Alone, Thomas GEHA

Pépé est un Alone. Un survivant dans un monde post-apocalyptique qui refuse les regroupements humains. Les Alones préfèrent voyager seuls ou en binômes à travers le pays. Pour continuer à vivre, en chassant et grappillant de-ci de-là quelques rares morceaux du passé. Mais sans sentimentalisme. Uniquement pour leur côté pratique. Le monde est dur, on n’a pas de temps à perdre avec de telles bêtises. Pépé se déplace et vit avec Grise, la femme qui l’a sauvé alors qu’il était encore un enfant. Ils forment à eux deux une équipe difficile à vaincre. Et c’est tant mieux, car ils vont se retrouver au centre de nombreux conflits et, même de luttes pour le destin du monde.

Un monde post-apo (eh oui, encore un)

En principe, avec ce livre, vous tenez la version définitive (la vraie définitive, cette fois, pas comme celle parue aux éditions Critic en 2014) : deux romans (A comme Alone et Alone contre Alone) et quatre nouvelles, dont la dernière inédite (« Le Silence est d’or », « L’Ère du Tambalacoque », « Guarden » et « Le dernier voyage »). Tout cela forme un ensemble homogène, chronologique et bien fichu, qui peut se lire à la suite, comme un seul récit (avec des sauts dans le temps entre les parties). De quoi cela parle-t-il ?

Seulement, quand ça foire, quand tout s’effondre, c’est toujours les gros connards primaires pleins de muscles qui reprennent le pouvoir. À cent pour cent.

Eh bien, le monde s’est écroulé (une habitude dans la littérature de SF). Mais le réchauffement climatique n’y est pour rien cette fois (et pourtant, c’est très à la mode : tapez le mot-clef « post-apo » dans le moteur de recherche de mon blog et vous verrez le nombre d’occurrences. Impressionnant !). En tout cas, il n’a pas le premier rôle. Ce sont de tout petits objets qui ont conduit à la chute des civilisations humaines. Des nadrones. De minuscules appareils programmés pour nettoyer toutes les ordures qui finissaient par empêcher les villes de fonctionner. Dirigés par une I.A. programmée avec soin (« le projet a mis vingt ans à » arriver au bout), ils étaient censés rendre les centres urbains merveilleusement propres. Hélas, l’I.A. a fini par décider que les humains aussi polluaient la vue. Et tous les habitants ont été éliminés, squelettes blanchis. Seuls ceux des campagnes ont été épargnés, les nadrones ne quittant pas leur périmètre. Quelle chance ! Mais les sociétés se sont tout de même effondrées, condamnant chacun à une vie d’errance ou à un certain retour à la sauvagerie.

Un semblant d’organisation

Le désordre appelle, d’ordinaire, une tentative de réorganisation. C’est pourquoi, les survivants ont tenté de se regrouper. Les Pélerinceurs étaient des « bandes organisées de pillards aux mœurs ignobles ». Mais on trouve aussi des Rasses, simples « petits groupes », qui pouvaient cependant conduire au pire s’ils étaient dirigés par des « dangereux et des vicelards ». Et aussi les Fanams et les Fanars, qui, comme leurs noms l’indiquent, appartenaient à la catégorie des fanatiques, donc à éviter. Et enfin, les Alones. Comme le personnage principal au nom facile à mémoriser : Pépé. D’ailleurs, les noms sont plutôt pragmatiques dans l’esprit de ce jeune homme. À peine croise-t-il quelqu’un qu’il lui trouve un surnom, issu d’une particularité physique : Longue-Cicatrice, Nasillard, …

Plusieurs fois, j’ai failli crier. La dernière chose à faire. Ne montrer aucune faiblesse, aucune faille. Et, s’il le faut vraiment, mourir avec dignité.

Et il va en croiser du monde en parcourant la Bretagne et le reste de la France. Car Pépé semble attirer les ennuis. Il faut dire que ce monde est dangereux et que le mode de vie qu’il a choisi le met régulièrement en danger. Car il est souvent en contact avec d’autres êtres humains. Et comme je l’ai dit plus haut, des organisations existent et elles sont assez exclusives. Si on n’appartient pas à un clan, on risque de finir simplement tué. Ou violé. Ou torturé. Ou mangé. Car le gibier se fait rare et la chair humaine n’est absolument pas un tabou pour une grande part de la population. D’où la nécessité pour de nombreuses tribus de chasser régulièrement afin de se sustenter.

