque année des jeunes gens à la survie en milieu plus ou moins hostile. Sanctionnant cette formation, une épreuve en conditions réelles. Tout le monde n’en revient pas : les pertes sont souvent importantes.

Un jeune héros positif

Rod Walker est convié à suivre cette épreuve et il hésite. On ne peut que le comprendre. D’autant que son enseignant semble lui faire comprendre qu’il ne le croit pas vraiment capable d’arriver au bout. Mais Rod n’est pas un lapin de six semaines et il sait prendre le taureau par les cornes : il franchit le portail et se lance dans ce qui va devenir une aventure de tous les dangers. En effet, les conditions d’examen sont strictes : vous pouvez choisir l’équipement que vous voulez, mais une fois sur place, vous ne recevez aucune aide jusqu’au signal de retour. Voilà donc des dizaines de jeunes filles et de jeunes garçons (entre 14 et 25 à peu près, selon les écoles) laissés en liberté sur un monde inconnu habité par une faune mystérieuse. Dont les stobors, contre lesquels ils ont été mis en garde. Mais que sont ces redoutables stobors ?

Rod Walker va rapidement devoir faire preuve de ses qualités de survie et faire des choix : rester seul ou former un groupe ; privilégier le mouvement ou dresser un campement ; découvrir et rapidement comprendre la faune et la flore extraterrestres. Et, malgré un certain côté agaçant, il se montre vite à la hauteur de la situation : observateur, charismatique, ouvert. Un vrai modèle pour le jeune lecteur, quoi…

Survie

Comme dans Sa majesté des mouches de William Golding, récit paru l’année précédente (en 1954, donc), une troupe de jeunes gens se retrouve isolée dans un milieu hostile, sans adulte pour les diriger. On va donc assister tout au long du roman à des interactions plus ou moins nobles, plus ou moins violentes, entre les différents membres du groupe. Les uns voudront le pouvoir pour le pouvoir ; d’autres penseront avant tout à la sauvegarde de la communauté ; d’autres tourneront essentiellement autour de leurs besoins. Les relations décrites par Heinlein sont réalistes et plutôt bien vues dans l’ensemble. Seul bémol, mais il n’y est pour rien, le décalage, parfois, avec notre façon « moderne » de voir les choses. Certains comportements sont très datés, surtout les rapports entre filles et garçons. Même si, sur ce coup, l’auteur ne s’en sort pas mal du tout. Certains de ses personnages féminins sont forts et ne s’en laissent pas compter. Mais quand on s’approche de l’idylle, les choses se gâtent la plupart du temps et on assiste à une course à la mise en couple assez hallucinante, comme si c’était la seule chose que pouvait désirer une jeune femme sensée. Cependant, quelques protagonistes dénotent avec bonheur dans ce constat.

Destination Outreterres est donc essentiellement un récit d’aventures et de survie, centré autour d’un nombre de plus en plus important de jeunes gens abandonnés malgré eux (ah oui, j’ai oublié de vous dire que tout ne se passait pas exactement comme prévu pour le retour, d’où un allongement du séjour) sur une planète inconnue. Il montre une belle palette de trucs pour s’en sortir face à des animaux pas franchement coopératifs et face à des compagnons pas toujours constructifs dans leurs comportements. Mené sur une rythme efficace (on parle tout de même de Heinlein, là !), avec ce qu’il faut de suspens, très peu de pathos, ce roman pour la jeunesse est donc une bonne surprise.

Une parenthèse

Seul bémol : j’ai écrit voilà peu un article sur les coquilles qui émaillent certains romans. J’ai essayé de m’y montrer compréhensif, surtout envers les petites structures pour qui l’engagement d’un.e relecteur.trice représente un coût pas anodin. Mais ici, on parle d’Hachette, une maison d’édition prestigieuse et, on peut l’espérer pour ceux qui y travaillent, avec quelques moyens, ne serait-ce qu’en interne. D’autant que la collection est récente et doit donc faire ses preuves. Or, dans ce roman, j’ai repéré un nombre trop important de coquilles, dont certaines trop visibles pour rester anodines.

