La vraie vie de Patrick Rodriguez, Frédéric MARTINEZ

Le narrateur, Patrick Rodriguez, est auteur. Pas un auteur à grand succès, mais un auteur casanier qui s’occupe essentiellement de guides de voyage. Mais de voyages proches : dans le terroir français. Argent-sur-Sauldre, Aubigny-sur-Nère le font davantage rêver que le Groenland. Et pourtant, c’est sur ce pays que son éditeur veut le voir écrire. Il est prêt à lui payer le voyage. Mais Patrick ne peut pas. Il a trop à faire avec sa propre vie.

Un jeu de miroirs

Dès le titre, on sent bien que quelque chose cloche. Que l’auteur va tenter de nous embarquer dans un de ces récits où les apparences sont trompeuses et où ne sait plus bien qui est qui, où le réel se mêle au rêve, à l’imaginaire. Qui est qui ? Qu’est-ce qui est délire, qu’est-ce qui est réalité ? J’avoue qu’au bout d’un moment, on ne sait plus trop bien. Mais, pour être franc, on s’en moque. Car il suffit de se laisser bercer par le rythme des mots de Frédéric Martinez pour ne pas se soucier de ces aspects de l’histoire.

Certains cotés de ce jeu de miroirs m’ont fait penser à Borges ou à Vila-Matas, quand ils se laissent aller à leur voyage dans l’imaginaire et jouent sur les vraisemblances, les ressemblances, les invraisemblances. Frédéric Martinez suit leur exemple, dans une moindre mesure, mais avec un certain talent. Surtout quand apparaît le personnage de l’écrivain à succès, qui a disparu après un ouvrage encensé, double plus âgé du narrateur lui-même, avec qui il finit par se confondre en partie. Sans parler de la ressemblance légère, sans doute volontaire, entre le nom du personnage principal (Rodriguez) et le nom de l’auteur réel du roman (Martinez).

Frédéric Martinez joue aussi sur le rythme de son histoire, passant des premiers chapitres, courts, souvent nerveux, avec de courtes phrases et pas mal de dialogues à des chapitres plus longs, aux paragraphes immenses s’étirant sur une page, avec des parenthèses de plus en plus nombreuses pour préciser un point ou un autre. Jusqu’au dernier chapitre, éponyme, qui semble l’origine et l’aboutissement du roman.

Un road trip du Nord au Sud

Le narrateur est donc un écrivain censé parler du Groenland, territoire situé au nord de la planète. Mais il n’a de cesse, quand enfin il part de Paris, de descendre vers le Sud, cet opposé total au but de son guide de voyage. Il doit raconter le froid et la glace, il vit dans le chaud et le sec (d’où une bonne descente d’alcool). Il passe son temps à s’opposer à ce qu’il est censé faire. Et à se complaire, au début, dans une routine casanière et même, par certains côtés, mortifère. Pour ensuite se laisser porter par les évènements, sans rien décider réellement, allant d’un lieu à un autre, d’une relation à une autre.

Car, pour Patrick Rodriguez, la vie est une suite de rencontres féminines, plus ou moins brèves, mais souvent simples et sans véritable fond. La présence de l’autre, son corps et, un peu, son esprit. Sa copine du début le maltraite, il ne réagit pas et ne parvient pas à la quitter. En a-t-il seulement envie ? Quand il rencontre la femme de sa vie, il la perd et part à se recherche. D’où le road trip. Mais un voyage qui n’a aucune direction, à part le sud. C’est un peu vague. Et donne au roman un faux rythme parfois légèrement lassant. Car un défaut, à mon avis, de ce récit, c’est l’hésitation entre plusieurs voies et donc, une difficulté à savoir sur quel pied danser pour le lecteur. Mais ce n’est pas rédhibitoire, loin de là.

Un monde de science-fiction

Avant de clore cette chronique, je veux quand même aborder la présence de la SF dans La vraie vie de Patrick Rodriguez. Alors n’exagérons pas : Frédéric Martinez n’a pas écrit un roman de science-fiction. Par contre, l’arrière-plan de son récit puise régulièrement dans les thèmes de la catastrophe climatique, portée à ses extrêmes. Voyez plutôt : la température atteint allègrement les quarante, voire davantage à Paris. Dans plusieurs villes françaises, et pas seulement dans le sud, on voit pousser des plantes tropicales. Des tempêtes monstrueuses entrainent des pluies diluviennes et des inondations telles que Londres est sous les eaux. Le vent souffle du sable en plein Paris, pas à petites doses, comme aujourd’hui, mais par seaux, au point de couvrir le sol d’un appartement. Et pourtant, le personnage principal, comme une résistance à ce constat implacable prend des bains et gâche de l’eau tant qu’il peut ! L’auteur a donc bien intégré ces possibles changements, déjà bien documentés en SFFF, et les a placés comme toile de fond de la tempête qui frappe la vie déjà bien en miettes du narrateur.

La lecture de La vraie vie de Patrick Rodriguez a été pour moi un bon moment, tant l’auteur a su me sortir de ma bulle quotidienne, en douceur, partant du réel pour m’entrainer dans un monde aux confins de l’imaginaire, où l’on croise des caméléons et des narvals, où Paris se transforme, le temps d’une nuit, en désert, où toute situation fait penser à un film classique mettant en scène Robert Mitchum ou Robert Redford, où l’amour est un moteur suffisant pour tout laisser de côté et partir, loin de tout, loin de soi.

Présentation de l’éditeur : Patrick Rodriguez n’y comprend plus rien. Ce narval qui chaque nuit le réveille en sursaut, ce guide du Groenland qu’il n’arrive pas à écrire et sa rencontre avec Rita, mystérieuse jeune femme qui l’attire comme un pôle magnétique lui font perdre le nord. Sa vie bien réglée de célibataire cinéphile, passant ses nuits sur son canapé défoncé, ressemble de plus en plus à un film. Il faut dire qu’Alastair, son éditeur, lui signe un drôle de contrat. Et puis il y a Frantzimer. L’écrivain légendaire, disparu de la circulation, qui cherche un personnage. Ou peut-être autre chose. Sans parler de La Vraie Vie de Patrick Rodriguez, ce fichu roman que Patrick n’arrive pas à finir. Décidément, l’été ne tourne pas rond. Pour tout vous dire il fait vraiment trop chaud. On suffoque un peu, comme un héros pris au piège tropical d’aventures en Technicolor. Comme un détective désabusé sirotant son Bourbon dans un vieux film noir, enfin comme vous voudrez. Il faudrait partir. Mais pour aller où ? Semer cette étrange voiture noire qui vous suit partout. Mettre le cap au sud. Et pour trouver quoi ? C’est ce qu’on va voir.

Les Belles Lettres – 20 août 2021 (roman inédit– 295 pages – 19 euros)

Merci aux éditions des Belles Lettres et à l’équipe de Masse critique de Babelio pour ce SP.

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