L’Absence selon Camille, Benjamin FOGEL

Léonard recherche son père. Lui qui le croyait mort à surpris une conversation de sa mère : Russel Jim Devoto aurait fait croire à son suicide afin de participer à la résistance contre la Transparence. Il tente donc d’infiltrer un groupe des Obscuranets. Objectif : prouver à son père qu’il a ses idées et qu’il leur faut se retrouver. Naïf ? Oui, d’autant que cette première aventure se termine mal.

Introduction

J’ai parlé il y a peu du deuxième tome (le premier chronologiquement parlant) de la Trilogie de la Transparence, Le Silence selon Manon. Et j’en ai dit beaucoup de bien tant la pertinence du monde crée par Benjamin Fogel m’a sauté aux yeux. Je ne pouvais différer longtemps la lecture du dernier volume de la série, L’Absence selon Camille, dont l’action se déroule deux ans après La Transparence selon Irina, le premier ouvrage . Et j’ai bien fait. Ce roman conclut la trilogie de façon magistrale. Avertissement habituel : si vous n’avez pas lu les autres récits, passez votre chemin. Et allez les lire, car sans eux, vous ne profiterez pas pleinement de celui-ci. Des personnages reviennent, des évènements passés sont évoqués et expliquent certaines actions. Bref, c’est un ensemble complet qu’il vaut mieux découvrir dans l’ordre et qui mérite assurément le détour.

Léonard écoute de la musique dans sa chambre, le volume au maximum autorisé par le régulateur de vie – une limite prévenant conjointement la pollution sonore et les dangers pour l’audition.

Malgré la transparence, on vous ment

La transparence est-elle réellement possible ? Car malgré la mise en ligne de toutes vos données, gratuitement, librement, n’est-il pas possible de continuer à cacher son vrai moi ? Tous les citoyens jouent-ils le jeu ? Par conviction ou par obligation. Car certains, même en désaccord avec la doctrine du gouvernement en place, et donc la loi, n’ont pas le choix. Tout le monde possède un puce, implanté à la naissance. Sans elle, pas de Revenu universel qui permet de vivre sans travailler. Car c’est l’une des innovations de cette société : vivre ne nécessite plus de s’échiner du matin au soir dans un métier qui ne comble pas nécessairement, voire épuise et désespère (je sais, certains s’épanouissent dans leur travail, mais ce n’est pas le cas de tout le monde). Bien sûr, pour parvenir à s’offrir la plupart de ses petits plaisirs, il vaut mieux avoir une activité, car sinon, on se contente de manger et de ses besoins les plus limités. C’est d’ailleurs le cas de Sébastien Mille, le policier découvert dans les autres romans de la série, et qui est à présent à la retraite. Mais cela ne le satisfait : il a besoin de se sentir utile et il tente de jouer les prolongations. Au grand désespoir de sa fille, qui a embrassé la même carrière et vit dans l’ombre de son géniteur. Jamais bon, ça !

Le revenu universel a rendu obsolète le concept de retraite. On peut être à la retraite à tout âge, mais préférer bosser jusqu’à l’épilogue de son existence. Le revenu universel a aussi normalisé le bénévolat. Travail et hobby se confondent.

Mais aussi, la transparence est-elle réellement souhaitable ? Car si, dans Le Silence selon Manon, on a compris que certains la prônaient afin d’éviter la haine déversée par tombereaux grâce à la promesse d’anonymat, l’excès inverse est-il pertinent dans la société ? En effet, voir toutes ses données offertes au regard de tout un chacun est un sacré choc : on s’habitue sans doute, mais par rapport à ce que nous connaissons actuellement, c’est un changement radical. Nous sommes surveillés en permanence et certaines de nos libertés actuelles bridées, pour notre bien (aliments contrôlés, tout comme le niveau sonore de nos écouteurs, …). Or l’auteur situe l’action en 2060. Dans pas si longtemps que ça. Il est normal, donc, que les tensions à propos de ce dogme soient encore vives et que les oppositions soient toujours répandues dans la population. Et donc qu’une organisation prônant le retour à un certain anonymat tente de revenir en arrière, tandis qu’un homme politique lui, au contraire, essaie de se faire élire afin d’obtenir l’absolue transparence. Y compris de vos déplacements, ce qui est pour le moment interdit. Peut-on se permettre d’être absent de la grille, du réseau ?