Éditer enfin ce titre inédit de Robert Heinlein, près de soixante-dix ans après sa parution en V.O., n’est pas un gadget marketing du Rayon imaginaire, la nouvelle collection de chez Hachette. Loin de là ! C’est un choix justifié par la bonne qualité de l’ouvrage : il était dommage que le public français n’y ait pas eu accès jusqu’ici. J’ai pris bien du plaisir à suivre les aventures de Rod Walker et son passage effectif à l’âge adulte. Et je ne serais pas contre la découverte des autres récits restés inédits de ce grand maitre de la SF américaine, car il en reste ! Merci au Rayon imaginaire pour m’avoir donné l’occasion de partir Destination Outreterres.

Présentation de l’éditeur : Événement : un roman de Robert Heinlein (Starship Troopers) totalement INÉDIT en français !La Terre étouffe sous le poids de sa surpopulation et se meurt lentement. Pour survivre, l’humanité a dû ouvrir de nouvelles routes de colonisation : des portails perçant des passages dans l’espace vers les Outreterres, ces planètes lointaines où la vie semble possible. Chaque année, une Mission Survie teste les jeunes futurs candidats à l’exil. Une destination inhabitée secrète, un équipement choisi à l’aveugle, trois jours d’épreuve. Un seul conseil : Attention aux stobors ! Mais que se passera-t-il si un portail se referme à jamais derrière un groupe envoyé à l’épreuve sur une planète inconnue ? Comment survivre ?  Il faudra s’abriter, explorer, rester sur ses gardes mais aussi apprendre à faire confiance ; trouver des solutions, oser. Surtout, recréer une société. Mais comment choisir ensemble des valeurs communes, des règles, et des moyens pour les faire respecter ? En clair : comment ne pas devenir des barbares dans un monde sauvage ?

Hachette, collection « Le Rayon imaginaire » – 6 avril 2022 (roman inédit traduit de l’anglais [États-Unis] par Patrick Imbert – Tunnel in the Sky (1955) – 350 pages – 22 euros)

Merci aux éditions Hachette pour ce SP.

D’autres lectures : Feyd Rautha (L’épaule d’Orion), Stéphanie Chaptal (De l’autre côté des livres), CélineDanaë (Au Pays des Cave Trolls),


10 réflexions sur “Destination Outreterres, Robert HEINLEIN

  1. Je suis très étonnée d’apprendre qu’une maison comme Hachette peut publier des livres avec des coquilles ! Ce groupe ne peut pas prétendre ne pas avoir les moyens d’employer des correcteurs ; c’est presque un manque de respect envers les lecteurs.

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    1. A l’heure où même Madrigal et Editis améliorent un peu les remises aux libraires et les tarifs des autres acteurs du circuit et qu’ Hachette, le n° 1 , refuse de s’aligner … On serait en droit de ne pas les rater sur ces questions.

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  2. Ah, les coquilles. C’est quand même ballot, pour une nouvelle collection. Et là comme tu dis, pas question de sortir la carte « on n’a pas les moyens ».

    Je n’ai encore rien lu de cette nouvelle collection, pour l’instant rien n’a fait tilt dans mon esprit. Je suis un peu perplexe sur la réédition du Frankenstein; bon, c’est bien mais ça ne sort pas trop des sentiers battus et ce n’est pas les éditions qui manquent. A la limite l’intérêt viendrait de la nouvelle traduction.

    Celui que tu présentes ne m’attire pas plus que ça non plus, au niveau des personnages, thématiques et univers. Mais je te remercie pour ton retour, qui m’a permis de m’en faire une idée plus précise !

    Il y en a un 3e dans cette collection, Analog/Virtuel, mais là je redoute le côté manichéen du propos… Bon, une collection à suivre, mais je note qu’il y a de la marge pour l’améliorer dans la forme.

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    1. Oui, c’est un peu dommage, cette histoire de coquilles. Mais c’est, espérons-le, passager.

      Pour Frankenstein, je suis d’accord avec toi : quelle étrange idée ! Mais je ne suis pas dans la tête de la directrice de collection qui doit avoir ses raisons, comme l’ancrage de la collection dans le patrimoine, peut-être.

      Quant au Heinlein, il est effectivement pas mal marqué et il vaut mieux avoir un faible pour la littérature de l’époque pour en profiter pleinement.

      J’ai pu jeter un œil sur Analog/Virtuel qui, s’il n’est pas totalement manichéen, est effectivement un peu maladroit à mon avis.

      Merci pour ton passage et tes réflexions.

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