Comment voyager dans les Terres oubliées, Sarah BROOKS

En ce XIXe siècle qui voit l’avènement de la machine à vapeur, Chine et Russie sont séparées par des étendues inquiétantes. À tel point qu’on les a séparées du reste du monde par de hauts et solides murs. Pourtant, elles ne sont pas totalement isolées de l’humanité. Car le légendaire Transsibérien Express les traverse régulièrement. La construction de cette voie a demandé des sommes folles et le sacrifice de nombreux ouvriers et soldats. Mais depuis son achèvement, la liaison est assurée et les wagons sont remplis de marchandises, mais aussi de passagers devant effectuer rapidement la traversée. Ainsi que d’hommes et de femmes désireux de ressentir les frissons d’un voyage hors du commun. Car comme le dit Valentin Rostov dans son célèbre Guide du voyageur prudent dans les Terres oubliées, « Le voyageur prudent frémira sans doute à la simple mention des Terres oubliées de la Grande Sibérie, avec ses espaces si vastes et hostiles, ses histoires qui vont à l’encontre de notre conception de tout ce qui est décent, humain et bon. » En route, donc, pour ce qui sera peut-être le dernier voyage du Transsibérien Express.

Un doux parfum de steampunk

J’aime bien le steampunk. Ce XIXe siècle imaginaire où le métal et la vapeur dominent. Mais où la société est totalement inégalitaire, entraînant des révoltes voire des révolutions. Comment voyager dans les terres oubliées entre dans ce crade, mais n’hésite pas à s’en éloigner progressivement pour tirer vers le fantastique et finir en SF plus classique. On trouve la présence essentielle et très réussie du train. Dès le début du livre, qui est plutôt un bel objet, on trouve un schéma des wagons et leur répartition. Ensuite, la machine revient sans cesse au détour des pages, fiable et solide au début, fragilisée ensuite. On parle aussi beaucoup de la Grande Exposition et de son palais de verre à Moscou. Écrin idéal pour ce genre littéraire.

On a aussi les personnages très marqués. Comme la Comtesse, vieille femme toute imbue de son aristocratie, fidèle à l’étiquette, mais grande amatrice de ragots et de potins. Le Français Guillaume, qui virevolte dans les assemblées et attire à lui tous les regards, délaissant dans l’ombre son épouse comme si elle n’existait pas. Mais surtout Marya, qui est monté sous une fausse identité à bord du train, elle qui veut découvrir les véritables raisons du suicide de son père. Et Weiwei, l’enfant du train : née lors d’un voyage, elle n’a jamais quitté les rames du Transsibérien Express. Son lien avec la machine et les Terres oubliées est donc très fort. Quasi-magique. Mais aussi un vieux savant qui ne supporte pas de parler de la faune et de la flore de ces terres sans pouvoir les approcher, les toucher.

Une terre isolée car dangereuse

Car on a peur de ce qui est dehors, dans les Terres oubliées. La nature y est devenue étrange. Elle a muté. Et qui sait si ce n’est pas contagieux. Si le moindre contact, la moindre parcelle d’air inspirée ne vont pas déclencher un phénomène irrémédiable et transformer définitivement les passagers. En quoi ? Aucune idée. Mais cette crainte est suffisamment présente et puissante pour que les mesures de sécurité soient draconiennes. Les murs, d’abord. Et une quarantaine, plus courte que le délai qui a donné naissance à ce nom, mais suffisamment longue pour être pénible et angoissante. Et s’il le faut, le scellement du train, wagons, passagers et membres d’équipage compris.

« Les parois sont solides, reprend-elle. Le train est solide, plus solide que tous les trains qu’on ait jamais construits. »

C’est comme une incantation. Si on le dit assez souvent, ça va être vrai. C’est vrai.

Pour finir, le voyage précédent s’est mal déroulé. Des vitres ont éclaté et les humains qui étaient à bord du train ont perdu la mémoire. Que leur est-il arrivé ? Nul ne se le rappelle. D’où des questions et des doutes immenses à propos de ce trajet, le premier depuis l’incident. Trajet qui a lieu essentiellement pour des questions financières. Mais sans réelle certitude quant à son innocuité. Et dès le début, on sent bien que les Terres oubliées exercent une force et une attraction indéniable sur le Transsibérien Express. Tout est réuni pour déclencher une crise. Une rencontre ?

Plus rien ne pourra les retenir.

Au regard de la couverture et de ce que j’en avais entendu, j’ai entamé la lecture de Comment voyager dans les terres oubliées avec des a priori. Je m’attendais à un roman young adult assez léger et sans grand enjeu. Les premiers chapitres m’ont rapidement détrompé. Si Sarah Brooks n’évite pas certains stéréotypes (dans le choix des personnages et leur caractérisation principalement), la tonalité de l’ouvrage est assez sombre et mystérieuse. On sait rapidement ce qu’il va advenir de la plupart des passagers et membres d’équipage, mais les interactions sont assez bien décrites et l’avancée du train dans un monde en apparence hostile est étouffante. Cette nature en mutation, qui « observe » l’intérieur du train a quelque chose de fascinant. Je ressors donc de cette lecture plus enthousiaste que je ne l’aurais cru au départ. Sans être totalement conquis, j’ai bien apprécié le voyage.

Présentation de l’éditeur : « On dit qu’il y a un prix que doit payer tout voyageur s’aventurant dans les Terres oubliées. Un prix dépassant le simple coût d’un billet de train. »

XIXe siècle. Quels secrets renferment les Terres oubliées, ces vastes étendues entre la Russie et la Chine totalement coupées du monde ? La seule activité que l’on y connaisse est le passage du Transsibérien Express. Si la traversée est réputée dangereuse, les voyageurs ne manquent pas, tous attirés par les mystères et les légendes de ce territoire isolé. Malgré d’inquiétantes rumeurs à propos d’un accident survenu lors du dernier trajet, la compagnie l’assure, tout est désormais sécurisé. Et le prochain départ est là pour l’attester. À bord, les passagers s’installent, font connaissance. Mais si tout semble se présenter au mieux, certains ont des raisons particulières d’être là. Marya, par exemple, qui a l’impression qu’on lui cache la vérité sur la mort de son père, survenue peu après la dernière traversée. Ou bien Weiwei, l’enfant née dans le train, qui en connaît chaque recoin et secret par cœur. Sans oublier la mystérieuse Capitaine, dont la discrétion confine à l’invisibilité. Alors que le Transsibérien Express commence sa course folle, des événements d’abord imprévisibles, puis très vite incontrôlables, se produisent.

Défiant tous les genres, de l’aventure à l’horreur en passant par le thriller historique, Sarah Brooks nous offre avec ce premier roman subjuguant un voyage plein de mystères et de suspense. Un régal de lecture qui nous rappelle à quel point la littérature peut être magique !

Sonatine – 2 mai 2024 (roman inédit traduit de l’anglais par Héloïse Esquié – 432 pages –
Illustration : Rohan Eason – Édition brochée : 23,90 € / Numérique : 14,99 €)

Merci aux éditions Sonatine (Juliette Bacheré) pour ce SP.

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21 réflexions sur “Comment voyager dans les Terres oubliées, Sarah BROOKS

  1. J’avais aussi la même crainte sur le placement du roman, je suis ravie de lire que c’est bien un texte à destination d’un public adulte et donc dépourvu de ces tics narratifs qui m’agacent un peu chez les autres. Parfait, je vais pouvoir le mettre sur ma wishlist xD

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