La transparence, c’est la surveillance, clamait-il. Nous avons basculé du capitalisme (l’enrichissement de tous) à la surveillance (le contrôle de tous).

Un roman policier addictif

Comme je l’avais dit également en parlant du Silence selon Manon, Benajamin Fogel n’est pas seulement un auteur qui pose de bonnes questions. C’est aussi un écrivain qui entraîne son lecteur de la première à la dernière page, sans que celui-ci ait envie d’aller voir ailleurs. L’intrigue est solide, les personnages suffisamment nombreux pour permettre des surprises et des rebondissements. Voire des disparitions en cours de route : ici encore, la mort peut emporter une femme ou un homme en cours de récit. Le rythme est vif, avec ses chapitres courts et son changement continu de point de vue. Et sans que cela ne nuise à la lisibilité de l’histoire, qui est très fluide. Une belle réussite !

Quand la honte est partout, il n’y a plus de honte.

Dans ce dernier roman, Benjamin Fogel offre à ses personnages les résultats de ce qu’ils ont semé tout au cours de la trilogie. Et aussi un regard précis et pas nécessairement rassurant sur notre société et ses possibles devenirs. L’importance prise par les réseaux et autres moyens de communiquer en ligne est telle qu’il est impossible de faire l’impasse sur eux. Comment allons-nous nous adapter à eux et les adapter à nous ? Comment gérer l’anonymat en ligne et l’impression d’impunité qui en découle ? Voici quelques questions posées par ce polar diablement efficace que je n’ai pu lâcher sans en connaître le dernier mot. Un grand merci à son auteur pour les réflexions entamées et le plaisir pris.

La Trilogie de la Transparence se compose de : La Transparence selon Irina, Le Silence selon Manon et L’Absence selon Camille.

Présentation de l’éditeur :

2060 : « Malgré la transparence, on vous ment » : ce slogan qui vient d’apparaitre sur les murs de Paris inquiète les forces de l’ordre. Sébastien Mille, policier à la retraite et désormais bénévole, ainsi que sa fille, la commissaire Holly Mille, enquêtent sur l’origine et le sens de ces graffitis. Le jeune Léonard Parvel, lui, est persuadé que son père disparu est membre des Obscuranets, un mouvement révolutionnaire qui lutte contre la prolifération du virtuel. Il participe à des actions insurrectionnelles dans l’espoir de retrouver sa trace. Mais bientôt, la révélation d’un scandale d’état par les Obscuranets marque le début d’une période d’instabilité politique dont François Lefebvre, candidat à l’élection présidentielle et pourfendeur du concept de vie privée, pourrait bien tirer parti. Le compte à rebours est lancé pour Sébastien et Holly Mille, qui doivent tenter de museler les perturbateurs et d’arrêter leur leader.

Benjamin Fogel s’est fait connaître avec La Transparence selon Irina, un premier roman noir dystopique qui mettait en garde contre les dangers de la servitude numérique. Il a poursuivi dans la même veine avec Le Silence selon Manon, qui abordait la question du « bruit » permanent des réseaux sociaux. Il clôt aujourd’hui la trilogie de la Transparence avec L’Absence selon Camille en s’interrogeant sur le sens de l’absence dans un monde où notre omniprésence est requise. Il dirige par ailleurs les éditions Playlist Society, centrées sur la pop culture, le cinéma et la musique.

Merci aux éditions Rivages pour ce SP.

D’autres lectures : Les Lectures du Maki


15 réflexions sur “L’Absence selon Camille, Benjamin FOGEL

  1. J’ai voulu passer outre ton conseil de passer mon chemin, malgré mon envie de découvrir le premier tome, mais tes premières phrases au sujet de la transparence m’ont vite fait revenir sur cette décision 🤭 Je ne voudrais pas gâcher le plaisir de découvrir cette transparence selon Irina 🙂

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  2. Ce troisième opus est le plus romanesque mais pas le moins intéressant intellectuellement parlant. Il nous interroge sur nos sociétés comme sur les limites de nos convictions.

    Bref lisez Benjamin Fogel !

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