Laurent Queyssi, c’est avant tout pour moi (et qu’il m’en pardonne) le traducteur. Celui qui a donné un coup de jeune à la trilogie de William Gibson (Neuromancien, Comte zéro et Mona Lisa disjoncte). Donc je pars avec un a priori extrêmement positif. Mais pour le reste, je ne sais rien. Ah si, ce récit est publié chez Mnémos, et plus précisément chez ce label Mu qui me réserve de bien belles surprises ces derniers temps. Un autre point positif, donc. Ouvrons la bête !
Premières lignes
Tout le monde peut écrire.
Tout le monde sait écrire, ou presque. Même ceux que la situation déplorable de l’école dans notre Alliance européenne a empêché d’apprendre à lire y parviendraient sans problème s’ils en avaient l’occasion. Tout le monde peut y arriver.
Au quotidien, cette simple activité, « écrire », permet de s’exprimer, de s’adresser à quelqu’un qui n’est pas présent – dans le cas d’un message Aug par exemple – pour lui transmettre une information ou lui faire un récit. Cela revient à parler, à une énorme différence près : l’écriture possède un atout dont la parole est dépourvue. Elle dispose d’une machine à voyager dans le temps. Rédiger permet de retourner en arrière et de modifier le discours, de l’embellir ou de le préciser, d’y ajouter des nuances ou d’en effacer certains éléments.
L’écriture n’est qu’une amélioration technologique de la parole. Les messages que l’on s’envoie pour convenir d’un rendez-vous ou les romans qu’on lit ne sont qu’une version moderne des échanges entre hommes préhistoriques ou des récits des conteurs qui captivaient leur auditoire, le soir, autour du feu. Une amélioration qui nous permet de connaître et d’apprécier des épopées millénaires comme celles d’Homère, longtemps transmises par voie orale avant d’être fixées à récrit.
Raconter une histoire dans un livre, quels qu’en soient la forme ou le genre, s’inscrit dans cette tradition de l’aède ou du barde qui s’adresse à des auditeurs que nos avancées technologiques ont transformés en lecteurs. Pour le dire autrement, en reprenant les mots d’Henri Meschonnic, « la littérature est la réalisation maximale de l’oralité ».
Choisissez l’image que vous préférez pour symboliser la création littéraire : un bloc de marbre rectangulaire que l’on sculpte pour obtenir une statue, une graine qui pousse et se transforme en une plante fleurie, voire en un arbre majestueux ou bien, celle qui a ma faveur, le labeur minutieux et de longue haleine consistant à mettre au jour un squelette de dinosaure enterré. Dans tous les cas, ces comparaisons nous apprennent deux choses sur l’écriture. Premièrement, qu’il s’agit d’un travail concret, palpable, qui nécessite du temps et des efforts. Et ensuite que l’on ne peut prévoir le résultat final, que l’artiste ignore ce que va véritablement donner son œuvre. Il peut certes en avoir une idée plus ou moins précise selon la méthode utilisée – certains planifient beaucoup, d’autres préfèrent improviser – mais une multitude de détails d’une importance diverse lui échappent lorsqu’il entame son texte, détails qu’il ne pourra découvrir qu’en écrivant.
Si j’ai bien une idée de ce dont sera composé ce livre, j’ignore encore la façon exacte dont je vais développer certains éléments, la totalité des exemples que j’utiliserai et même le sens véritable, profond, que prendra ce volume pour moi une fois terminé.
Comme avec chacun de mes ouvrages, je ne serai plus le même auteur, le même homme, quand j’y mettrai le point final. Le simple fait de l’écrire me transformera immanquablement.
4ème de couverture
Pour avoir créé un signe de reconnaissance repris par une génération de résistants à une Europe dévoyée, corrompue et autoritaire, Bruno Trivanen va être emprisonné. L’État lui volera tout, jusqu’à son nom, qui se retrouvera sur la couverture de romans qu’il n’a pas écrits.
Enfin libéré et quasiment assigné à résidence, il entreprend de rédiger ses mémoires, bâties comme un témoignage de son parcours, où il va raconter en détail le processus de création pour de futurs et improbables apprentis.
Quand, au détour d’une promenade, il rencontre Tristan, un jeune homme vivant en marge de la société, l’écrivain comprend que les symboles et les idées dépassent souvent, et de loin, leur créateur.
Trystero est un regard délicat et lucide sur la création, la somme d’une existence riche et tumultueuse, le roman d’une vie entre réalité et fiction dans un monde où chaque pensée critique est un crime.
Laurent Queyssi nous questionne, à travers les souvenirs d’un auteur qui a connu le succès, sur le pouvoir des mots et la portée de la pensée critique.
Brèves réflexions
Des réflexions, mais surtout des questions. Car si je lis la quatrième de couverture, je m’attends à entendre parler d’une société future détestable : « une Europe dévoyée, corrompue et autoritaire ». Donc une sorte de dictature qui a tenté de broyer un homme parce que son œuvre a servi à des contestataires ou des révolutionnaires. Ce n’est pas clair. Mais cela semble être l’idée. Donc une sorte de prévision négative de notre avenir. Un renfermement sur nous qui conduit à un régime dur et qui n’hésite pas à faire taire ceux qui le gênent. Une pointe de futur avec cet Aug qui semble remplacer nos smartphone et être directement implanté dans le corps. « Aug » pour « augmenté », sans doute. Des possibilités phénoménales en plus. Une possibilité d’intrusion phénoménale également. Car ce serait une porte d’entrée directe pour l’esprit. Mais j’extrapole.
Mais quand je lis les premières lignes (certes, c’est un avant-propos), je n’ai que des considérations sur l’écriture. Ce dont nous parle aussi la quatrième de couverture : « il va raconter en détail le processus de création pour de futurs et improbables apprentis ». D’où ma question principale. Quel point va dominer ? La narration des aventures, de la chute de cet écrivain ? Ou les réflexions sur l’acte d’écrire. Voire des conseils d’écriture dans un ouvrage qui sera forcément hybride. C’est important, car je n’aborderai pas cette lecture dans le même état d’esprit. Or, je le dis souvent, j’essaie de profiter au maximum des ouvrages qui passent entre mes mains, quitte à les laisser de côté si je ne suis pas dans l’humeur idoine. Donc, je vais devoir feuilleter davantage ce livre si je veux me préparer un peu. Et en jouir réellement.
Je pense rapidement mettre fin à ce suspens en attaquant Trystero. Je verrai vite si c’est une bonne idée.
En pratique
Laurent QUEYSSI, Trystero
Mnémos, label « Mu » (10 avril 2024)
192 pages
Édition brochée : 19 € / Édition électronique : 9,99 €
Un rendez-vous bloguesque partagé
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Très intéressant ! Curieuse de ton avis 🙂
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Cela devrait bientôt arriver. Je viens de le commencer dans la foulée.
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Intéressant cet incipit un peu méta comme ça.
C’est rigolo ce que tu dis de Laurent Queyssi : pour moi aussi il est le traducteur (brillant) de Neuromancien ^^ Et je n’ai encore jamais rien lu de lui. Je file lire ta chronique !
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