Un plus grand dessein

Mais Pépé va aller au-delà de ces ennuis. Il va tomber sur des personnes différentes, des personnages plus ambitieux. Et aussi des êtres aux pouvoirs autres : des mutants. L’évolution qui a conduit à leur naissance est variée. Il en existe de plusieurs sortes. Mais ils ne peuvent rester à leur place. Ou ils ont peur pour leur survie, du fait de leur différence, dans un monde déjà très périlleux. Ou ils ont de plus fortes ambitions pour eux et leurs semblables. Dans tous les cas, les luttes sont inévitables et Pépé se retrouve au milieu ; contre son gré. Mais toujours poussé par une nécessité. Qui, la plupart du temps s’appelle Grise. Non pas qu’elle soit incapable de se défendre. Loin de là. Dans ces récits, les femmes ont une place très active et certaines sont des combattantes hors pair. Mais comme le rappelle Pépé, quand la société fout le camp, les hommes reprennent la mauvaise habitude d’utiliser leurs muscles pour obtenir des femmes ce qu’ils désirent, même si elles ne sont pas d’accord. Elles sont donc des proies privilégiées des raids. Et malgré ses qualités de haut niveau, Grise se retrouve plusieurs fois enlevée à l’amour de Pépé. Ce qui le conduit à se mettre en danger quand il tente de la récupérer. Et à influencer l’avenir de l’humanité par les choix qu’il faits. Par amour.

Les bouquins, c’est pas ça qui remplit l’estomac un jour d’apocalypse.

Alone n’est pas pour rien le cycle le plus connu de Thomas Geha. De cet auteur j’ai aussi beaucoup aimé, dans un autre genre, Des Sorciers et des hommes, qui propose le même souci de l’aventure et le même humour désabusé qui sous-tend les relations aux autres. Cette réédition semble bien cette fois faire le tour de la question, avec « Le dernier voyage », bilan bienvenu qui clôt intelligemment l’ensemble. Elle permet de découvrir la vie d’un homme au caractère bien trempé, au vocabulaire franc et sans prétention, au verbe haut, aux expressions savoureuses, aux sentiments sincères. Elle offre un bon moment de lecture, sans exigence excessive mais avec tout de même une certaine ambition. Elle donne à voir un monde à la construction solide et que j’ai pris plaisir à découvrir au fil des pages. Une lecture à conseiller sans hésitation.

Présentation de l’éditeur : Alone rassemble deux romans et plusieurs nouvelles dont une inédite dans une intégrale définitive.

Dans une France et une Bretagne post apocalyptique, Pépé est un Alone.

Seul, il (sur)vie et il est plutôt doué pour cela. Ce qui ne l’empêche pas de faire des rencontres, amicales ou pas. D’autres groupes de personnes tentent de survivre en se rassemblant (les rasses) et ce n’est pas toujours pour le meilleur.

Intégrale composée des deux romans A comme Alone et Alone contre Alone paru initialement aux éditions Rivière Blanche, le roman est de l’aveu même de l’auteur un hommage à l’univers de Julia Verlanger alias Gilles Thomas : L’autoroute sauvage.

Thomas Geha est un écrivain de Science-fiction et de Fantasy française. Il est l’auteur de plus d’une dizaine de livres.

Illustration de couverture par Lomig. Ce dessinateur autodidacte a construit son œuvre en mettant en scène des individus confrontés aux affres de la civilisation moderne. Après Dans la forêt, il vient de publier Aux cœur des solitudes aux éditions Sarbacane.

Thomas Geha alias Xavier Dollo est auteur, anthologiste, libraire et éditeur. Son histoire de la Science Fiction en Bande dessinée a été publié dans une dizaine de pays. Alone est son cycle le plus célèbre.


Goater, collection « Rechute » (n°19) – 24 mai 2024 (deux romans et quatre nouvelles dont une inédite composant une intégrale définitive – 576 pages – Édition brochée : 19,50 €)

Merci aux éditions Goater pour ce SP.

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4 réflexions sur “Alone, Thomas GEHA

  1. « Eh bien, le monde s’est écroulé (une habitude dans la littérature de SF). Mais le réchauffement climatique n’y est pour rien cette fois (et pourtant, c’est très à la mode : tapez le mot-clef « post-apo » dans le moteur de recherche de mon blog et vous verrez le nombre d’occurrences. Impressionnant !). » J’aime bien votre remarque 🤣 En tout cas merci pour la découverte et votre chronique engageante! J’en prends bonne note !

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  2. « Hélas, l’I.A. a fini par décider que les humains aussi polluaient la vue. » J’ai envie de dire que c’est pas faux. Je serais tentée de suivre Pépé que je suis quasiment certaine d’apprécier comme personnage mais je t’avoue que la mention de cannibalisme me fait un peu peur. C’est la seule chose que je n’arrive pas à supporter dans les romans (en plus des romances abusives mais ce n’est pas ici que je tomberai dessus).

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