Au Cœur des méchas, Denis COLOMBI

La vie des Méchas vue de l’intérieur. Comment fonctionnent ces machines de métal gigantesques destinées à protéger l’humanité contre les Titanides, ces hideux et meurtriers extraterrestres qui apparaissent sans cesse, de plus en plus monstrueux, de plus en plus résistants. Mais dans cette novella, on est loin du clinquant de Pacific Rim. Denis Colombi nous plonge dans la réalité dure et peu glorieuse des petites mains, les ouvriers qui permettent à ces vaisseaux de guerre de fonctionner. Car ce n’est pas seulement le pilote, la star des médias, qui leur permet d’avancer et de combattre. Ce sont les dizaines d’inconnus, dans l’ombre de la soute, des bras, des jambes, qui le réparent, l’améliorent à chaque moment du combat. Et d’un coup, notre vision de ces objets de vénération change du tout au tout.

Au niveau du peuple

Pour ceux qui aiment les histoires de kaijus vs méchas, il est indispensable de lire cette novella. En moins de quatre-vingt-dix pages, Denis Colombi nous fait découvrir l’envers du décor. En effet, on est habitué à admirer les combats qui opposent ces monstres de chair et d’acier de l’extérieur. D’ailleurs, c’est comme cela que commence le récit. Une femme aborde le lecteur et s’adresse directement à lui. Nous, lecteurices, sommes donc mis en scène alors que nous avons choisi une place idéale pour assister au futur affrontement. Et celle qui nous parle n’est pas n’importe qui. Elle appartenait à ce groupe dont on ignore l’existence : « Je bossais sur les ponts inférieurs. Dans la mécanique. » D’habitude, on ne se demande pas comment marchent les méchas ; comment toute cette machinerie, évidemment extrêmement complexe, fonctionne. Ni comment elle ne se grippe pas pendant la lutte. Comment elle continue à avancer malgré les coups reçus, les pièces arrachées. En fait, c’est grâce à une équipe, nombreuse (une trentaine de personnes), qui s’active avec frénésie pour charger les armes, réparer les dégâts, diriger la puissance vers l’arme la plus efficace. Sans elle, le pilote pourrait toujours appuyer sur ses boutons, au bout d’un moment, rien ne fonctionnerait.

C’est rien de dire que les pilotes étaient déjà devenus des stars – mais ça implique aussi qu’ils étaient choisis comme des stars, et en la matière, on le sait bien, ce n’est pas forcément le plus doué qui l’emporte.

Mais évidemment, on s’en doute, malgré leur travail vital et leur participation à définitive à la survie de l’humanité, les honneurs ne sont pas pour ces travailleurs de l’ombre. Mais ce n’est pas ce qui dérange le plus celle qui monologue durant toute la novella. Non, ce qui l’ennuie, l’exaspère, lui mine le moral, c’est le manque total de prix que l’on accorde à leur vie. Et la situation, si elle n’était pas fameuse au début, se dégrade rapidement. Au fur et à mesure que la lassitude s’installe et que des changements ont lieu dans l’organisation de la lutte contre les Titanides. Et quand un évènement terrible survient, la coupe est pleine.

De l’intérêt de la sociologie

Quelle brillante idée que ce décalage de point de vue. L’auteur est docteur en sociologie et il utilise avec brio ses connaissances dans ce domaine pour nous offrir un récit vivant et terriblement humain. Même si tout tourne autour de machines phénoménales et de monstres, la novella entière est centrée sur les femmes et les hommes qui vivent avec et pour les méchas. Le déséquilibre des pouvoirs, mais aussi la force des médias et du public qui imposent, indirectement, leur volonté. Quand ce dernier se désintéresse des combats, trop habituels, et des combattants déjà vu cent fois, il faut innover afin de maintenir dans les esprits la nécessité de l’effort de guerre. Car c’est bien d’une guerre dont il s’agit. Et de morts. Par dizaines. Le fond est sombre. Et le discours peu flatteur pour la société. Et pas nécessairement optimiste pour l’avenir de l’humanité. C’est comme une course en avant dont on ne voit pas la ligne d’arrivée. Et l’on s’y épuise. Jusqu’à commettre des choix plus que discutables. Où certaines vies valent davantage que d’autres. Les mécaniciens, comme les ouvriers auparavant, les paysans autrefois sont ici traités comme quantité négligeable, remplaçable à l’infini. Est-ce tenable ? M.E. O’Brien et Eman Abdelhadi, dans Tout pour tout le monde, envisagent des révoltes populaires menant à l’instauration de communes, qui tendent vers l’égalité et la solidarité. Fabrice Schurmans dans Paris perdus mettait en avant l’inégalité flagrante de nos sociétés et ses conséquences délétères. Et les exemples en littérature sont nombreux de récits qui mettent en valeur ceux qui la société invisibilise. Ceux qui la font tourner, que l’on apprécie quand on en a besoin et qu’on oublie dès que possible pour retourner à notre confort de vie. Denis Colombi, à travers une histoire de machines, parle de l’humain avec finesse et crée l’émotion.

Ils sont tous morts. Tous. Les deux équipages.

C’est le premier ouvrage des éditions 1115 que je lis et c’est un début très prometteur. Zoé et d’autres avaient déjà attiré mon attention sur certaines œuvres particulièrement réussies publiées chez cet éditeur. Et je suis ravi d’avoir commencé par Au cœur des méchas tant j’ai apprécié la maîtrise de Denis Colombi pour ce pamphlet de science-fiction contre l’exploitation.

Présentation de l’éditeur : Quand on ne peut plus faire l’économie des combats titanesques face aux assauts répétés de la menace extraterrestre, ne reste qu’une solution pour sauver l’humanité : l’amputer d’une fraction de sa population en l’envoyant travailler au cœur des Méchas. Mais pour combien de temps, encore ?

Les Éditions 1115 – 10 mai 2024 (novella – Illustration Victor Yale – 96 pages – Édition brochée : 9 € / Numérique : 1,99 €)

Merci aux éditions 1115 pour ce SP.

D’autres lectures : Jean-Yves (Mondes de poche)Stéphanie Chaptal (De l’autre côté des livres)Le chien critique


15 réflexions sur “Au Cœur des méchas, Denis COLOMBI

  1. Bon j’étais déjà assez enthousiaste à la lecture de l’interview de Denis Colombi sur le blog du chien critique mais en lisant ta chronique je me dis qu’il faut absolument que je la lise ! Merci 😉

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  2. Contente que cette 1re découverte du catalogue de cette ME que j’apprécie bcp t’ait plu !

    Pour ma part j’ai trouvé la novella intelligente, bien ficelé, intéressante, mais il m’a manqué de l’émotion – je n’ai pas vibré pendant ma lecture…

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    1. Oui, j’ai vu dans ta critique que cette dimension te manquait. Je comprends tout à fait, car ce n’est pas ce qui est ressorti pour moi non plus. C’était plus « cérébral » : conscience de l’injustice de ce qui se dessinait devant moi et révolte devant cet état de fait. Cette peur de l’inconnu aussi.

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